Conte
Maître Archimbaud avait au moins cent ans. Il avait été en son temps un rude homme de guerre, et avait fait parler de lui. Mais maintenant, affaibli, épuisé de faiblesse, il gardait le lit depuis longtemps et ne pouvait plus bouger.
Le vieil Archimbaud avait trois fils. Un matin, il appela l’aîné et lui dit :
— Viens ça, mon fils : en tournant et en rêvant dans mon lit — car, cloué sur un lit, on a le temps de compter — je me suis rappelé que, dans une bataille, me trouvant un jour en danger de mort, je promis à Dieu de faire le pèlerinage de Rome… Hélas ! je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre !… Je voudrais bien que tu ailles à ma place faire ce pèlerinage, car je ne voudrais pas mourir sans accomplir mon vœu.
L’aîné répondit :
— Diantre ! allez-vous vous mettre en tête un pèlerinage à Rome !… Père, mangez, buvez, et tournez dans votre lit tant que vous voudrez… Nous avons bien d’autres affaires.
Le lendemain matin, maître Archimbaud appelle son fils cadet :
— Cadet, lui dit-il, écoute : en rêvassant et en comptant — car cloué sur un lit, on a le temps de rêver — je me suis souvenu que, dans une bataille, me trouvant en danger de mort, je m’engageai envers Dieu à faire le grand pèlerinage de Rome… Hélas ! je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre ! Je voudrais bien que tu ailles à ma place accomplir ce pèlerinage.
Le cadet répondit :
— Père, dans une quinzaine va venir le beau temps : il faudra sarcler, tailler les vignes, piocher. Notre aîné doit conduire le bétail en montagne ; le plus jeune est un enfant… Qui commandera les ouvriers, si je m’en vais à Rome traîner la jambe sur les chemins ?… Père, mangez, dormez et laissez-nous un peu tranquilles.
Le lendemain matin, le bon maître Archimbaud appela le plus jeune :
— Esprit, mon enfant, approche, dit-il. J’ai promis au bon Dieu de faire un pèlerinage à Rome… Mais je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre !… Je t’enverrais bien à ma place, cher enfant, mais tu es un peu jeune, tu ne sais pas le chemin, c’est bien loin, mon Dieu ! et, si tu venais à t’égarer…