Non loin de la pittoresque ville de Semur en Côte-d’Or, se trouve une bourgade modeste : Alise Ste-Reine.
C’est l’antique Alésia dont le nom est entré dans l’histoire. On sait que c’est là, qu’après une résistance héroïque, Vercingétorix se rendit à César en l’an 52 avant l’ère chrétienne.
Sait-on aussi que le nom de sainte Reine rappelle le souvenir d’une jeune martyre gallo-romaine, qui versa son sang pour le Christ à Alésia ?
Reine naquit en 236 à Alésia, au palais du Seigneur Clément, son père. Il était riche, puissant, mais païen farouche, il poursuivait de sa haine les chrétiens. L’idolâtrie ne devait disparaître que deux siècles plus tard, après la conversion de Clovis.
La mère de la petite Reine mourut peu après sa naissance, et Clément confia le bébé à une nourrice dont on lui avait vanté l’honnêteté. La brave femme était chrétienne mais Clément l’ignorait. Elle s’attacha fortement à sa gracieuse petite nourrissone, la fit baptiser secrètement et l’éleva dans la religion du Christ à l’insu de son père.
Les premières paroles que prononça Reine furent les noms de Jésus et de Marie. A mesure que se développait sa jeune intelligence, la nourrice lui fit comprendre qu’elle ne devait parler de sa religion à personne, même pas, et surtout pas, à son père. Reine comprit, et quand le Seigneur Clément passait à cheval en allant à la chasse ou en expéditions guerrières, il s’arrêtait pour embrasser sa petite fille, écoutant un instant son babillage ; mais celle-ci prenait bien garde de ne pas lui parler de Dieu, de Jésus, ou de sa sainte Mère.
Clément ne tarda pas à rappeler au palais la petite ; elle avait sept ou huit ans, il était fier de sa beauté.
— « Prends bien garde, mon agneau, dit en l’embrassant sa nourrice. Ne dis à personne au château que tu adores le vrai Dieu. Fais-le en secret dans ton cœur, le Seigneur Clément te mènerait à la mort lui-même, s’il savait que tu es chrétienne.
— Ne crains rien, nourrice. Je ne prierai Dieu qu’en secret et attendrai d’être plus grande pour parler de Lui. »
Reine fut prudente et longtemps le grand secret fut ignoré de tous au palais. Mais de la voir parfois mystérieuse et secrète, s’enfermant seule pour prier et n’accordant jamais un regard aux idoles auxquelles on offrait de l’encens, éveilla les soupçons.
Le Majordome de Clément lui dit un jour :
— « Maître, un bruit court. On dit que votre fille, la demoiselle Reine, s’est laissée séduire par la secte du Galiléen, qu’elle l’adore en secret, et porte sur son cœur une croix dissimulée sous ses dentelles.
— Ma fille ! s’écria Clément, c’est impossible. Je n’ai que cette belle enfant et elle serait chrétienne ? Qu’on me l’amène immédiatement. »
Tout le château est en émoi. Les serviteurs aiment tous la petite Reine… que va-t-il lui arriver ?
— « Le maître est dur et cruel, murmure-t-on, que va devenir notre demoiselle ? Il ne voudra rien entendre. »
Tous se rassemblent pour voir ce qui va se passer.
On s’attend à ce que la fillette, âgée de 12 à 13 ans, ne s’écroule à genoux, terrorisée, en larmes, aux pieds de son père. Mais non, Reine s’avance toute droite, les mains croisées sur sa poitrine.
Clément la regarde durement.
— Est-ce vrai, Reine, es-tu chrétienne ?
— Oui, père, j’adore le seul vrai Dieu, je crois en lui.
La colère de Clément éclate, mais à ses cris de rage, à ses menaces, Reine ne répond qu’un seul mot :
— Je crois en Dieu, en Jésus-Christ son Fils unique ; mais mon respect pour vous mon père, n’est pas changé. Je vous obéirai en tout, sauf à renier ma foi.
— Puisque tu persistes dans ta folie, fille dénaturée, je te chasse de ma demeure. Va-t-en ! je te défends de reparaître devant mes yeux ! »
Reine ne proteste pas, elle sait que son père est inflexible. Elle s’éloigne, les yeux pleins de larmes, et, sans emporter le moindre bagage, quitte le château et prend toute seule la route champêtre conduisant à la chaumière de sa nourrice.
