Système « D » pour goal non confirmé

Auteur : Falaise, Claude | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements .

Temps de lec­ture : 8 minutes

« Vou­lez-vous m’an­non­cer à Mon­sei­gneur… s’il vous plaît, » ajou­ta après coup Basile.

Le secré­taire de Mon­sei­gneur demeu­ra un ins­tant muet de stu­pé­fac­tion en face du jeune gar­çon aux allures ath­lé­tiques et désin­voltes qui lui deman­dait de l’in­tro­duire dans le bureau de son .

« J’en ai déjà vu pas mal de drôles, son­gea l’ab­bé Char­pente ; mais des petits gars aus­si sûrs d’eux que celui-ci… jamais, bien sûr ! »

— C’est à quel sujet ? inter­ro­gea le prêtre, dési­reux d’é­vi­ter à son supé­rieur toute visite sus­cep­tible d’être reçue aus­si effi­ca­ce­ment par l’un des ser­vices de l’évêché.

— Affaire stric­te­ment per­son­nelle, répon­dit Basile.

évêché où Basile sollicite l'évêque pour recevoir la confirmation

L’ab­bé Char­pente res­ta sans voix. Déci­dé­ment ce jeune sol­li­ci­teur savait ce qu’il vou­lait, et le vou­lait avec force.

La manière per­sua­sive, la droi­ture de son regard, sa pres­tance en imposaient.

« Voi­ci que je me laisse inti­mi­der par un gamin ! » se gron­da l’ab­bé ; mais il frap­pa quand même à la porte de Mon­sei­gneur et intro­dui­sit l’é­ton­nant visiteur.

Basile entra sans hési­ta­tion, tra­ver­sant avec aisance la vaste pièce aux meubles vieillots.

L’é­vêque s’é­tait levé. Il ne le fai­sait pas pour tous les visi­teurs, étant presque impo­tent ; mais l’en­trée de ce moins de quinze ans en ce salon où défi­laient sur­tout des gens âgés et impor­tants appor­tait une telle bouf­fée de fraî­cheur et de jeu­nesse que le vieil homme s’a­van­ça vers l’ar­ri­vant avec une tendre joie.

— Mon enfant, mon cher enfant ! Vous avez dési­ré voir votre Évêque ?

— Oui, Monseigneur.

— Et pour­quoi avez-vous besoin de votre Évêque, mon fils ?

— C’est pour une confir­ma­tion, dit Basile avec assu­rance. Vous pou­vez y aller : je suis à jeun, ajou­ta-t-il, tra­his­sant du pre­mier coup par ce détail son igno­rance, et le côté abso­lu­ment anor­mal de sa démarche !

L'Evêque reçoit Basile à propos de sa confirmationMon­sei­gneur gagna cal­me­ment son fau­teuil, fit asseoir Basile près de lui. Il n’a­vait pas sou­ri. Aus­si extra­va­gante que soit la pré­ten­tion du jeune incon­nu, ne tra­his­sait-elle pas une cer­taine volon­té de faire quelque chose de bien, une quête de l’Es­prit — de cet Esprit qui se donne avec effu­sion au confir­mé à l’heure de l’onc­tion sacrée ?

— Si je com­prends bien, reprît le vieillard, vous êtes venu deman­der à votre Évêque de vous confir­mer et de le faire à l’ins­tant même ?

— Pour­quoi non ? dit Basile, n’est-ce pas l’É­vêque qui confirme ?

Et parce qu’il était fina­le­ment droit autant que sûr de lui et sans com­plexes, le gar­çon explique :

— Bien sur, je sais que cela se fait dans les paroisses : vous êtes venu dans la mienne — à Saint-Mar­tin du Fleuve, la semaine dernière…

—…et vous avez eu un empê­che­ment, mon cher enfant, pour­sui­vit l’É­vêque. Je devine : vous étiez souffrant.

Mon­sei­gneur ne devi­nait pas du tout…

— Non, dit Basile, je n’é­tais pas malade. Mais il y avait un match de foot à Mira­mar. Je jouais goal, vous com­pre­nez, je ne pou­vais pas rater ça !

Mon­sei­gneur ne com­pre­nait pas du tout, ou plu­tôt, il com­pre­nait qu’ayant à choi­sir entre les dons du Para­clet et le filet de son équipe, Basile avait choi­si ses buts. Natu­rel­le­ment, Mon­sei­gneur n’é­tait pas, ne pou­vait pas être d’accord…

Mais la sin­cé­ri­té de cet éton­nant goal lui plai­sait. D’ailleurs ne faut-il pas essayer de com­prendre tou­jours, quitte à ne pas approuver ?

— Ayant donc man­qué la céré­mo­nie de confir­ma­tion pour être fidèle à vos enga­ge­ments spor­tifs, vous sou­hai­tez main­te­nant rece­voir quand même ce grand sacrement ?

jeunes garçons jouant au foot— Exac­te­ment, Mon­sei­gneur. L’autre jour mon équipe a gagné contre Mira­mar — 5 à 2 — hein ? C’est drô­le­ment bien ! Aujourd’­hui, je joue contre vous, Mon­sei­gneur, nous n’al­lons tou­jours pas faire match nul ?

Le vieillard prit te temps de res­pi­rer… Ces jeunes ! Comme il lui fal­lait, à lui, l’aide du Saint-Esprit — de cet Esprit « éter­nel­le­ment jeune » — pour com­prendre un si éton­nant langage !…

— Et que pense votre curé de toute cette affaire ?

