XII. CAPTIF A JÉRUSALEM
Chaque année, la Pentecôte attirait à Jérusalem des foules, venues de toutes les populations juives dispersées dans le monde entier. A la Pentecôte de l’année 58, Paul était dans la Ville Sainte depuis quelques semaines ; il avait revu les chefs de l’Église, leur avait rapporté tout ce qu’il avait fait, en tant de lieux, pour le Christ et sa foi. Mais un jour qu’il était sur l’esplanade du Temple, des Juifs d’Asie le reconnurent et se mirent à hurler :
— Le voici l’homme qui, partout, soulève le peuple contre notre sainte doctrine ! Le voilà le rebelle ! Il souille le Temple ! A mort ! à mort !
Immédiatement, c’est une ruée contre Paul. Sans l’intervention des légionnaires romains, il serait massacré. Le tribun Claudius Lysias, voyant, du haut de la forteresse, l’agitation de la foule, dégringola avec des renforts : en apercevant les chlamydes des troupes, les glaives et les cuirasses, les plus excités se sentirent calmés. Un ordre sec. Paul est arrêté, enlevé, porté de bras en bras par les soldats, tant la foule est pressée et menaçante.
Dans le calme de la forteresse, le tribun interroge Paul. Qui est-il ? pourquoi tout ce bruit ? L’Apôtre a beau tâcher d’expliquer ; c’est bien difficile, pour un soldat romain, de comprendre quoi que ce soit à ces discussions de Juifs ! Que Paul parle à ses compatriotes et tâche de les calmer ! Mais à peine l’apôtre a‑t-il prononcé vingt phrases que le tumulte de nouveau éclate. Exaspéré le tribun fait ramener Paul dans la forteresse et ordonne qu’on lui donne le fouet, pour avoir troublé l’ordre public. Mais alors Paul se redresse de toute sa petite taille et fixant sur l’officier un regard de feu :
— Est-ce qu’il t’est permis de faire fouetter un citoyen romain ?
— Tu es citoyen romain ? répondit le militaire se sentant interloqué.
— Oui.
— Beau titre ! Moi, j’ai dû l’acheter très cher.
— Moi, je l’ai de naissance.
Du coup, Lysias traita son captif avec égards. Il le garda en prison, en attendant que ses supérieurs lui disent ce qu’il devait faire, mais sans le maltraiter. La situation est néanmoins inquiétante. Autour de la forteresse, la foule hurle et réclame sa mort. Que le tribun prenne peur et qu’il l’abandonne à la furie, il sera massacré. Plus grave encore, un neveu de l’Apôtre qui habitait Jérusalem, apprit qu’un complot se préparait pour assassiner Paul un jour où il serait conduit de la prison à la forteresse de Lysias. Mais ce dernier, averti, prit la décision de faire partir au plus vite son prisonnier.
Solidement protégé par une escorte, Paul fut conduit à Césarée, le port luxueux où résidait le plus haut fonctionnaire romain, le Procurateur. Celui-ci l’interrogea longuement, avec sympathie, lui posant des questions sur le Christ et sa doctrine. Et Paul, courageux comme toujours, lui parla avec la plus grande franchise, lui reprochant ouvertement les péchés nombreux et publics qu’il avait commis dans sa vie. Seulement, le Procurateur ne se décidait pas à juger l’Apôtre, à le condamner ou à le libérer. Il savait bien que Paul n’avait rien fait qui méritât un châtiment ; mais, en le relâchant, le Romain redoutait de provoquer de nouveau des bagarres. Et le temps passait.
Alors Paul décida d’employer un grand moyen. Tous les citoyens romains avaient le droit absolu, quand ils étaient arrêtés, de faire appel à l’Empereur. En ce cas, ils devaient immédiatement être traduits devant des tribunaux spéciaux, nommés pour examiner de tels cas. C’était « l’appel à César ». Un jour donc, Paul demanda à être conduit devant le Procurateur, et lui dit :
— J’en appelle à César !
— Tu en as appelé à César, tu seras conduit à César.
XIII. UN VOYAGE FORT MOUVEMENTÉ
A l’automne de 59 donc Paul embarqua sur un petit navire qui cabotait sur les côtes d’Asie ; en compagnie de ses fidèles amis, Luc, Timothée et aussi Aristarque, un chrétien de Thessalonique, sous la protection d’un brave homme de centurion romain nommé Julius. Naviguer l’hiver sur un de ces petits bateaux n’avait rien de rassurant ou de confortable. Et de fait, le voyage de Palestine en Italie fut mouvementé.
Pendant plusieurs semaines, d’abord, le caboteur mouilla de port en port, cherchant des vents favorables, ce qui eut l’avantage de permettre à l’Apôtre de revoir plusieurs communautés chrétiennes. Puis, tout à coup, le vent gonflant les voiles, le rafiot fut entraîné à toute vitesse sur les côtes de Crète où il chercha refuge dans une médiocre rade de l’île. Le capitaine jugeant cet abri insuffisant, eut l’idée de reprendre la mer pour gagner le port de Phoenix, mieux protégé. Paul lui conseilla de n’en rien faire ; il avait tant voyagé sur mer qu’il connaissait les moindres signes avant-coureurs des tempêtes ; le capitaine persista dans sa résolution.
