Chapitre III
Jeudi ! Jour de congé !
Voilà qui mettrait en liesse l’humeur nonchalante de Pierrot, s’il ne contemplait, le nez collé à la fenêtre, les feuilles mortes qui tourbillonnent.
À les voir danser, voler, retomber, sous les rafales du vent du nord, Pierrot devient mélancolique. Il monologue :
— Par ce froid de canard, maman me permettra-t-elle d’aller jusqu’au village ? C’est assommant de n’avoir plus ici ni frère ni cousin. Colette est bonne fille, mais ce n’est jamais qu’une fille et ça ne peut pas valoir la moitié d’un garçon.
Cette constatation eût sans doute plongé petit Pierre dans un monde de pensées toutes plus désolantes les unes que les autres, quand un magistral coup de sonnette lui fait pousser un hourrah « formidable », selon le langage de son temps.
Adieu le vent du nord, les feuilles mortes et l’insuffisance des filles ! Voici paraître, à la grille du jardin, M. le curé avec le petit André. Du coup, la vie est belle, et Pierrot se sent l’enfant le plus heureux du monde.
Maman, en revanche, est fort inquiète de l’imprudence de son vieil ami :
— Oh ! monsieur le curé, quelle folie ! Comment êtes-vous venu par un temps pareil ?
— Bah ! j’en ai vu bien d’autres, et je ne m’en porte pas plus mal. Et puis, c’est jeudi ; André a de bonnes notes ; je pense que celles de Pierrot sont bonnes aussi : il faut récompenser ces enfants-là.
Hum ! Pierrot se sent tout à coup redevenir malheureux.
— Regardez cette tête, monsieur le curé, et dites-moi si vous croyez que ce jeune homme a de bonnes notes ?
Le vieux prêtre passe la main en souriant sur les cheveux frais coupés :
— Tu n’as pourtant plus tes boucles de bébé, mon bonhomme, et il faudrait songer à travailler, comme un grand. Que dira papa quand il reviendra pour Noël ?
Papa ! La pensée du reproche paternel met une larme contrite au coin des yeux de Pierrot, et son vieil ami s’en contente.
— Va, si maman permet, emmène André ramasser du bois mort au bord du petit bois. Couvrez-vous bien, et rapportez-m’en deux gros fagots pour mes pauvres.
Un coup d’œil à maman pour voir si elle approuve, et puis les deux petits s’envolent, tout trace de souci de nouveau disparue.
— Cette paresse de Pierrot m’inquiète, monsieur le curé, je vous assure, dit maman en reprenant son tricot.
— Il a du cœur et c’est un bon petit. Il faut seulement stimuler sa volonté. Le bon Dieu vous y aidera. Voyez Yvon : il était bien un peu « flemme » aussi jadis, comme ils disent.
— Tiens, au fait, c’est vrai ! Je l’avais bien oublié. Il s’est tellement transformé ! À propos d’Yvon, monsieur le curé, Colette m’a témoigné le désir de s’associer davantage à la vocation de son cousin par une étude, abrégée évidemment, mais pourtant sérieuse, de la liturgie. Nous avons commencé un peu ces soirs derniers. Colette met l’entrain que vous devinez, mais Pierrot nous a fait une tête impossible, à laquelle d’ailleurs j’ai semblé ne prêter aucune attention. Mon bonhomme en a profité pour se draper dans une attitude d’indifférence, et puis il s’est laissé prendre au jeu, il m’a questionné. Finalement, je le sens déjà intéressé. Reste à savoir si cela durera, car évidemment c’est un peu austère pour son âge.
— Pas tant que cela. Vous verrez qu’il y prendra goût, surtout quand vous lui aurez annoncé que, s’il bataille avec sa paresse, nous le préparerons à sa première communion, de manière à ce qu’il la fasse le jour où Yvon dira sa première messe ici.
En attendant, si vous appeliez Colette, je répondrais à ses questions, tandis que notre pauvre paresseux court les bois.
Dix minutes après, Colette avait repris sa place sur le petit tabouret et la leçon battait son plein.
— Monsieur le curé, maman m’a dit que la langue de l’Église était le latin. Pourquoi ?
— Parce que