— Il m’a dit : « Débrouille-toi avec Son Excel­lence, je ne puis rien pour toi ! »

Le vieil homme com­men­çait à s’a­mu­ser beau­coup inté­rieu­re­ment. Il connais­sait bien le curé de Basile — un saint homme, quel­que­fois noyé dans les pro­blèmes hors série. Bien sûr, il n’a­vait point pen­sé que son caté­chu­mène foot­bal­leur pren­drait à la lettre cette réflexion pleine de bon sens.

Basile, lui, était sans com­pli­ca­tions. On lui avait dit de s’ar­ran­ger avec l’au­to­ri­té : il avait enfour­ché son vélo, péda­lé avec éner­gie et était venu à la ville où vivait l’É­vêque. Main­te­nant, il y avait un silence entre le vieux prêtre et l’en­fant ; mais l’en­fant n’a­vait pas peur et c’é­tait l’É­vêque qui tremblait.

— Je te confir­me­rai cer­tai­ne­ment, dit enfin Mon­sei­gneur, oui, je te confir­me­rai, mon fils, mais ce ne sera pas aujourd’hui.

Basile savou­ra le sou­dain tutoie­ment et répondit :

— … Mais Mon­sei­gneur, puisque je suis à jeun…

— Je sais, tu es à jeun, tu me l’as dit ; et si cela prouve ton endu­rance phy­sique, cela indique aus­si que tu n’es pas bien infor­mé encore, ni bien prêt pour ce sacre­ment que tu désires : le jeûne n’est pré­pa­ra­toire qu’à la récep­tion de l’Eucharistie.

Des larmes — inat­ten­dues en ces yeux d’un gar­çon si dur à lui-même — per­lèrent aux cils de Basile.

— Excuse-moi, dit le vieillard avec plus d’hu­mi­li­té que de reproche dans la voix, mais puisque tu as fait attendre l’Es­prit-Saint l’autre fois en lui pré­fé­rant le , peut-être trou­ve­ras-tu juste que ton Évêque te fasse attendre les dons de l’Es­prit. Ceci te paraît-il sportif !

Mon­sei­gneur avait hési­té sur le mot. Basile, lui, n’hé­si­ta pas : l’É­vêque était un vieil homme, mais un très grand homme.

— Com­ment pré­pa­rez-vous vos matchs ? Raconte-moi cela. Sans doute faites-vous de l’entraînement ?

Tout était clair désor­mais : sinon dans l’es­prit de Mon­sei­gneur, à pro­pos du jeu de foot, du moins dans l’es­prit de Basile à pro­pos de la confirmation.

Ins­tal­lés l’un et l’autre, en pen­sée, dans le stade si cher à l’a­do­les­cent, ils avaient trou­vé les com­pa­rai­sons qui s’im­po­saient : la confir­ma­tion est le sacre­ment qui fait les forts, qui trans­forme les simples bap­ti­sés en sol­dats de Dieu, en « spor­tifs » prêts à lut­ter dans l’a­rène, pour la gloire du Seigneur.

— Tu vois, mon fils, que cela demande aus­si une pré­pa­ra­tion. Peux-tu venir me revoir ?

— Tous les jeu­dis, Mon­sei­gneur, si vous voulez.

L’É­vêque ne sour­cilla pas. Tous les jeu­dis, c’é­tait beau­coup pour le chef du dio­cèse si occu­pé ! Pour­tant, il vit dans cette offre un geste déli­cat de Dieu. Ce jeune gar­çon si déci­dé à tout faire pour être confir­mé dans son état de chré­tien lui rafraî­chis­sait l’âme.

L'évêque confirme le jeune garçon— Très bien, dit-il. Je t’at­ten­drai donc jeu­di pro­chain, mon fils. Dans quelques semaines, je te confir­me­rai ; en atten­dant, je vais te bénir.

Comme Basile, une minute plus tard enfour­chait son vélo dans la cour de l’é­vê­ché, une fenêtre s’ou­vrit, une sil­houette cas­sée se pen­cha vers lui :

— Au fait, Basile, dit l’É­vêque, arrive donc vers midi, tu déjeu­ne­ras avec moi.

La fenêtre se referma.

L’ab­bé Char­pente frap­pa de nou­veau à la porte du bureau épiscopal,

— Le Révé­ren­dis­sime Père Géné­ral Nor­bert est là, Mon­sei­gneur, dit-il, il attend depuis une grande heure.

Il y avait comme un affec­tueux reproche dans la voix du secré­taire ; mais Mon­sei­gneur ne le remar­qua pas, il son­geait au brave curé de Saint-Mar­tin du Fleuve, le curé de Basile.

« Débrouille-toi avec Son Excel­lence » a‑t-il dit, Le vieillard rit tout seul, puis, sou­dai­ne­ment plus jeune de quelques années, il s’a­van­ça vers le res­pec­table reli­gieux qu’on intro­dui­sait enfin chez lui.

— Excu­sez-moi de vous avoir fait attendre, mon Révé­ren­dis­sime Père, je trai­tais une affaire très impor­tante ; oui, très importante…

Et ce n’é­tait pas là men­tir ; car rien n’é­tait plus impor­tant, pour le goal de Saint-Mar­tin du Fleuve, que cette affaire-là…

Claude FALAISE

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