A peine le bateau fut-il sorti de la petite rade que l’ouragan emporta la frêle coque comme un bouchon : le cauchemar dura quatorze jours et quatorze nuits. Le jour il y avait tant de nuages qu’on ne voyait même pas le soleil, et les nuits n’avaient ni étoiles ni lune. Personne ne songeait même plus à manger. On jeta par-dessus bord tout ce qu’on put ; les cordages, le mobilier, les ancres ; on attacha tant bien que mal la coque avec des câbles pour qu’elle ne s’ouvrît pas. L’équipage y compris le capitaine, avait perdu la tête. Seul, Paul, calme, apaisait les terreurs. Non ! ils ne périraient pas tous ! le navire arriverait à une île et personne même ne serait tué.
Et il en fut ainsi ! Après une si affreuse épreuve, le navire arriva à l’île de Malte. Là un autre épisode montra que Paul était vraiment un homme de Dieu. Jetés à la côte par la tempête, les naufragés firent un grand feu pour se sécher. Soudain, d’une brassée de bois qu’il jetait dans les flammes, jaillit une vipère, qui planta ses crocs dans la main de l’apôtre. Toute l’assistance regarda avec épouvante cet homme si visiblement maudit du ciel que la Justice divine allait le faire mourir par le poison au moment même où il venait d’échapper au naufrage. Toujours imperturbable, l’Apôtre secoua la main au-dessus des flammes et la bête y tomba sans que lui-même eut aucun mal.
Au printemps de l’année 6o, ayant quitté Malte sur un navire de plus gros tonnage, qui s’appelait le Castor et Pollux, Paul arriva en vue de la rade de Naples. Le Vésuve fumait dans la brise légère ; la baie la plus belle du monde sentait bon l’oranger et étincelait de marbres. Par la voie Appienne, le centurion emmena en hâte son prisonnier et sa petite troupe vers Rome où il avait hâte de le remettre aux autorités. Et le soir de la troisième étape, dans un endroit nommé « le Forum d’Appias », l’Apôtre fut tout surpris d’être accueilli par un groupe de fidèles. L’Église de Rome, ayant appris que le célèbre missionnaire arrivait, lui avait envoyé une délégation pour lui faire fête.
XIV. LE PRISONNIER DU CHRIST A ROME
Rome, la capitale de l’Empire, était alors au plus haut de son prestige. C’était une ville de plus d’un million d’âmes, où affluaient hommes et marchandises du monde entier. Ses monuments étaient d’un luxe extraordinaire ; installé dans son richissime palais du Palatin, l’Empereur gouvernait un monde plus grand que l’Europe. Dans cette cité géante, depuis déjà bien des années, le bon grain de l’Évangile avait été semé. Le Prince des Apôtres, le vieux Simon que Jésus lui-même avait désigné comme son représentant à la tête de tous les fidèles, et auquel il avait donné le surnom de Pierre parce qu’il serait « la pierre sur laquelle serait bâtie l’Église », était arrivé à Rome dix ans avant, et autour de lui s’était constituée une petite communauté. Les Romains, à cette époque-là, ne persécutaient pas les chrétiens, ils les considéraient comme une des innombrables sectes qui pullulaient dans la religion païenne. Ainsi la petite Église de Rome avait-elle pu s’installer et prospérer.
L’arrivée de Paul lui donna un nouvel élan, tandis que Pierre répandait l’Évangile dans les milieux juifs de la capitale, Paul, lui, chercherait à atteindre les milieux romains. Comme il était citoyen, il fut traité avec égards : au lieu de le jeter dans un cachot, on l’autorisa à vivre dans une maison amie, simplement surveillé nuit et jour par un garde, et il put recevoir qui il voulait.
Très vite, cette maison-prison devint un centre où des gens de toutes sortes affluèrent, même de grands seigneurs, des personnages qui appartenaient à l’entourage de l’empereur. C’est ainsi que fut converti au Christianisme un homme de haute naissance, Linus, qui, plus tard, devait être le premier successeur de S. Pierre à la tête de l’Église, le second pape, Lin.
De toutes les parties de la Chrétienté, des amis accouraient pour entourer l’Apôtre prisonnier. Le cher Timothée, le fidèle secrétaire, était là ; Marc, qui avait, on s’en souvient, quitté Paul parce qu’il trouvait trop rudes ses grandes expéditions missionnaires, était revenu se mettre à son service ; il y avait aussi Aristarque, Tychique et beaucoup d’autres. Un jour, dans sa chambre de prisonnier, Paul vit arriver un messager tout fatigué : il arrivait de très loin, de la communauté de Philippes, qu’il avait fondée en Macédoine ; les chrétiens de cette minuscule Église avaient appris la captivité de l’apôtre, ils avaient aussitôt fait une collecte… Tout ému, Paul écrivit alors pour ses vrais amis Philippiens une de ses plus belles épîtres.
