Sous la Terreur

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Ordre

Toc-toc !

Sou­dain dres­sée sur son lit, Marie Gimet écoute… Mais elle n’en­tend plus que les coups de son cœur dans sa poi­trine et du sang à ses tempes…

Messe clandestine sous la TerreurPour­tant, elle n’a pas rêve. On a heur­té sa porte. Et qui peut venir à cette heure de la nuit ?… Elle fris­sonne : nul ne se sent en sécu­ri­té sous cette «  » qui les nobles, ceux qui ont ser­vi chez eux, ceux qui assistent à la messe, et même, sim­ple­ment, ceux qui n’ont rien fait pour la … Elle a été tant de fois assis­ter à la messe dans une cave ou dans une grange, elle, Marie… Elle a même deux fois por­té un pot de rillettes à Mon­sieur le Curé qui doit se cacher dans les bois pour échap­per aux gen­darmes de la Révo­lu­tion qui vou­draient le jeter en pri­son… Non, vrai­ment, elle n’est pas tranquille…

— Qui est là ?

Oui, qui est là, der­rière cette porte close ?… La mort ou la vie ?… Si ce sont les gen­darmes : c’est la mort sur la guillotine.

— Ouvrez, pour Dieu !

Elle a recon­nu la voix tant de fois enten­due à la messe. Elle prend la chan­delle en hâte, tire le ver­rou. Une ombre se glisse dans la cuisine.

— Mon­sieur le Curé !

— Chut, ma fille…

En une seconde, elle revit le drame des trois der­nières années. Vers la fin de 1790, des nou­velles alar­mantes arri­vaient de Paris : la Consti­tuante avait voté une loi odieuse qui sépa­rait du Pape toute l’É­glise de France : cela s’ap­pe­lait la « consti­tu­tion civile du cler­gé ». Serment Constitution civile du clergéTout évêque et tout qui refu­se­rait de jurer fidé­li­té à cette loi serait pour­sui­vi comme et pas­sible de pri­son et de mort, venu de Paris, cette mesure attei­gnit rapi­de­ment Bor­deaux. Ah ! Marie se sou­vient avec fier­té de ce dimanche de 1791 où tous les prêtres de Bor­deaux — sauf trois — refu­sèrent héroï­que­ment de prê­ter ser­ment, ce qui les eut ren­dus schis­ma­tiques. Mais voi­là qu’aus­si­tôt, on leur inter­dit d’exer­cer leur minis­tère, puis on les exile… Tou­te­fois, quelques-uns se cachent pour demeu­rer au milieu de leurs fidèles, ils conti­nuent en grand secret a célé­brer la messe, à aider les mou­rants, à admi­nis­trer les sacre­ments : mais c’est au péril de leur vie… Bien­tôt, cela aus­si est éven­té, les gens de la Révo­lu­tion orga­nisent de vastes « chasses aux prêtres réfrac­taires », cela finit sou­vent à l’é­cha­faud… Depuis quelques jours, une cer­tain Lacombe a pro­cla­mé bien haut qu’il allait « exter­mi­ner toute cette canaille fana­tique ». Un vent d’an­goisse souffle sur le vil­lage où la guillo­tine est dressée…

— Ma bonne Marie !… Je n’en puis plus !

— Sont-« ils » donc déjà après vous ? dites, Mon­sieur le Curé…

— Pas encore, ma fille. Mais une âme cha­ri­table m’a pré­ve­nu : quel­qu’un a dénon­cé ma cachette. J’ai pu fuir avant qu’« ils » arrivent…

Il a pu fuir. Il a cou­ru jusque chez Marie Gimet. Il ne sait trop ce qu’il va faire à présent…

Le temps qu’elle ral­lume la chan­delle, Marie a vu, clair comme le jour, ce qui l’at­tend si elle cache le prêtre chez elle ; hier, en reve­nant de cher­cher sa farine, elle est pas­sée sur la place où la guillo­tine est debout… Bien des têtes y sont déjà tom­bées pour moins que cela !…

