Notre-Dame de Boulogne

Auteur : Goldie, Agnès | Ouvrage : Petites Vies Illustrées pour enfants .

Temps de lec­ture : 20 minutes

racontée aux enfants

L’arrivée

« Elle va pas­ser ici !

— Qui ?

de  !

— Qui c’est, Notre-Dame de Boulogne ?

— Tiens, la Sainte Vierge ! Tu t’ap­pelles Jean-Claude, ça ne fait pas deux gar­çons. Je m’ap­pelle Marie-Fran­çoise-Jeanne, ça ne fait pas trois filles ! La Sainte Vierge c’est pareil ! Elle a beau­coup de noms mais que nous l’ap­pe­lions Notre-Dame de Lourdes, ou Notre-Dame de Fati­ma, ou Notre-Dame de Bou­logne, ça ne fait pas plu­sieurs per­sonnes. C’est tou­jours la Sainte Vierge !

— C’est loin, Bou­logne ?

— Tout en haut de la France, dans le Pas-de-Calais ; en face de l’An­gle­terre. Figure-toi que la Sainte Vierge y est venue en bateau.

— En bateau ?

— Mais oui. Maman m’a racon­té l’his­toire. Il y a très long­temps de cela, encore au temps des Gau­lois, les Chré­tiens avaient éle­vé à Bou­logne une pauvre église en bois sur l’emplacement d’un temple païen. Bien des années après, un jour, comme ils priaient dans cette église, la Sainte Vierge leur appa­rut et leur dit : « Les anges, par l’ordre de Dieu, ont conduit un vais­seau dans votre rade. Allez, vous y trou­ve­rez mon image, et vous la pla­ce­rez dans cette église. C’est ici que je veux rece­voir à per­pé­tui­té le témoi­gnage d’un culte tout particulier. »

— Les Bou­lon­nais ont dû prendre leurs jambes à leur cou ?

— Oh oui ! Ils ont cou­ru bien vite au port, et ils y ont trou­vé le bateau, et dans le bateau une belle sta­tue de la Sainte Vierge por­tant l’En­fant Jésus.

— D’où venait cette statue ?

— On ne sait pas. De très loin peut-être… Sans doute du pays de Jésus, là-bas en Orient car les Maho­mé­tans pillaient la Terre Sainte, mas­sa­craient les Chré­tiens, bri­saient les sta­tues. Pour sau­ver celle-là on a dû la cacher dans une barque comme autre­fois Moïse dans sa cor­beille, et à Dieu vat !… Seule­ment, cette fois, ce n’est pas la fille du Pha­raon qui l’a trou­vée ; les anges ont conduit le bateau chez nous ! Tu penses quel voyage ! Il fal­lait lon­ger tout le sud de l’Eu­rope, contour­ner l’Es­pagne… tra­ver­ser la Médi­ter­ra­née, l’O­céan et la Manche. Regarde un peu dans ta géographie.

Histoire pour les scouts marins du Nord - Notre-Dame de Boulogne

— Et per­sonne n’a vu ce bateau arri­ver à Boulogne ?

— Si, des marins l’ont aper­çu ; et comme il déga­geait une belle lumière, ils ont cou­ru au port pour voir ce que c’était.

— Ce que les gens ont dû être surpris !

— Et contents ! Ils se ran­gèrent en pro­ces­sion pour por­ter la sta­tue à l’é­glise ; et ils priaient, et ils chan­taient… Il ne man­quait que les ten­tures. Mais ça ne fait rien ! Le ciel et la étaient aux cou­leurs de la Vierge.

— J’au­rais tant vou­lu être là !

— Tiens ! Tu n’é­tais pas né ! Mais tout le monde aux alen­tours disait comme toi. On met­tait la clef sous la porte, et vite on par­tait à pied, à che­val, en char­rette… pour aller admi­rer et prier la belle Sainte Vierge. À tra­vers toute la France, et en Bel­gique, et en Alle­magne, on racon­ta ce qui s’é­tait pas­sé ; les gens venaient de très loin… Saint Éloi, le ministre du bon Roi Dago­bert, est venu à Bou­logne, et aus­si saint Benoît Labre et Gode­froy de Bouillon.

— Celui des Croisades ?

— Oui. Il était Bou­lon­nais. Sou­vent sa mère le condui­sait avec ses frères prier Notre-Dame de Bou­logne. Les gar­çons gran­dirent ; ils par­tirent à la guerre. Ils allèrent là-bas, au pays d’où venait sans doute la sta­tue, au pays de Jésus. Il fal­lait reprendre le tom­beau du Christ aux Mahométans.