Après deux ans de cette captivité si étonnante, le tribunal romain rendit sa décision. Il n’y avait rien à reprocher à l’Apôtre, et c’était à tort que les Juifs l’accusaient de troubler l’ordre. Paul fut relâché. Il en profita pour repartir aussitôt : cet homme était vraiment infatigable. Peut-être alla-t-il en Espagne : on n’en est pas sûr, mais c’est possible. En tout cas, il retourna en Asie Mineure et en Grèce, revit ses chères « filles », les communautés chrétiennes qu’il avait fondées. Il en fonda encore d’autres, notamment en Crête.
Ce fut à Troie, en Asie Mineure, qu’il fut de nouveau arrêté. Dans la communauté d’Éphèse, il y avait des traîtres, des chrétiens apostats, c’est-à-dire qui étaient retournés aux superstitions païennes ; pendant son passage dans cette ville, Paul les avait démasqués et traités comme ils le méritaient. Deux d’entre eux l’avaient dénoncé aux autorités romaines comme chrétien.
Car, entre temps, la persécution contre les chrétiens venait de commencer dans tout l’Empire. Néron, le fou couronné, inaugurait ses horreurs. Un incendie terrible, en juillet 64, ayant ravagé onze des quatorze quartiers de la ville, le sinistre despote avait détourné la colère du peuple en accusant les chrétiens de l’avoir allumé. Arrêtées, jetées en prison sans jugement, des centaines d’innocentes victimes avaient été livrées aux plus horribles tortures.
Ramené à Rome, Paul n’y connut plus les égards et le confort relatif de sa première captivité. Jeté dans un affreux cachot, au deuxième étage sous terre, dans l’obscurité et le froid humide, au milieu des rats et des insectes immondes, il dut demeurer là des semaines, enchaîné. Quelques-uns de ses amis essayaient bien de lui porter secours, quelques courageux, car beaucoup d’autres se cachaient, terrorisés par la persécution. Il savait quel sort l’attendait, et il en était heureux. N’avait-il pas écrit lui-même que son plus grand désir était « d’achever dans sa chair ce qui manquait à la Passion du Christ » ? Et à son fidèle Timothée, il arrivait à faire passer une lettre émouvante où il lui disait :
— Je sais que le jour de mon départ est proche. Mon sang va être répandu comme le vin d’une coupe. Que m’importe ? J’ai combattu le bon combat, maintenant ma course s’achève. Il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne que me donnera, au jour suprême, le Seigneur, le juge juste… Et peu après, en effet, cette suprême couronne, il la reçut.
XV. SUR LA ROUTE D’OSTIE
Et maintenant évoquons, avec vénération, la dernière scène de cette vie exemplaire. Sur la vieille route de Rome au port d’Ostie, par une fraîche matinée d’automne, un cortège militaire emmène le petit Juif de Tarse vers le lieu où il va mourir. C’est maintenant un homme âgé, courbé, ridé, totalement chauve, mais son regard n’a rien perdu de sa lumière ni sa voix de son autorité. Les gros brodequins des légionnaires martèlent les dalles en cadence ; le vent siffle doucement dans les branches des grands pins.
Un groupe d’amis fait escorte au condamné ; Luc, qui vient d’écrire son Évangile, Lin, le futur Pape, Marc, Timothée, Pudent, Eubule. Il y a aussi des curieux affreux et même des Juifs féroces qui viennent se moquer de leur grand adversaire. Mais Paul, calme, marche fermement, en priant. Parfois des mots tombent de ses lèvres pour réconforter ses frères, pour les encourager à suivre son exemple et à mourir, eux aussi, pour le Christ.
Citoyen romain, Paul avait encore un ultime privilège, celui de ne pas mourir de la mort des esclaves, sur la croix, comme était mort Jésus, comme venait de mourir Pierre, qui n’était qu’un humble pêcheur. Lui, il serait décapité par le glaive. Quand il fut arrivé au lieu prévu pour le supplice, il s’agenouilla, continua à prier le Divin Maître. Un sous-officier romain leva la lourde lame et de la tête tranchée jaillit un jet de sang.
Aujourd’hui, pas très loin de l’endroit où le grand Apôtre donna sa vie pour le Christ, une basilique se dresse : Saint-Paul-Hors-les-Murs. Elle garde le souvenir de l’homme extraordinaire qui sema l’Évangile en tant de pays de la terre, du second fondateur de l’Église, de l’écrivain admirable des épîtres, de l’Apôtre, du Martyr. Et nous, qui connaissons maintenant son histoire, ne conserverons-nous pas aussi avec émotion la mémoire du petit Juif de Tarse, jeté à terre sur la piste de sable, et qui devint un des plus grands saints de tous les siècles, parce que Jésus l’avait assez aimé pour le frapper au cœur ?
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