Et maintenant une histoire ! Posts

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 15 minutes

« Dieu a tant aimé le monde qu’Il
a don­né son Fils unique ».

Jean s’é­veilla, le len­de­main matin, tout sur­pris de ne pas entendre la voix aigre de la mère Mathieu lui ordon­ner de se lever et, comme déjà le soleil prin­ta­nier inon­dait sa chambre, il se dit qu’il ne serait pas à la gare, à l’heure de l’ar­ri­vée des jour­naux… Mais la porte s’ou­vrit, et la vieille bonne entra, avec un bon sourire. 

Quelle joie ce fut pour l’ de faire une toi­lette soi­gnée, de mettre du linge et des vête­ments propres. Madame Lagarde vint cher­cher Jean : dans un joli geste affec­tueux, l’en­fant lui sau­ta au cou, comme s’il était rede­ve­nu le petit Jean­not qu’une mère tendre cou­vrait jadis de baisers. 

L'enfant se réveille - la semaine sainte du jeune garçon
La vieille bonne entra avec un bon sourire.

— Cher petit, dit Madame Lagarde, en embras­sant l’en­fant, comme tu me rap­pelles le fils que j’ai per­du à la guerre et dont tu as, cette nuit, occu­pé la chambre…

Elle emme­na Jean dans la salle à man­ger, et, pen­dant qu’il déjeu­nait, l’in­for­ma de ses pro­jets, pour la journée. 

— Ce matin, tu travailleras. 

— J’i­rai vendre des journaux ? 

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 15 minutes

Hosan­nah au Fils de David !

D’ABORD inti­mi­dé, Jean n’o­sant avan­cer, demeu­ra près du béni­tier, son à la main. Mais, à chaque ins­tant, la porte s’ou­vrait et, pres­sé d’en­trer, le nou­vel arri­vant bous­cu­lait l’. À la fin, un homme vêtu de rouge, et dont les culottes courtes lais­saient voir les bas blancs et les sou­liers à boucles, prit Jean par le bras et le pous­sa dou­ce­ment vers des bancs où de nom­breux petits gar­çons étaient assis côte à côte. Une dame en deuil, au visage doux et triste, fit signe à l’un des enfants de se recu­ler pour faire place à Jean et ordon­na tout bas à un autre gar­çon­net de don­ner au nou­veau-venu un livre noir à tranches rouges. 

Le petit ten­dit la main, mais il jeta sur la dame un coup d’œil embar­ras­sé et retour­na gau­che­ment le livre dans ses mains, mais sans l’ouvrir. 

La dame se pen­cha vers lui, en disant doucement : 

— Ouvre à la page 60 et suis l’office. 

— Je ne sais pas lire, bégaya l’enfant. 

La dame eut un geste éton­né, mais n’in­sis­ta pas : 

— Alors, regarde et dis ta prière, conseilla-t-elle. 

On n’a­vait pas besoin de dire à Jean de regar­der : il n’a­vait pas assez d’yeux pour contem­pler l’ad­mi­rable spec­tacle qui s’of­frait à lui. 

Dans le fond, près de l’au­tel doré et fleu­ri, des prêtres, magni­fi­que­ment vêtus de soie et d’or, se tenaient auprès d’un mon­ceau de rameaux, sur les­quels l’un d’eux éten­dait la main en par­lant dans une langue inconnue. 

— Levez-vous et tenez, tous, vos rameaux à la main, dit la dame, on va les bénir. 

Et Jean, comme les autres, bran­dit le brin d’o­li­vier, sur lequel tom­bèrent les paroles saintes :

Bénédiction des Rameaux - Levez-vous et tenez tous vos rameaux.
Levez-vous et tenez tous vos rameaux.

