∼∼ XIII ∼∼
Cependant, le souvenir du petit scout, son voisin d’Ostie, occupe depuis plusieurs jours la pensée de Bernard.
Il en a parlé à sa mère et, sur son conseil, il est allé trouver le Père X.
Il en revient tout songeur, ayant appris de tristes choses.
Aussi, à peine la famille est-elle réunie après déjeuner, que Bernard fait part de sa découverte.
La pluie commence à tomber en larges gouttes. Bonne occasion pour causer tranquillement.
— Que pourrions-nous faire pour ce petit ? Figurez-vous qu’il est totalement orphelin. Il a perdu son père dans un accident de travail, deux petits frères sont morts, et la mère les a suivis, il y a trois mois, laissant l’aîné, André, seul dans une détresse navrante.
Il a été déniché par la troupe du Père X. Le chef s’y est attaché et a payé sa part pour l’emmener avec lui ; mais ce qu’il faut à ce petit, c’est une affection maternelle qui apaise son isolement. C’est épouvantable d’être seul au monde à douze ans !
— Mais tu n’as qu’à l’amener ici : maman et tante Jeanne s’en occuperont, et nous aussi, pourquoi pas ?
— J’y ai bien pensé, Colette. Mais ce n’est pas ici qu’il est malheureux. C’est quand il va rentrer à Paris. Où le placer ? Qu’en faire ? Le Père trouvera, bien sûr, mais quoi ? Sera-t-il jamais heureux ce pauvre gosse ?
Ici, papa intervient :
— Et voilà, mes enfants, qui vous fait toucher du doigt à quel point vous êtes privilégiés, quelle reconnaissance vous devez à Dieu, mais aussi toute la responsabilité qui vous incombera à travers la vie.
— Oui, mon oncle. Je me suis dit tout cela déjà, et si vous voulez réfléchir au sujet de l’avenir de ce petit, si maman le permet, je suis prêt à faire pour lui tout ce que je pourrai.
Ceci dit, Bernard se penche au balcon, puis se retournant :
— Écoutez tomber cette pluie, on dirait que les pompiers ont mis toutes leurs pompes en branle sur le toit. Ce sont des cascades.
— Vous savez le dicton à Rome : Il n’y a que les chiens et les Français à sortir par la pluie !
— Ça prouve, mon oncle, que les Français n’ont pas plus peur de l’eau que du reste. Quant aux chiens, ici, ils sont dehors par tous les temps.
— A propos de chiens et de dicton, mes enfants, ma pensée fait un drôle de rapprochement. Vous savez que, chez les musulmans, ces pauvres bêtes sont très dédaignées, si bien que, pour donner aux catholiques une marque de souverain mépris, les mahométans disent : Ces chiens de chrétiens !
— Hé bien, ils sont polis ! décrète Colette offensée. Je voudrais bien savoir qui sont ces gens si méprisants ?
— Comment, dit Jean dédaigneux, tu en es là ? Nous en avons pourtant assez rencontré en Syrie : des Arabes, des Bédouins, des Turcs, tous mahométans.