— Pour­tant Jésus n’é­tait plus dans son tombeau !

— Natu­rel­le­ment, puis­qu’il est res­sus­ci­té le jour de Pâques ! Mais les Maho­mé­tans pro­fa­naient les Lieux-Saints. Les chré­tiens devaient les défendre. La prin­cesse Ida trem­bla pour ses trois fils, mais elle était contente qu’ils fassent leur devoir. Elle les recom­man­dait bien fort à Notre-Dame de Bou­logne, implo­rant la vic­toire des Croi­sés. Et voi­ci qu’un jour elle apprit que son fils Gode­froy avait pris Jéru­sa­lem et en avait été fait roi. Seule­ment vois-tu, il n’a pas accep­té la cou­ronne. Il a dit « je ne veux pas por­ter une cou­ronne d’or là où mon Sau­veur a por­té une cou­ronne d’épines ».

— Alors, qu’en a‑t-il fait de sa couronne ?

— Il l’a envoyée à Notre-Dame de Bou­logne que sa mère avait tant priée.

— Ça c’é­tait gentil !

— Les Croi­sés l’ai­maient bien Notre-Dame de Bou­logne ! Saint Louis et ses sol­dats por­taient son insigne. On a retrou­vé de ces insignes à Car­thage, en Afrique du Nord et aus­si dans la Seine et dans la Tamise. Ils étaient en argent et repré­sen­taient la Sainte Vierge et l’En­fant Jésus autour on avait écrit : Notre-Dame de Boulogne.

— Est-il venu à Bou­logne saint Louis ?

— Mais oui ! Et bien d’autres rois avant lui et après. Attends un peu que je me rap­pelle : Phi­lippe le Bel, Phi­lippe le Bon, Charles VIII, Louis XI, Louis XII… Et qui encore ?… Fran­çois I, Louis XIII, Louis XIV, Louis XVIII… Et aus­si deux empe­reurs : Char­le­magne et Napo­léon III.

Reine de France

Pour­quoi hier a‑t-on chan­té Reine de France, priez pour nous ? La Sainte Vierge est la Reine de la France ?

Le roi Saint Louis priant Notre-Dame de Boulogne - coloriage de Marie

— Bien sûr ! Tu ne sais pas encore cela ? D’a­bord, Louis XI a don­né à la Sainte Vierge le pays de Bou­logne ; mais là ! don­né pour de bon ! Il serait son vas­sal. Les rois ses suc­ces­seurs devraient, en mon­tant sur le trône, faire hom­mage à Marie d’un cœur d’or. Lui offrir ce cœur c’é­tait lui dire : « Ma Sou­ve­raine, je vous donne le cœur de la France ». Pour­tant, le Bou­lon­nais ce n’é­tait pas assez pour la Reine du ciel ; le roi Louis XIII, lui, don­na toute la France. C’est depuis ce jour-là que, dans toute la France, on fait une belle pro­ces­sion le .

— Ce n’est pas si mal d’a­voir pour Reine de France la Reine du Ciel et de la Terre !

— La Reine des anges et des hommes !

— Je chan­te­rai encore d’un meilleur cœur : Reine de France !

— À Bou­logne comme à Lourdes, on chan­tait dans toutes les langues et dans tous les patois. Et la Sainte Vierge était si tou­chée de la confiance, de l’a­mour des pèle­rins, qu’elle leur obte­nait du bon Dieu des masses de grâces. Ils repar­taient meilleurs et les malades étaient sou­vent gué­ris. C’est une petite fille para­ly­sée qui dit à sa mère : « Pose-moi à terre. Je sens que main­te­nant je peux mar­cher. Une belle dame en blanc me tend la main ». Et elle court vers l’au­tel, suit la pro­ces­sion, et rentre à pied chez ses parents. Une autre fois c’est un gar­çon, para­ly­tique aus­si, et qui ne peut par­ler. Il com­mence à par­ler. Le len­de­main il se lève. Il y eut même des morts res­sus­ci­tés, grâce à l’in­ter­ces­sion de la Sainte Vierge.

— Ce qu’ils devaient bis­quer les méchants !

— Par­mi ces méchants était Hen­ri VIII, roi d’An­gle­terre, l’an­cien pèle­rin de Notre-Dame. Après avoir été très catho­lique, après avoir défen­du la sainte Eucha­ris­tie et aimé la Sainte Vierge, il devint schismatique.

