∼∼ XXI ∼∼
De loin en loin, durant ce long voyage, le bon Curé de L… a écrit à ses paroissiens, qui le tiennent d’ailleurs fidèlement au courant de leurs projets de retour.
Un soir, Colette est priée de prendre la plume. Malgré ses dix ans sonnés et son stylo neuf, elle n’a pas beaucoup changé sa manière d’écrire. Elle commence cependant par un correct : Monsieur le Curé,… mais reprend tout de suite son allure personnelle.
« Je me demande un peu pourquoi c’est toujours moi qui suis chargée de vous apprendre les grands événements. Et, avec ça, les garçons prétendent que j’écris comme un chat. Alors, entre nous, je crois que c’est encore mieux que leurs pattes de mouches ! Enfin, moi, ça m’arrange, parce que j’aime tant vous faire deviner les nouvelles.
Cherchez, monsieur le Curé, cherchez… Qu’est-ce que je vais vous annoncer aujourd’hui ? Ça y est !… vous avez trouvé, nous avons vu le Saint-Père !
C’est le plus grand des deux événements ; l’autre, c’est que nous serons en France la semaine prochaine et chez vous dans quinze jours.
Alors, vous comprenez, on saute, on danse, on est tellement content !
Vous dites bien sûr : « Du calme, Colette ! Raconte donc au lieu de sauter. »
Hé bien ! voilà ! C’est avec le pèlerinage du bateau que papa a obtenu que nous ayons une audience. Maman et tante Jeanne se sont habillées en noir avec des mantilles sur la tête, nous, les « demoiselles », en blanc. On nous a fait passer par la « Porte de Bronze », et défiler entre les gardes suisses. Ils sont habillés en costumes tout en bandes de différentes couleurs. Ils ont des casques et des hallebardes. Les garçons ont prétendu que je les regardais avec des yeux ronds comme des phares d’autos ! Ces garçons ne pensent qu’aux machines, c’est ridicule !
Ensuite, il a fallu monter le beau grand escalier. Tout le monde commençait à être intimidé. Nous voilà dans une grande salle, très haute, avec des peintures partout, et des serviteurs qui vont et viennent, tout habillés de damas rouge. Encore une autre grande salle. C’est là que le pèlerinage doit attendre, longtemps. Il y a quelques bancs le long des murs ; on fait asseoir maman et d’autres personnes fatiguées.
On ne dit pas grand’chose. On est trop saisi.
Mais, quand la porte s’est ouverte et que le Pape a paru tout blanc, entre des monseigneurs en manteaux violets, et des messieurs qui s’appellent des camériers, et puis que nous avons pensé : C’est lui qui représente le Bon Dieu sur la terre et qui est son Vicaire. J’étais contente, contente. Et je pense que c’était pour tout le monde pareil ; papa paraissait très pâle et Bernard avait sa drôle de tête, comme le jour de ma première Communion.