Muguet joli, muguet de Mai

Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Premier Mai

Il fai­sait un temps affreux, ce soir-là, dans la val­lée d’Al­pen­rose. Dès la nuit venue, le vent était tom­bé des mon­tagnes envi­ron­nantes, s’a­bat­tant avec des rafales de pluie et de grêle sur les bâti­ments du couvent.

Par bon­heur, ceux-ci étaient solides, bâtis de bon gra­nit de la mon­tagne ; ils avaient vu bien d’autres tem­pêtes mais les hur­le­ments du vent dans les cou­loirs, les sif­fle­ments dans les che­mi­nées, le fra­cas d’une ardoise ou d’une branche qui s’é­cra­sait, étaient vrai­ment impressionnants.

Récit du muguet du 1er mai

Et l’on pen­sait au voya­geur per­du dans la mon­tagne, au ber­ger attar­dé, au pauvre sans logis.

« Que Dieu les conduise jus­qu’à la porte du couvent, mur­mu­ra le bon frère hôte­lier qui, un impo­sant trous­seau de clés à la main, reve­nait de la tour­née qu’il fai­sait chaque soir dans le monas­tère. Que Dieu les conduise ici : ils trou­ve­ront cha­leur, bon gîte et réconfort. »

« Quel temps ! quel temps ! dit-il encore, est-ce un temps de mars ? L’hi­ver ne veut point lais­ser la place… »

Et il s’at­tris­ta en pen­sant à son jar­din — car frère Bona­ven­ture était jar­di­nier en même temps qu’­hô­te­lier du couvent. La semaine pas­sée, encou­ra­gé par un rayon prin­ta­nier, il avait sor­ti de leur abri d’hi­ver des fleurs, des plants que cette tem­pête était en train d’a­néan­tir. Quel mal­heur ! Quel mal­heur ! Il en avait beau­coup de peine car, grâce à ses soins et à ses capa­ci­tés, les jar­dins du monas­tère étaient magni­fiques ; on venait de loin pour les admirer…

* * *

Sou­dain, un violent coup de cloche à la por­te­rie le fit sur­sau­ter, l’ar­ra­chant à ses regrets.

« Quoi ? Serait-ce un voyageur ? »

Il se hâta de toute la vitesse de ses vieilles jambes et, tout api­toyé à l’a­vance, il ouvrit la lourde porte avec des mots de com­pas­sion et de bienvenue.

« Entrez, entrez, qui que vous soyez ; vous êtes envoyé de Dieu, venez vous chauf­fer et vous réconforter. »

accueil monastique - repas des moines

Celui qui était là en avait bien besoin : trem­pé, gre­lot­tant dans des vête­ments usés, il sem­blait à bout de forces. Il se lais­sa conduire près d’un grand feu, fit hon­neur aux mets chauds que le bon frère Bona­ven­ture lui ser­vait en cau­sant ami­ca­le­ment avec lui, puis s’en­dor­mit, épui­sé de fatigue, dans le lit confor­table qui lui fut offert.

Le len­de­main matin, le frère hôte­lier fut bien sur­pris de trou­ver son voya­geur levé, dis­pos, et qui, le bâton à la main et la besace au côté, se pré­pa­rait à partir.

« Quoi, déjà ? Vous ne res­tez pas quelques jours ici ? »

L’in­con­nu expli­qua qu’il avait un long voyage à faire et qu’il vou­lait pro­fi­ter du beau temps.

« Du beau temps, mais oui ! La tem­pête s’est cal­mée à l’aube, le ciel est bleu et le soleil luit ; le mois de mars réserve des sur­prises : cette éclair­cie est peut-être pas­sa­gère, je veux en profiter.