— Qu’est-ce que c’est que schismatique ?

— Ça veut dire qu’il se sépa­ra du pape. Et il se sépa­ra aus­si de la Sainte Vierge. Quand il enva­hit Bou­logne avec ses sol­dats, il pro­fa­na l’é­glise et vola la sta­tue. Mais Jésus ne veut pas qu’on touche à sa Mère ! En cinq semaines, plus de 10.000 sol­dats anglais mou­rurent de la peste. Le roi appe­la de nou­velles troupes ; elles refu­sèrent de par­tir. Il fal­lut lier les sol­dats sur les navires. Fina­le­ment, les Anglais durent quit­ter Bou­logne ; la peste fai­sait trop de ravages. Le roi de France n’a­vait pas eu à perdre un homme pour les chas­ser. Aus­si, offrit-il à la Sainte Vierge un bel ex-voto de recon­nais­sance ! Une Vierge en argent mas­sif mon­tée sur un bateau. Cette sta­tue rem­pla­ça celle que les Anglais avaient emportée.

Premiers retours

— Qu’en ont-il fait de la sta­tue ? Ils l’ont noyée ?

— Ils n’o­sèrent pas ! Après l’a­voir gar­dée sept ans, ils la ren­dirent au roi de France. Bou­logne n’a­vait peut-être encore jamais vu pareille fête ! En France mal­heu­reu­se­ment, la sta­tue n’é­tait pas à l’a­bri. Les pro­tes­tants fran­çais — on disait : les Hugue­nots — repro­chaient aux catho­liques d’a­do­rer la Sainte Vierge.

— C’est pas vrai ! On n’a­dore que Dieu !

— Natu­rel­le­ment ! Est-ce que j’a­dore papa ? Est-ce que j’a­dore maman ? Non ; ils ne sont pas Dieu, je ne les adore pas. Je les res­pecte et je les aime. La Sainte Vierge c’est pareil, mais je l’aime encore plus, parce qu’elle est la mère de Dieu. Les Hugue­nots ne com­pre­naient pas cela. Une nuit (11 octobre 1567), ils péné­trèrent dans l’é­glise, lièrent la sta­tue avec des cordes, et la traî­nèrent à tra­vers la ville.

— Ils ne sont pas morts de la peste ?

Des marins l’ont aperçue.

— Dieu, vois-tu, n’a­git pas tou­jours à coups de miracles, et Il a le temps et l’é­ter­ni­té pour faire jus­tice. Au lieu d’ex­ter­mi­ner les Hugue­nots, Il leur mon­tra par une suite de pro­diges le prix qu’Il attache aux sta­tues de Marie. Les sol­dats atta­quèrent à coups de hache la belle sta­tue de la Sainte Vierge, mais le fer des haches s’é­mous­sa plu­tôt que d’at­ta­quer le bois. Alors, ils vou­lurent la brû­ler ; ils la jetèrent dans un bra­sier, mais le feu ne la brû­la pas. Furieux, il la cachèrent sous du fumier ; le fumier ne la pour­rit pas. Quand, après trois ans, ils la déter­rèrent, elle était intacte. Alors, exas­pé­rés, ils la jetèrent au fond d’un puits, et l’eau la respecta.

— L’a-t-on retrouvée ?

— Oui. Ce puits était à la cam­pagne, près d’un châ­teau. Le Châ­te­lain était pro­tes­tant, mais sa femme était catho­lique. Elle se ren­sei­gna, fit cher­cher la sta­tue et la cacha dans une chambre-haute. Sou­vent elle allait la prier, tant et si bien qu’elle obtint une grande grâce : la conver­sion de son mari.

— Les gens savaient que la sta­tue était retrouvée ?

— Non ; c’é­tait un secret, mais les secrets, ça se sait tou­jours un jour ou l’autre ! Un bon ermite des envi­rons, par­la de la trou­vaille à un prêtre de Bou­logne. Celui-ci vint avec l’er­mite, char­gea la sta­tue sur son épaule et reprit le che­min de la ville. Ce che­min s’ap­pelle depuis, le che­min de la Vierge.

— La Sainte Vierge est ren­trée chez elle ! Pour tou­jours j’espère !

