Un bruit, troublant la paix de la nuit, l’éveilla en sursaut. Ce n’était pas le grondement familier du Cédron dont les eaux sales, en cette saison de printemps, bouillonnaient sur les cailloux à une portée d’arc de la maison. Ce n’était pas non plus le cri réglementaire des sentinelles romaines qui, là-haut, sur les remparts de Jérusalem, de quart en quart d’heure, se renvoyaient l’une à l’autre le mot de la garde. Que se passait-il donc ? Dans ce coin de banlieue écarté de la ville, tout était à l’ordinaire si tranquille ! Le garçon bondit de son lit, — un simple tapis posé sur une paillasse de roseaux, — et courut à la fenêtre.
Il se nommait Marc et avait à peine quinze ans. Depuis la mort de son père, sa mère Marie l’avait élevé ; pour le faire vivre, elle gérait un petit commerce : dans cette propriété qu’elle possédait à peu de distance de la ville, plantée d’oliviers centenaires, elle avait installé un pressoir à huile, où les gens du voisinage venaient apporter leurs récoltes ; cela lui assurait un modeste revenu. C’est pourquoi le domaine était connu de tout le monde sous le nom de Gethsémani, qui veut dire « pressoir à huile ». À cette heure, il n’était pas possible que ce fût un client !
Marc se pencha, scruta la nuit claire. La lune pleine naviguait paisiblement dans le ciel de nacre, et sa clarté illuminait les puissantes fortifications au haut desquelles s’apercevait le Temple majestueux. Le bruit suspect venait du chemin roide qui dégringolait de la porte vers le gué du torrent, un bruit de voix, de cliquètements d’armes, de lourds brodequins sonnant sur les cailloux. Trouant l’ombre, Marc aperçut des lueurs de torches. Son cœur battit plus violemment.
D’un seul coup, il avait deviné. Cette troupe qui descendait en hâte le raidillon… Il comprenait quelle triste besogne elle venait faire. Il pensa à son grand ami et à ses compagnons qui devaient dormir, sans méfiance, au pied des oliviers du jardin, comme ils en avaient demandé l’autorisation à sa mère. Les prévenir ! Dans sa hâte, il ne prit même pas le temps de s’habiller. Il ramassa son drap qui gisait à terre, s’en enveloppa comme les Romains faisaient de leur toge et, par la fenêtre, qui était peu haute, il sauta dans le jardin.
Trop tard ! Au moment où il allait rejoindre les trois Galiléens, les soldats et les policiers avaient déjà cerné le coin de l’olivette où ils se trouvaient. Marc se cacha derrière le tronc d’un arbre, et, passionnément, la gorge serrée, regarda. Il avait bien entendu dire, depuis déjà pas mal de temps, que les chefs des prêtres voulaient faire arrêter le merveilleux prophète… Pourquoi ? Il en était indigné, mais il ne comprenait pas. Qu’avait-il donc fait ? Rien de mal, rien que de généreux et de charitable. Lui, Marc, qui depuis six mois, l’avait suivi sur les routes de Judée, et l’avait si souvent écouté, il pouvait le jurer : non, Jésus n’avait rien fait de répréhensible ! Il avait guéri des malades, rendu la vue à des aveugles, multiplié les aumônes, consolé ceux qui souffraient. Était-ce donc cela