« Dai­gnez bénir, Sei­gneur, ces branches de pal­mier ou d’o­li­vier… Par Jésus-Christ Notre-Sei­gneur. Amen. »

C’é­tait, main­te­nant, devant l’au­tel illu­mi­né, la lente pro­ces­sion des prêtres en blancs sur­plis, qui rece­vaient, incli­nés, la palme ou le rameau qu’on venait de bénir. Der­rière eux, venaient des enfants dont la seule vue plon­gea le petit Jean dans un éton­ne­ment plein d’ad­mi­ra­tion. La plu­part d’entre eux n’é­taient guère plus grands que lui ; mais ce n’é­taient pas eux qui por­taient des culottes rapié­cées et des vestes trop longues. Ils avaient, tous, de belles robes rouges, ornées de tant de petits bou­tons, qu’il était impos­sible de les comp­ter. Une autre robe, de den­telle, blanche, celle-là, recou­vrait tout le haut du corps et s’at­ta­chait, sur les épaules, par des flots de ruban rouge. 

Sur les têtes, dont la plu­part étaient bou­clées, de toutes petites calottes rouges étaient posées, si en arrière, que Jean se deman­da com­ment elles pou­vaient tenir. Ce n’é­tait pas tout : des bas et des pan­toufles rouges com­plé­taient le cos­tume. Jean sou­pi­ra : Qu’ils devaient être heu­reux, ces enfants ! Ils sui­vaient, main­te­nant, la pro­ces­sion qui tra­ver­sait l’é­glise et leurs voix enfan­tines se mêlaient à celles des chantres. 

Cepen­dant, arri­vée à la grande porte, la moi­tié de la pro­ces­sion sor­tait sur la place de l’é­glise, tan­dis que l’autre moi­tié, demeu­rée à l’in­té­rieur, chan­tait les louanges de Dieu. À tra­vers la porte, l’on enten­dait des voix répon­dant aux voix des chantres. 

Puis, un coup fut frap­pé à la porte : elle s’ou­vrit et, le pre­mier, s’a­van­ça l’ qui por­tait une grande croix d’or. 

Der­rière lui mar­chaient les prêtres et les autres enfants por­tant des palmes et des rameaux. 

Alors, la messe com­men­ça : au son d’une clo­chette agi­tée par un enfant de chœur, les fidèles s’a­ge­nouillaient et se rele­vaient, et Jean, comme les autres, bais­sait la tête devant ce Dieu qu’on ne lui avait pas appris à connaître. 

Une émo­tion très douce l’en­va­his­sait : ces chants, ces céré­mo­nies, cette foule en prière, comme c’é­tait pai­sible et beau ! Jamais, depuis sa toute petite enfance, il ne s’é­tait sen­ti si heu­reux et si tran­quille. Autour de lui, les bam­bins qui avaient trou­vé l’of­fice un peu long, jetaient des regards gour­mands sur les frian­dises de leurs rameaux. Il arri­vait, même, qu’une langue timide effleu­rât un fruit confit, mais un regard de la mère fai­sait tout ren­trer dans l’ordre. Même dans le Midi, où les rameaux des petits enfants se couvrent de bon­bons, les joies du dimanche des Rameaux ne doivent pas faire oublier que le Carême est un temps de pri­va­tions. C’est le jour de Pâques, seule­ment, quand les cloches reviennent de Rome, que l’on peut goû­ter aux sucreries. 

Prêtres et enfants de chœur avaient quit­té l’au­tel où déjà s’é­tei­gnaient les cierges. La dame en deuil dis­tri­bua aux enfants des billets de pré­sence, puis, fai­sant signe à Jean de la suivre, elle se diri­gea vers la sortie. 

Sur le per­ron de l’é­glise, elle s’arrêta : 

— Je ne t’ai jamais vu au patro­nage, mon petit, com­ment t’appelles-tu ? 

— Jean Var­naud, dit l’en­fant ; dans ma mai­son il y a le petit du char­bon­nier qui va au patro­nage, mais moi, je ne peux pas, je travaille. 

— Qu’est-ce que tu peux bien faire ? 

— Je vends des journaux. 

— Quel âge as-tu ? 

— Huit ans. 

— Eh bien, mon petit, à huit ans, on doit être à l’é­cole et au patro­nage. Où habites-tu ? 

— Dans la rue des Lau­riers, au-des­sus du charbonnier. 

— Bien, et sou­riant à l’enfant,la dame s’éloigna. 

Vers cinq heures, Jean s’ap­prê­tait à aller vendre les jour­naux du soir quand on frap­pa à la porte, et, au grand éton­ne­ment de la mère Mathieu, Madame Lagarde (ain­si se nom­mait la dame du patro­nage) entra dans la cui­sine malpropre. 