— Pas pour tou­jours ! Quelques siècles après écla­ta la Révo­lu­tion… Et ce fut le pillage, l’in­cen­die des églises, la pro­fa­na­tion des choses saintes… La sta­tue de Notre-Dame de Bou­logne fut de nou­veau volée. Les révo­lu­tion­naires la brû­lèrent, mais la tra­di­tion veut qu’elle ait échap­pé aux flammes.

— Et qu’est-elle devenue ?

— On ne sait pas. Elle a dis­pa­ru depuis ce temps-là. Il n’en reste qu’une main. Figure-toi qu’un jeune offi­cier qui se trou­vait là, avait une tante très pieuse et qu’il aimait beau­coup. S’a­per­ce­vant qu’une main de la sta­tue ne tenait presque plus, il la déta­cha avec son sabre et l’en­voya à sa tante.

— C’est bien dom­mage qu’il ne lui ait pas envoyé la sta­tue tout entière !

— Moi j’es­père bien qu’elle existe encore, cachée je ne sais où, et qu’on la retrou­ve­ra. On l’a rem­pla­cée par une autre, et c’est tou­jours la même Sainte Vierge qu’on aime et qu’on honore, mais tout de même, ce n’est plus la sta­tue arri­vée en bateau, la sta­tue sau­vée de la main des Anglais et des Hugue­nots, la sta­tue devant laquelle pen­dant plus de onze siècles, s’as­sem­blèrent nos pères.

— J’es­père comme toi qu’on la retrou­ve­ra. Sau­vée des Musul­mans, ren­due par les Anglais, pré­ser­vée de la hache et du feu, du fumier et de l’eau, pour­quoi aurait-elle été détruite après ! Vois-tu, quelle fête si on la retrou­vait ! Ah ! Elle en a vu Notre-Dame de Boulogne !

— Et ce n’est pas fini ! Lors de la Révo­lu­tion, sa belle église, construite par la mère et le frère de Gode­froy de Bouillon fut ven­due et détruite. Un saint prêtre réso­lut de la rele­ver. (Sa mère l’a­vait ame­né tout petit à Bou­logne, et l’a­vait consa­cré à la Sainte Vierge.) Il par­tit quê­ter à Paris, à Lourdes, à Rome… et il put recons­truire une église magnifique.

— Bra­vo !

Le couronnement de Notre-Dame

— L’É­vêque de Bou­logne aimait beau­coup la Sainte Vierge sous le vocable de l’. C’é­tait pour­tant bien avant que Pie IX n’ait défi­ni ce dogme. Il bénit donc une grande sta­tue de l’Im­ma­cu­lée qui devait domi­ner la cou­pole. Ce fut encore plus beau le jour du cou­ron­ne­ment de Notre-Dame. Il y avait là plus de 100.000 per­sonnes. Le pape ne pou­vant venir lui-même cou­ron­ner la Sainte Vierge, avait envoyé son repré­sen­tant, son légat.

— Quelle cou­ronne était-ce ? Celle de Gode­froy de Bouillon ?

— Mal­heu­reu­se­ment non. Elle avait été volée à la Révo­lu­tion de 1793. La nou­velle cou­ronne était sur le même modèle. À Rome au soir de la Saint-Pierre et Paul, on tira un feu d’ar­ti­fice qui des­si­na dans le ciel, en lignes de feu, la nou­velle église de Bou­logne. On vit aus­si la Vierge dans sa barque, escor­tée de deux anges. Le canon du pape la salua, la musique des régi­ments fran­çais répondit.

— Saint Pierre a dû sou­vent pro­me­ner la Sainte Vierge dans sa barque !

— Il a pu en effet, plus d’une fois, lui faire tra­ver­ser le lac de Tibé­riade. Mais de Caphar­naüm à Beth­saïde, le voyage était moins long que de la Terre Sainte à Bou­logne-sur-Mer ou de Bou­logne à Douvres ! Et puis, pour venir chez nous, ce n’é­tait plus saint Pierre qui la condui­sait, mais les anges. Main­te­nant, les rôles sont ren­ver­sés. C’est la Sainte Vierge qui conduit la barque de Pierre.

— Com­ment cela ?