Mais cet homme, là, en face d’elle ?… Ce prêtre qui porte à Dieu la prière des hommes et fait des­cendre sa grâce sur eux ?…

Elle replace la chan­delle sur le chan­de­lier. Si ce prêtre est arrê­té, il n’y aura plus per­sonne à quatre lieues à la ronde pour offrir la messe, per­sonne pour bap­ti­ser les enfants, per­sonne pour don­ner l’Eu­cha­ris­tie, per­sonne pour par­don­ner les péchés, per­sonne pour aider les mou­rants à l’heure suprême…

Elle pose le chan­de­lier sur la table. Si elle garde ce prêtre chez elle, c’est elle, sûre­ment, qui a neuf chances sur dix, de finir sur l’é­cha­faud. Mais qu’est-ce que cela peut faire si, de là, elle part droit chez le Bon Dieu ?…

— Venez avec moi, mon bon Père : je crois que j’ai ce qu’il vous faut.

Sans phrases, sans cal­cul, elle emmène le prêtre au grenier.

— Regar­dez ce réduit par­fai­te­ment dis­si­mu­lé, Qu’est-ce que vous en dites, Mon­sieur le Curé ?… « Ils » ne vien­dront pas vous déni­cher là…

Le saint homme hésite : il ne veut pas com­pro­mettre la jeune fille : qui­conque cache un prêtre est pas­sible de mort, il ira, Dieu sait où… en quelque lieu désert…

Mais l’humble ouvrière devient très grave :

— Écou­tez, mon bon Père : je me repro­che­rai de vous lais­ser aller pen­dant que j’ai là une bonne cachette qui vous per­met­tra de conti­nuer votre saint minis­tère. C’est mon devoir de chré­tienne de vous gar­der. Leur guillo­tine ne me fait pas peur !

* * *

Ain­si Marie Gimet devint « rece­leuse » d’un prêtre… puis de deux…

Des mois pas­sèrent, lourds de transes et d’an­goisses. Mais féconds aus­si : grâce à Marie, la messe conti­nuait d’être dite, les chré­tiens fai­saient leurs Pâques, les mou­rants étaient absous, et les enfants baptisés…

Pour­tant vint une nuit de mai 1794…

Arrestation de prêtres réfractaires« Toc-toc ! »

Ceux-là n’at­ten­dirent pas la réponse : enfon­çant la porte à coups de crosse, les hommes de la Révo­lu­tion firent irrup­tion dans l’humble demeure… et en res­sor­tirent, pous­sant Marie et ses deux hôtes consa­crés vers les pri­sons de la ville…

* * *

— Depuis quand logeais-tu ces deux hommes ? demande le sinistre commissaires.

Marie se recueille. Voi­là six mois que — grâce à elle — la vie chré­tienne conti­nue dans la ville.

Sa réponse sonne comme un clai­ron triomphal :

— Six mois.

— Qui te les a envoyés ?

— Le Bon Dieu.

— A‑t-on dit la messe chez toi ?

guillotine TerreurLe ton monte. La menace se pré­cise. Mais Marie se redresse et plante son regard, droit dans celui du commissaire :

— Oui, on a dit la messe chez moi. Et je serais bien fâchée qu’elle n’y ait pas été dite.

— Il venait du monde à ces messes ?

— Quelques per­sonnes. C’est moi qui les invitais.

— Leurs noms ?

— C’est un secret. Je l’emporterai dans ma tombe.

— Savais-tu que tu man­quais à la loi en don­nant asile à des ci-devant prêtres ?

Celui-là qui l’in­ter­roge va déci­der de sa vie ou de sa mort. Marie le sait. Elle n’est qu’une ouvrière et ne sau­rait dis­cu­ter des lois. Elle connaît une seule chose et la dit crânement :

— Il vaut mieux suivre la loi de Dieu que celle des hommes !

Une heure plus tard, sa tête tom­bait sous le cou­pe­ret. Mais qu’im­porte si son âme arri­vait tout droit chez le Bon Dieu ?…

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* * *

C’est main­te­nant Ysa­beau Abrial, une fillette du hameau de Mai­son-Seule, près d’Ys­sin­geaux. Elle aus­si est tra­duite au juge­ment du trop célèbre com­mis­saire Lacombc.

