XV
Un empereur avait dit au XVIIe siècle : « Tant que le soleil échauffera la terre, qu’il n’y ait pas de chrétien assez hardi pour venir au Japon ; que tous le sachent, quand ce serait le roi d’Espagne en personne ou le Dieu des chrétiens ! Celui qui violera cette défense le paiera de sa tête. » Entre le Japon et la civilisation chrétienne, cet implacable ukase avait relevé, plus infranchissables que jamais, les barrières naguère abaissées par l’apostolique génie de saint François Xavier. Des 750 000 catholiques que possédait en 1600 l’archipel japonais, il ne resta plus, après l’ouragan des persécutions et l’expulsion des missionnaires, qu’un tout petit troupeau privé de pasteurs, qui peu à peu se terra… Et l’on put croire qu’à mesure que sombreraient, une par une, dans le gouffre fatal de la mort, ces dernières épaves, le christianisme japonais achèverait de s’éteindre.
Deux siècles et demi passèrent : la France de la monarchie de Juillet essaya de cogner aux portes du Japon. Une de nos corvettes amenait aux îles Liou-kiou un prêtre du séminaire des Missions Étrangères, M. Forcade ; on demandait qu’il pût séjourner, en vue d’apprendre le japonais. Plus tard ce prêtre, en son archevêché d’Aix, racontera volontiers les longs mois qu’il avait passés dans une bonzerie, entouré de respectueux mandarins et d’obséquieux satellites qui surveillaient ses moindres gestes, ne pouvant se promener sur la plage qu’avec cet important cortège, qui s’armait de bambous pour empêcher les passants d’avancer vers ce « blanc ». Que lui servait-il d’être devenu, de par un acte de Grégoire XVI, vicaire apostolique du Japon ? Son vicariat lui demeurait inaccessible ; on écartait le peuple de son Credo, comme d’une lèpre ou d’une peste.
Même traitement, dix ans plus tard, pour deux missionnaires qui avaient osé débarquer dans l’île de Yéso : était-ce une escorte, ou bien un cordon sanitaire, qu’on organisait autour d’eux ? Ils comprirent bientôt qu’étant prêtres du Christ, ils ne pouvaient être admis à communiquer avec les sujets de l’empereur. Le Japon de cette époque ne croyait avoir besoin d’aucun échange d’idées ; mais il commençait à souhaiter des échanges de marchandises, que régirait un bon traité de commerce. Le baron Gros, venu à Tokio, au nom de Napoléon III, pour négocier ce traité, eut l’adresse d’y faire inscrire que la liberté religieuse était accordée aux étrangers résidant au Japon, et que les pratiques injurieuses pour le christianisme étaient abolies.
Le « Dieu des chrétiens », — pour reprendre les termes du fameux édit, — pouvait donc désormais venir au Japon sans payer cette audace de sa tête ; mais il n’y pouvait venir que pour les étrangers, ses fidèles, et non point pour les Japonais. Cette autorisation, si parcimonieuse fût-elle, permettait à M. Petitjean, des Missions Étrangères, et à quatre de ses confrères, de résider au Japon. Ils y perdirent cinq années en de stériles tâtonnements, et finalement, en 1865, ils ouvrirent une chapelle à Nagasaki. La remplirait qui pourrait !