— Tiens, la barque de Pierre, comme l’Arche de Noé, était une figure de l’É­glise. L’Arche de Noé, mal­gré la pluie et la tem­pête n’a pas péri dans le déluge, et tous ceux qui étaient dedans : Noé, sa femme, ses fils : Sem, Cham et Japhet… et leurs femmes… ont été sau­vés. Sur la mer de Gali­lée, il y avait de grosses tem­pêtes. L’É­van­gile en parle. Mais la barque de Pierre n’a pas cha­vi­ré. L’É­glise aus­si affronte des tem­pêtes ; celles des bar­bares, des Musul­mans, des héré­sies, des révo­lu­tions, mais elle ne périt pas. C’est tou­jours Pierre qui la conduit, puisque c’est le Pape, suc­ces­seur de Pierre, qui parle et agit au nom de Jésus ; il est assis­té du Saint-Esprit, mais aus­si de la Sainte Vierge.

— C’est beau de pen­ser cela !

— Oui, et ça donne cou­rage ! Main­te­nant c’est la guerre[1], et la grande peine des pri­son­niers, des dépor­tés et des sol­dats qui luttent. Mais prions bien, fai­sons des sacri­fices, soyons bons et purs comme Notre-Dame l’a deman­dé à Fati­ma, alors la Sainte Vierge se lève­ra dans la barque de Pierre, elle com­man­de­ra au vent et à la tem­pête… Les gros nuages se dis­si­pe­ront, et le gai soleil de la paix, de la joie, brille­ra sur toute la terre dans un beau ciel tout bleu.

— Dis, il y a tou­jours de belles fêtes à Boulogne ?

— Com­ment veux-tu avec la guerre ! Les der­nières grandes fêtes remontent à 1938. Elles com­mé­mo­raient le troi­sième cen­te­naire de la consé­cra­tion de la France par Louis XIII.

— C’é­tait très beau ?

— Magni­fique. Tante Made­leine y était. Elle m’a tout racon­té. D’a­bord, on orga­ni­sa une « voie ardente ».

— Qu’est-ce que c’est que ça : une « voie ardente ? »

— Eh bien ! voi­là ! Un jour, dans la cathé­drale d’Ar­ras, il y a très long­temps Notre-Dame don­na un cierge à deux ménes­trels et à l’É­vêque. On appelle ce cierge « le cierge des Ardents ». Avant les fêtes de Bou­logne, on fit quatre sta­tues de Notre-Dame dans son bateau, et ces quatre sta­tues se ren­dirent d’Ar­ras à Bou­logne par quatre che­mins dif­fé­rents, cha­cun étant accom­pa­gnée d’un cierge conte­nant une par­celle du cierge des ardents, d’où ce nom de la « voie ardente ».

Par­tout sur le pas­sage de la Sainte Vierge, ce fut un enthou­siasme indes­crip­tible. Après les fêtes, une des sta­tues par­cou­rut les champs de bataille 1914 – 1918. Ce qu’on appelle la voie sacrée. Et puis cette sta­tue s’ar­rê­ta à Reims et on n’en par­la plus.

Coloriage de Notre-Dame de Boulogne pour les mômes

Arri­va le Congrès des Jeunes au Sanc­tuaire de Notre-Dame du Puy, un peu au sud-ouest de Lyon, et l’É­vêque dit aux jeunes : « Il faut des­cendre Notre-Dame de Bou­logne jus­qu’au Puy, et même jus­qu’à Lourdes ». Et la sainte sta­tue tra­ver­sa toute la France. Il y a deux ans on déci­da de lui faire rega­gner le Nord. La sta­tue quit­ta Lourdes ; par­tout sur les routes la foule se pres­sait, des pécheurs se conver­tis­saient, la Sainte Vierge écou­tait les prières. Et les gens disaient : « Je veux qu’elle passe par ma ville ! Je veux qu’elle vienne dans mon village ! »

Le grand retour

— Cette sta­tue, elle ne pou­vait être partout !

— Natu­rel­le­ment ! Alors on a fait venir les trois autres sta­tues, et main­te­nant, quatre sta­tues sillonnent la France, conver­geant vers Bou­logne. C’est une de ces quatre sta­tues qui va pas­ser ici. Et parce qu’elles font toutes retour à Bou­logne, on a appe­lé cette ran­don­née : « Le Grand Retour ».

— Main­te­nant, je comprends !

— Vois-tu comme c’est joli ! Rien n’a été vou­lu, ni arran­gé d’a­vance en tout cela, c’est le peuple fran­çaise lui-même qui a récla­mé, obte­nu… On dit qu’au début, des prêtres, des évêques, n’é­taient pas très contents ; mais les Fran­çais ont vou­lu ! Et ils ont eu ! Et quand les prêtres et les évêques ont vu tant de fer­veur et tant de foi ; quand ils ont consta­té tant de conver­sions et de grâces obte­nues, ils ont été contents eux aus­si ; très contents.