En voyant la fille du Seigneur, solitaire et sans escorte, les paysans et ceux qui la rencontrent, s’étonnent :
— « Où peut aller ainsi la fille du Seigneur Clément ? »
Grand fut également l’étonnement de la nourrice quand elle vit la petite princesse lui tendant les bras.
— « Nourrice, nourrice, mon père sait que je suis chrétienne, il me chasse… alors je viens vivre avec toi ; comme cela je pourrai pratiquer ma religion.
— Mais ma petite Reine, je ne puis t’offrir la vie que demande ta noble naissance ; je ne suis qu’une pauvre paysanne. Tu es habituée maintenant à la vie du château et, même si tu acceptes de vivre près de moi, ce n’est pas dans ma petite chaumière que tu trouveras un mari digne de toi, et de ton sang.
Reine se mit à rire.
— « Oh ! nourrice ne te soucie pas de me trouver un mari, je n’ai que 13 ans et… j’ai choisi déjà celui qui sera mon unique époux. J’ai consacré ma vie à Notre divin Sauveur. »
Et Reine mena la vie d’une petite paysanne, se livrant à tous les travaux. Elle filait, allait laver le linge à la fontaine, épluchait les légumes, raccommodait les vêtements, toujours souriante. Son grand plaisir était de conduire aux champs quelques brebis. Dans la solitude des grands espaces, elle trouvait Dieu, s’absorbant dans une longue prière. La jeune patricienne n’était plus entourée d’amies de son âge, ni de serviteurs complaisants, mais l’intimité divine lui suffisait. Elle alimentait ses méditations des bons conseils que lui donnait le prêtre de la bourgade, qui l’avait baptisée.
Un jour elle eut quinze ans.
Ce jour-là justement, Reine était avec son petit troupeau au lieu dit « les Trois Ormeaux », quand vint à passer un fringant cavalier suivi d’une brillante escorte.
C’était le préfet des Gaules, Olybrius, en tournée d’inspection. Frappé de la beauté et de la distinction de la jeune bergère, il s’arrêta, ordonnant à ses soldats de la lui amener sur-le-champ.
Reine reconnut Olybrius qu’elle avait autrefois aperçu au château de son père et trembla.
— « O Christ, dit-elle dans son cœur, je suis ton épouse, ne permets pas qu’on me fasse injure, garde-moi tienne. Accorde-moi la grâce de mourir plutôt que de perdre ma virginité. »
Fortifiée par cette prière, elle s’approcha sans crainte d’Olybrius.
— « De quelle race es-tu pour être si belle ?
— Je suis de race noble.
— Si tu es noble, quel est ton nom ?
— Reine. Je suis fille du Seigneur Clément.
— Tu ne devrais pas être ici à garder des bêtes, il me semble quel métier fais-tu donc là ?
— Je fais le métier d’adorer la Très Sainte Trinité.
— Ah vraiment tu es donc une complice du Galiléen ?
— Oui, je suis chrétienne, et le Christ saura me protéger, puisque je suis sa servante.
— Tu es une petite entêtée, mais nous allons mettre bon ordre à tout cela. Emmenez-la et gardez-la bien, dit le préfet à ses soldats, je vais voir avec le Seigneur Clément à arranger les choses. »
Clément fut fort en colère apprenant l’attitude de sa fille vis-à-vis du tout-puissant préfet. Il craignait de perdre ses bonnes grâces et lui donna toute liberté d’agir contre son enfant.
Le lendemain dès l’aube, des trompettes claironnantes convoquèrent la population sur la grande place. Le peuple accourut en foule plein d’effroi et de curiosité. Olybrius siégeait sur son trône. Il ordonna que Reine fût amenée. S’avançant au-devant de la jeune fille, il lui dit avec une certaine douceur :
— « Jeune fille, tu dois adorer nos dieux, et il ajouta tout bas se penchant vers elle : Si tu n’es pas convaincue qu’importe, fais semblant de l’être, pense à toi, à ta jeunesse, à ta beauté. L’avenir s’ouvre devant toi. Je te comblerai de richesses, tu seras mon épouse. Tout le monde sera à tes pieds.
— Non, dit Reine en redressant sa tête fière, je ne puis être ton épouse et je ne puis adorer tes dieux.
— Ne t’obstines pas, Reine, je suis tout-puissant, tu dois obéir. Si tu me résistes, j’ai le fer et le feu pour te torturer, te réduire à la soumission ou te mener jusqu’à la mort. Réfléchis avant de me répondre.