— On a trouve chez vous des « coli­fi­chets du fanatisme ».

-— Vous pour­riez dire : un calice et des orne­ments sacrés. Oui, c’est moi qui les y ai ame­nés. Mes parents n’y sont pour rien ; laisse-les aller.

— Tu sais à qui appar­te­naient ces choses-là ?

— Oui.

— Dis-le.

— Jamais.

— Ton refus t’ex­pose à la guillotine.

— …

Un mot, un nom, et elle serait sauvée.

Mais l’en­fant se tait. Entre son père et sa mère, condam­nés aus­si, elle mour­ra pour s’être tue.

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* * *

Durant la Révolution, prêtre caché par une bergèreMade­leine Coste, pay­sanne du Lan­gue­doc, est arrê­tée en même temps que l’ab­bé Ber­nar­don qu’elle cachait dans sa chaumière.

— La citoyenne Coste est condam­née à mort comme rece­leuse de prêtre.

— Ah ! mon Dieu ! Une pauvre pay­sanne comme moi… Mon Dieu, je vous remer­cie, jamais je n’au­rais espé­ré l’hon­neur de mou­rir pour vous !

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* * *

Marie Best, de la ferme des Bruas, com­mune de Beaune (Haute-Loire).

— Savais-tu que tu t’ex­po­sais à des peines en don­nant asile à un réfractaire ?

— Oui.

Elle aus­si est condam­née et exé­cu­tée aus­si­tôt sur la place du Mar­touet, au Puy.

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* * *

A Orange, trente-deux reli­gieuses sont arrê­tées. On les somme de prê­ter, elles aus­si, le ser­ment qui les ren­drait schis­ma­tiques. Toutes refusent. Le com­mis­saire du peuple retient la plus jeune, presque une enfant :

— Allons, Hen­riette… tu es si jeune… Pour­quoi vou­loir mou­rir ? Prête ser­ment : un seul mot et je te rends à ta mère…

— J’ai prê­té ser­ment à Dieu, et n’en prê­te­rai point d’autre.

Une vieille Sœur converse dira pareillement :

— Je veux mou­rir « romaine ».

Et une autre de répli­quer au com­mis­saire Fauvety :

— Je ne suis qu’une igno­rante. Je ne suis pas capable de dis­cu­ter avec toi, mais je puis mourir.

Pas une n’a faibli.

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Religieuses de Compiegne à l'échafaud

* * *

En Artois, c’est Madame Bataille qui se fait pro­tec­trice et hôtesse des prêtres per­sé­cu­tés. Chez elle, on dit la messe, on se marie… Sa for­tune passe en aumônes. Et, lors­qu’elle n’a plus rien à don­ner, elle va de porte en porte, quê­tant « pour l’a­mour de Dieu ». Sa cha­ri­té la désigne, et elle en est fière : le 14 avril 1794, elle est condam­née à mort avec qua­torze autres femmes cou­pables, comme elle, de foi et de charité.

* * *

Elles sont ain­si des mil­liers par toute la France à ris­quer leur vie pour gar­der leurs prêtres. Elles font leur devoir sim­ple­ment, même si celui-ci les mène à l’é­cha­faud. Je vou­drais vous dire leurs noms, leur héroïsme, leur foi, mais il y fau­drait un livre entier. J’ai pris au hasard, dans leur inter­mi­nable liste… Regar­dez-les. Aimez-les. Soyez fiers de vos aînées. Soyez dignes d’elles aussi…

Rose Dar­dennes.

Un commentaire

  1. Aline a dit :

    Mer­ci pour toutes ces mer­veilleuses his­toires, vécues ou non, qui ravivent notre foi et notre espérance.
    Je broyais du noir et voi­ci qu’ap­pa­rait une lumière. La Lumière.
    Mer­ci et que le Nom de notre Sei­gneur soit glorifié

    22 novembre 2016
    Répondre

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