— Et com­ment voyage-t-elle la Sainte Vierge ?

— Elle ne quitte pas son bateau. Celui-ci est pla­cé sur une remorque que poussent et traînent sur les routes une équipe d’hommes ou de jeunes filles. La foule marche devant ou suit en priant, en chan­tant. On fait ain­si 15, 20 kilo­mètres par jour, quel­que­fois plus, jamais moins. Par­fois la sta­tue voyage en bateau. Elle a ain­si des­cen­du une par­tie de la Loire et tra­ver­sé deux fois la Rance.

— Elle voyage même la nuit ?

— Non ! La nuit se passe dans une église ; jus­qu’à minuit c’est la veillée de prière, ce sont les confes­sions… Et de très bonne heure le len­de­main les confes­sions recom­mencent ; puis ce sont les messes. Il paraît que la foule prie tout haut. Le prêtre explique la messe ; il fait prier, chan­ter. C’est très, très beau.

— Et quoi encore ?

— Je t’ai tout dit je crois. Tout le monde veut voir et prier Notre-Dame de Bou­logne. Quand elle entre dans un vil­lage, les écoles par­fois se ferment, les usines chôment. Et puis, sur le par­cours, par­tout des guir­landes, des ban­de­roles, des arcs de triomphe. Les croix sont déco­rées, les mai­sons, les statues…

— Moi, pour suivre, je pren­drai mon vélo.

— Ah ! non ! Tu iras à pied et sou­vent on marche même pieds nus J’ai lu dans les annales des Pères Oblats, qu’un gar­çon comme toi mar­chait sans chaus­sures sur la route caillou­teuse. De temps en temps il devait s’ar­rê­ter pour arra­cher de ses pieds un gra­vier poin­tu et il venait du sang. « Prends tes sou­liers lui dit-on. La Bonne Vierge a compris !

— Non ! je veux conti­nuer. C’est pour mon papa qui a dû tra­vailler tout l’hi­ver en Alle­magne dans la boue et la neige avec des sou­liers qui lais­saient pas­ser l’eau »

— Dis, Jean-Claude, aurais-tu ce ‚cou­rage ?

— Et toi ?

— Les filles aus­si sont cou­ra­geuses ! Il y en a une qui a mar­ché trois jours, qui a veillé trois nuits pour aider son frère qui allait aban­don­ner sa voca­tion de prêtre. Elle a été exau­cée. Elle a dit au mis­sion­naire : « Vous savez, mon frère, il conti­nue ! » Il y avait aus­si une pauvre vieille qui n’en pou­vait plus de lut­ter contre le vent ; elle tom­bait, se rele­vait et mar­chait quand même : « Je ne peux pour­tant pas, disait-elle, la lais­ser à moi­tié che­min ; je veux la suivre jus­qu’au bout. »

— Dis, nous irons au devant d’elle ?

— Oui. Tout le vil­lage ira au devant d’elle, jus­qu’à mi-route de la ville ; et puis, le soir, nous l’ac­com­pa­gne­rons jus­qu’à mi-route du bourg voisin.

— Alors ça fait deux processions !

— Oui. Une qui va, une qui vient : deux pro­ces­sions qui se rejoignent. On est beau­coup, beau­coup… Le mis­sion­naire parle, tout le monde se met à genoux, tout le monde chante le Salve Regi­na les bras en croix…

— Nous irons tous : papa, maman, grand-père…

— Oui, mais ce que la Sainte Vierge demande sur­tout, vois-tu, c’est le Retour de notre cœur. Il nous faut être bons. Il faut prier pour que tout le monde soit bon, obéisse à Dieu, aime Dieu. Il faut que tout le monde se consacre, se donne à la Sainte Vierge vrai­ment. Et puis tu sais, tous ces mil­liards d’A­vé, ces consé­cra­tions, ces pas, ces sacri­fices ne seront pas per­dus pour la paix du monde. Elle est si bonne la Sainte Vierge !

— Aus­si, moi je l’aime tant !

Agnès Gol­die.

Récit pour le catéchisme : Notre-Dame de Boulogne raconté aux enfants

Imprimatur
Verdun, le 8 juin 1958. L. CHOPPIN, vic. gén.
  1. [1] Ces pages furent écrites à la fin de la deuxième guerre mon­diale.

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