Reine secoua doucement la tête.
— L’or et la puissance des hommes ne comptent pas pour moi. Ma seule richesse est le Christ, mon époux. Je suis chrétienne, et pour lui je souffrirai joyeusement la mort qui me réunira à Lui pour toujours ».
Olybrius était perplexe ; s’il livrait l’adolescente aux bourreaux, elle perdrait sa radieuse beauté et il la voulait pour épouse ; mais comment vaincre son obstination ?
Il pensa qu’un emprisonnement, sévère en viendrait à bout, et décida de livrer Reine à son père, pendant quelques mois. Lui irait, pendant ce temps, batailler pour l’empire romain.
— « Clément, dit-il en s’éloignant, je vous la confie, n’épargnez rien pour que je trouve à mon retour une fiancée soumise et docile. »
Et Clément se fit le bourreau de son enfant. Il n’avait qu’une crainte, perdre les bonnes grâces du tout-puissant préfet. Le Seigneur d’Alésia fit donc enfermer sa fille au fond d’un souterrain noir et humide dans son château de Grignon près de Flavigny-sur-Ozerain.
Elle fut attachée à une grosse chaîne par le milieu du corps, les extrémités de la chaîne furent scellées aux murs ; la longueur de la chaîne était calculée pour que la jeune enfant ne puisse ni s’asseoir ni faire un pas.
On peut encore visiter ce caveau aujourd’hui, plus tard un monastère bénédictin fut construit au-dessus. Ce fut un miracle que Reine puisse survivre à un tel supplice. Dieu voulait pour elle la gloire d’un éclatant martyre. Un fidèle chrétien lui faisait passer de l’eau et de la nourriture chaque jour. Elle priait attendant le ciel.
Les semaines et les mois passèrent. Olybrius revint à Alésia ; il s’empressa de demander à Clément si sa fille avait enfin cédé.
— « Hélas, mon cher préfet, elle est toujours têtue comme une mule ! Elle continue à dire qu’elle veut mourir pour son Dieu… pourtant je ne crois pas qu’on ait pu la traiter plus sévèrement que je ne l’ai fait. »
Olybrius convint de la bonne volonté de Clément, mais sa rage contre Reine était à son comble. Il dissimula son courroux et se fit amener Reine dans la plus belle salle de son palais, puis il voulut rester seul avec elle.
Une petite lampe brûlait sur l’autel des faux-dieux, l’encens était à côté dans une coupe.
Reine apparut toujours digne et belle.
— Reine, dit doucement le préfet, nous sommes seuls tous les deux. J’admire ta fierté, elle est digne d’une vraie patricienne. Tu as bien fait de ne pas adorer les dieux en public, mais maintenant je te demande de jeter à leur gloire seulement un grain, un seul petit grain d’encens devant moi, et tu seras libre. J’oublierai le passé, tu seras mon épouse et la dame la plus admirée de toute la Gaule.
— Je ne le peux, fit Reine avec douceur. Mon seul Dieu, c’est le Christ.
Olybrius resta un instant muet, puis il éclata.
— Tu l’auras voulu, fille obstinée !
Il fit appeler les bourreaux.
Dépouillée de ses vêtements et étendue sur le chevalet, des bourreaux armés de lanières commencèrent à flageller l’enfant.
Les nombreux assistants, tout païens qu’ils fussent, étaient bouleversés de ce spectacle et criaient :
— Tu es folle, Reine, cède enfin, brûle donc l’encens aux dieux et tu seras l’heureuse épouse du romain le plus magnifique.
— Taisez-vous, mauvais conseillers, disait Reine ! Vos dieux sont des idoles de pierre ou de bois ; moi j’adore Jésus-Christ, le seul vrai Dieu c’est Lui qui me donne force et joie dans les tourments.
Puis on l’entendit prier doucement :
— Seigneur, j’ai placé ma confiance en vous ; donnez-moi le courage de vous confesser jusqu’à la mort.
Fou de rage, Olybrius ordonna d’interrompre les tortures. Le corps de la jeune martyre déchiré et ruisselant de sang offrait un spectacle si douloureux que les femmes pleuraient et se trouvaient mal, tandis que les hommes murmuraient qu’ils en avaient assez. Olybrius lui-même se voila les yeux d’un pan de sa toge. S’approchant enfin de la martyre :
— Reine, lui dit-il, ton corps n’est plus qu’une plaie, ton sang ruisselle, pourquoi continuer à t’obstiner ? sacrifie aux dieux et ton supplice cessera.
