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Le père Bourjade, missionnaire du Sacré-Cœur d’Issoudun chez les Papous
Un aviateur français de la Grande Guerre, Bourjade, mourait missionnaire, six ans après le rétablissement de la paix, dans la Nouvelle-Guinée Britannique. Il dut toutes ses énergies, toutes ses aspirations, à la méditation quotidienne du livre de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : l’Histoire d’une âme ; elle était déjà sa patronne, à lui Bourjade, avant que Pie XI ne l’eût proclamée patronne de tous les missionnaires.
Tout jeune, il s’était senti attiré vers la congrégation du Sacré-Cœur d’Issoudun, fondée au XIXe siècle par le Père Chevalier. Cette congrégation partage avec nos Maristes et nos Picpuciens la tâche d’évangéliser l’Océanie et de la civiliser. Pour se ranger sous les disciplines du noviciat, le jeune Bourjade avait dû s’exiler de sa patrie, émigrer en Espagne, en Suisse. Le fervent Français qu’il était avait accepté d’aller au loin, comme prélude de la vie de sacrifices qui, chez les sauvages, l’attendait. Et l’acte d’offrande par lequel naguère, à Lisieux, la petite carmélite s’était donnée au Christ, devint, dès qu’à Fribourg Bourjade en connut le texte, la devise même de sa propre vie.
La guerre de 1914 ramenait Bourjade en France ; et dans le rêve qu’il formait, et qui se réalisa, de délaisser le service des crapouillots pour entrer dans l’aviation, se glissait à l’arrière-plan une idée missionnaire : il songeait que pour ces conquêtes spirituelles qui, durant l’après-guerre, seraient son office et son partage, l’avion, redevenu pacifique, pourrait être un merveilleux instrument. La paix rétablie ouvrait au « pilote de sainte Thérèse » des perspectives nouvelles dans la cinquième partie du monde : en 1921, Bourjade prenait la route de l’Océanie. Vers la fin de sa vie terrestre, cette Thérèse dont il éprouvait sans cesse, au delà du voile qui sépare terre et ciel, la fidélité protectrice, avait dit à l’une de ses sœurs du Carmel, qui la voyait marcher avec beaucoup de peine : « Savez-vous ce qui me donne des forces ? Eh bien ! je marche pour un missionnaire ; je pense que là-bas, bien loin, un d’eux est peut-être épuisé dans ses courses apostoliques, et, pour diminuer ses fatigues, j’offre les miennes à Dieu. »
Bourjade avait souvent admiré cet émouvant propos, et lorsqu’il naviguait vers les populations les plus sauvages de l’univers, il était soutenu par le souvenir de Thérèse. Lorsqu’elle appartenait à l’Église militante, elle « marchait » pour les missionnaires ; aujourd’hui, membre de l’Église triomphante, elle avait d’autres méthodes pour les servir.
Bourjade allait prendre contact avec ces Papous, chez qui Mgr Verjus, en 1885, avait jeté les premiers germes du Credo ; il allait voir, dans leur cathédrale de Yule-Island, les femmes aux têtes rasées, vêtues d’un léger pagne en herbes, qu’ornent des dents de chien ; les hommes tout rutilants d’huile rouge, dont les bracelets de fibre, les ceintures d’écorce, les jarretières sont parés d’herbes odorantes, et dont la chevelure crépue se constelle de magnifiques fleurs. Mais Bourjade n’était pas destiné à être le desservant d’une cathédrale ; il fallait qu’il allât plus loin dans la pleine sauvagerie, dans la pleine canaquerie, sur ces bords fétides où bâillent les crocodiles ; il fallait qu’il affrontât les marécages et qu’il affrontât les serpents. Il fallait qu’il acceptât l’idée de se dévouer jusqu’à la mort pour des sauvages qu’il était difficile d’approcher, plus difficile encore de convertir, puisque en quarante ans ses frères d’apostolat n’avaient pu prendre contact qu’avec vingt mille âmes, dont neuf mille seulement étaient venues au Christ.