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Ce dimanche-là, le petit Jean avait fini, plus tôt que de cou­tume, de vendre le paquet de jour­naux, dont il avait la charge. 

Il comp­ta, dans sa poche, les quelques sous qu’il venait de gagner, et se diri­gea, vers la sombre mai­son, où vivait la vieille femme qui le gar­dait. Quand il arri­va, elle était en conver­sa­tion, avec la femme du char­bon­nier, et comme d’ha­bi­tude, fit sem­blant de trou­ver insuf­fi­sant, le gain du petit Jean :

— Si ce n’est pas mal­heu­reux, dit-elle à sa voi­sine, être obli­gée de loger, de nour­rir et d’ha­biller ce grand gar­çon, avec ces quelques sous. 

Elle fit sem­blant de trou­ver insuf­fi­sant le gain du petit Jean.

La mère Mathieu exa­gé­rait : d’a­bord, l’As­sis­tance Publique la payait pour entre­te­nir l’. De plus, elle le logeait dans un gre­nier, où une caisse pleine de paille lui ser­vait de lit, et le nour­ris­sait de pain sec et de châ­taignes bouillies. Quant à ses vête­ments, il valait mieux n’en pas par­ler : le petit avait une culotte rapié­cée que recou­vrait, entiè­re­ment, une veste si longue et si large, qu’on aurait pu y tailler un cos­tume com­plet. Dépour­vu de bas et de chaus­settes, il por­tait, été comme hiver, de lourdes galoches, et ses che­veux ébou­rif­fés s’é­chap­paient d’une cas­quette, que la pluie et le soleil avaient fanée, tour à tour. 

Auteur : Jasinski, Max | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutesLe roi de France, Louis le neu­vième, qui fut plus tard cano­ni­sé, fai­sait un jour une pro­me­nade à che­val avec le sire de Join­ville et quelques sei­gneurs. Il arri­va au vil­lage de Cha­ren­ton par un pont à péage. Il paya scru­pu­leu­se­ment pour lui, pour sa suite et pour les che­vaux, bien qu’on lui eût offert le pas­sage gra­tuit. De l’autre côté du pont, il tom­ba sur des pay­sans réunis en cercle autour d’un jeune homme. Celui-ci, agile comme un singe, les pieds en l’air et la tête en bas,courait sur les mains avec vélo­ci­té. Les spec­ta­teurs qui applau­dis­saient se tinrent cois, par res­pect, à la venue du cor­tège. L’homme se repla­ça sur ses pieds et s’approcha sur un signe de Louis. Il reti­ra son bon­net, râpé et troué, d’où pen­dait, à moi­tié bri­sée, une plume de coq, et, immo­bile, atten­dit qu’on l’interrogeât. Il était de piètre mine, maigre, accou­tré d’habits rapié­cés dont les teintes, jadis vives, étaient déco­lo­rées ; mais son atti­tude était gra­cieuse et ses mou­ve­ments aisés. Ses joues étaient creuses, mais son regard était clair et sa lèvre spirituelle.

— Qui es-tu ? dit le roi.

— Un homme, répon­dit l’autre.

— D’où viens-tu ?

— De là-bas.

Troubadour musicien

— Où vas-tu ?

— À côté de mon ombre.

— De quel pays es-tu ?

— De notre ville.

— Où est ta ville ?

— Sur une rivière.

— Qu’est-ce que cette rivière ?

— De l’eau.

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 13 minutesCe jour-là il n’y avait pas d’é­cole, pour cette bonne rai­son que c’é­tait le jeu­di et, qui plus est, le Jeudi-Saint.