— Je suis au Christ, murmura Reine.
La nuit était venue, on reconduisit la victime dans un cachot où elle fut enfermée.
Reine est seule dans cet infect réduit où les rats courent sur un sol gluant. Son corps n’est qu’une plaie vive, elle ne peut ni s’étendre ni dormir, mais la grâce divine la soutient. Elle remercie Dieu qui ne l’a pas abandonnée à sa faiblesse.
Soudain, une grande clarté illumine le cachot, les murs semblent disparaître. Reine est ravie en extase. Elle voit une croix lumineuse qui monte, jusqu’au ciel, tout en haut une petite colombe blanche bat des ailes ; elle sait que c’est son âme, qui sera bientôt libérée à jamais.
Elle ne sent plus ses souffrances, son cœur est plein de joie. Par un miracle insigne, toutes ses blessures sont guéries, il n’en reste pas trace.
Le lendemain, quand la jeune fille parut devant Olybrius, sans une plaie et plus merveilleusement belle que jamais, il fut frappé de stupeur, mais sa passion ne fit que se raviver. Pour tenter de la fléchir, il fit les plus belles promesses de l’or, des bijoux, des palais de marbre blanc à colonne de prophyre ; richesses, honneurs, amour, il mit tout cela aux pieds de cette petite vierge qui n’avait pas seize ans.
— « Je ne puis que mépriser tes promesses, répétait Reine. Pour toi les plaisirs et les satisfactions de la terre comptent seuls, ils passent avant ton respect pour les dieux. Mais moi, je ne puis manquer de fidélité au seul vrai Dieu qui est le mien. »
Olybrius remit donc la jeune fille, pour une nouvelle fois, aux mains des bourreaux. Des torches enflammées furent promenées sur sa chair miraculeusement guérie, puis on plongea ce corps tout brûlé dans de l’eau glacée. S’approchant alors, Olybrius vit que le corps flottait à la surface du bassin et que Reine souriait en priant :
— Le Seigneur a proclamé sa puissance, disait-elle, le Seigneur a manifesté sa gloire ! Jésus, mon Maître qui m’avez sauvé de la mort, soyez béni dans les siècles des siècles.
Olybrius comprit qu’il était vaincu par une faible enfant.
— Qu’on lui tranche la tête, ordonna-t-il.
La population d’Alésia se réunit au lieu de l’exécution. Puis Reine fut amenée enchaînée, entourée de gardes.
Elle regarda la foule et dit à haute voix :
— Je suis si heureuse, mes amis, je vais retrouver celui que j’aime ! S’il y a des chrétiens parmi vous qu’ils prient pour moi.
Les témoins du dernier supplice de la douce martyre affirment avoir vu, au moment ou sa tête fut tranchée, une blanche colombe s’élever vers le ciel.
Des chrétiens recueillirent les restes de la sainte enfant et les ensevelirent pieusement, plaçant près d’elle les grosses chaînes du cachot de Grignon.
Et les siècles passèrent avec des guerres, des invasions, des ruines. On finit par ne plus savoir où se trouvait l’emplacement de la tombe de Reine.
En 864, des Bénédictins s’installèrent à Grignon et voulurent raviver le culte de la petite sainte Reine.
Ils demandèrent à Dieu un miracle. Après avoir jeûné durant trois jours, ils partirent en procession pour le lieu où la tradition plaçait le tombeau de la jeune sainte.
Et tandis qu’ils chantaient des psaumes, une colombe blanche vint se poser sur un buisson.
Le Père Abbé creusa lui-même la terre à cet endroit. Bientôt une ancienne sépulture apparut. On ouvrit le cercueil et l’on découvrit le corps d’une enfant entouré d’une grosse chaîne ; et quoique six siècles fussent écoulés, de beaux cheveux dorés se voyaient au fond du cercueil.
Les restes de la sainte sont gardés à l’église paroissiale de Flavigny, la chaîne aussi a été conservée.
La petite Reine, qui renonça aux joies et aux gloires terrestres pour être fidèle à Dieu, est la patronne de bien des églises en France. On célèbre sa fête le 7 septembre.
Mère Madeleine-Louise De Sion.
Imprimatur
Verdun, le 4 décembre 1955. Mgr CHOPPIN, vic. gén.
Ma fille nee aujourdhui je la nomme Reine pour incarner la sainte. To God be the glory
Bon anniversaire à toutes les Reine