Il fai­sait un joli temps et ne croyez pas que ce soit pour allon­ger mon his­toire que je me mets à vous par­ler de la pluie et du beau temps. Pas du tout. Il y a des cas où l’on peut dire : le temps n’est pour rien dans l’af­faire, mais, ici, le temps y est pour beau­coup. Car, et vous le com­pre­nez, si le temps avait été mau­vais il y a bien des chances que je n’au­rais pas pro­me­né mes rhu­ma­tismes par les che­mins, au risque de ren­trer trem­pé, gue­né, comme on dit chez nous, sans un fil de sec sur le dos. Si le temps n’a­vait pas été joli, René Gaillou non plus ne serait pas sor­ti, ses parents ne l’au­raient pas lais­sé, pour pro­me­ner ses cochons…

Allons bon, voi­là le gros mot lâché ! Il m’en coû­tait de l’é­crire. Il est écrit, tant pis ; le papier sup­porte tout ; oh ! et puis, nous ne sommes plus au temps, com­bien loin­tain, de ma très tendre enfance, où l’on nous ensei­gnait — c’est le Frère, le cher Frère Oné­si­mus qui nous appre­nait ces déli­ca­tesses lit­té­raires — que l’on ne dit pas : un , mais l’a­ni­mal qui se nour­rit de glands, ou encore l’ha­billé de soie. De nos jours, voyez-vous, cette engeance s’est tel­le­ment répan­due par le monde que son nom a fini par s’im­po­ser aux hon­nêtes gens que nous sommes vous et moi, par la grâce de Dieu.

Cochons noir basque Kintoa

Donc, par un temps joli, René Gaillou était allé pro­me­ner ses cochons. Et puis quand vous sau­rez de quelles bêtes mon René Gaillou était, de par ses parents, consti­tué gar­dien et pas­teur, vous n’au­rez plus envie de rire, mais vous vous sen­ti­rez sai­si par les sen­ti­ments de la plus vive admi­ra­tion. Je vous avoue que jamais je n’ai mis les pieds dans un Comice agri­cole — c’est une lacune dans mon édu­ca­tion, — mais en serais-je un habi­tué que jamais je n’au­rais rien vu de plus beau, dans l’es­pèce, que les cinq cochons que menait paître René Gaillou.

L’on m’a tou­jours dit qu’une nar­ra­tion bien conduite devait se pré­sen­ter dans un cadre. Et il est de toute néces­si­té, cela se conçoit aisé­ment, que vous sachiez dans quel pays évo­luent notre pas­teur et son trou­peau. Le plus joli paye du monde ! Tenez, détour­nez-vous. Vous voyez là-haut, mon­tant dans le ciel bleu comme un doigt gan­té de blanc, le Mon­tai­gu ; et à gauche, voyez-vous le dôme majes­tueux de la Dent du Midi ? Voyez-vous ? Et toute cette fée­rie des neiges iri­sées qui se pro­filent à l’ho­ri­zon et se confondent là-bas avec la brume des nuages ! Bais­sez un peu les yeux ; aper­ce­vez-vous les ruines de l’al­tier châ­teau de Mau­vai­sin ? Elles sont bleues ce matin, elles seront grises à midi, ce soir elles se colo­re­ront de rose. Rien de plus coquet que les mon­tagnes, elles changent de parure cent fois le jour. Et Tour­nay, dans ce coin, qui groupe ses mai­sons autour de son clo­cher poin­tu ! Lais­sez vos regards suivre le cours de l’Ar­ros et se repo­ser sur les col­lines dont les chênes gardent les teintes neutres de l’hi­ver, sur ces prai­ries qui rever­dissent et d’où s’é­lèvent les larges écrans des peu­pliers qu’a tou­chés déjà le prin­temps, sur ces labours aux tons de rose fané. Par­mi tout cela, des vil­lages avec une église blanche au clo­cher bleu d’ardoise.

C’est en contem­plant toutes ces mer­veilles, que je m’en allais, flâ­nant, sur la route de Peil­haube. En main j’a­vais un livre qui ne me ser­vait guère et sous le bras le com­pa­gnon des hommes pru­dents, je veux dire le parapluie.

Et c’est alors que je ren­con­trai René Gaillou d’une part, et d’une autre, son trou­peau. Lui, venait par der­rière, une badine à la main. Eux allaient par devant, le groin ten­du vers le ruis­seau, trot­ti­nant de belle allure, pié­ti­nant en gou­jats de véri­tables tapis de vio­lettes pous­sées aux pieds des pru­nel­liers fleu­ris. Ils étaient cinq. Tous de même taille, tous habillés de même, de belles bêtes de vingt mois au moins.