— Visi­tez au moins notre monas­tère, fit le bon frère déso­lé de voir son hôte si pres­sé ; hier, il fai­sait nuit, et vous n’a­vez rien vu. »

Coloriage : Dans le monastère, jardin du cloitre

Le voya­geur bien volon­tiers sui­vit son hôte à tra­vers les salles et la cha­pelle, au long des cloîtres : le monas­tère était très beau ; les moines eux-mêmes ajou­taient chaque année quelque sculp­ture ou quelque sta­tue. Puis nos deux com­pa­gnons visi­tèrent le jar­din. Hélas ! que de dégâts la tem­pête n’a­vait-elle pas cau­sés : plants arra­chés, feuilles nais­santes déchi­que­tées ! Le frère Bona­ven­ture ne se las­sait pas de gémir.

« Le répa­re­ra tout cela, fit l’é­tran­ger croyez-moi, et je veux vous faire pré­sent d’une fleur qui ne fleu­rit cer­tai­ne­ment pas ici : je ne l’ai vue qu’en des régions fort éloi­gnées. Vous m’a­vez si bien reçu, si bien récon­for­té, que je suis heu­reux de vous faire plaisir. »

Ce disant, l’é­tran­ger tira de sa besace quelques racines de peu d’ap­pa­rence, et en fit pré­sent au .

Celui-ci, dès le départ de son hôte, les plan­ta en bonne place dans son jardin.

* * *

Et voi­ci que, quelques semaines après, sor­tirent de terre de petits cor­nets verts qui étaient des feuilles rou­lées. Juste pour le mois de mai, celles-ci s’ou­vrirent, lais­sant s’é­chap­per des grappes de déli­cieuses clo­chettes d’un blanc si pur, d’un par­fum si péné­trant, que frère Bona­ven­ture aler­ta toute la com­mu­nau­té afin qu’elle vienne admi­rer cette mer­veille. Tous s’ex­ta­sièrent à l’envi.

« Ces fleurs sont un don de Dieu et de la Vierge pour récom­pen­ser l’hos­pi­ta­li­té ! Ce sont des fleurs bénies, les fleurs du , les « lis de la vallée ».

Les « lis de la val­lée », comme on les appe­lait, firent l’ad­mi­ra­tion des gens du pays qui se pres­sèrent en foule pour les contem­pler. Et la renom­mée des jolies fleurs s’é­ten­dit beau­coup plus loin encore, jus­qu’aux pro­vinces éloignées.

* * *

muguet du 1er mai

Le bon frère Bona­ven­ture était deve­nu encore plus fier de son jar­din. Les lis, bien soi­gnés, pros­pé­raient chaque année ; le plant s’a­gran­dis­sait, deve­nait magni­fique, et le frère jar­di­nier pou­vait main­te­nant don­ner une petite grappe de jolies clo­chettes à chaque visiteur.

Durant tout le mois de mai, c’est un défi­lé de pèle­rins qui sonnent à la porte du couvent. Tout affai­ré et tout content, frère Bona­ven­ture se mul­ti­plie pour bien accueillir tout ce monde ; il n’a plus le temps de rien faire d’autre, à peine le temps de prier, et il se sent fier, plus fier qu’un grand inven­teur ou qu’un grand géné­ral. Et le temps passa.

Mais frère Bona­ven­ture, s’il était un bon jar­di­nier et un excellent hôte­lier, était sur­tout un saint homme. Un beau jour, tan­dis qu’il médi­tait sur l’hu­mi­li­té, il cour­ba la tête et se frap­pa la poitrine :

« Quoi, moi qui suis le der­nier de tous, je sens en moi orgueil et vani­té à cause du lis de la val­lée que je suis le seul à pos­sé­der. Jour et nuit, je ne pense plus qu’à la beau­té de cette fleur. Que faire ? Tout sac­ca­ger ? Je n’en ai pas le droit, car le lis chante les louanges du mois de Marie. O bonne Vierge, éclairez-moi. »

Jus­qu’au soir, le pauvre frère res­ta triste et pensif.

C’é­tait un beau soir d’a­vril, avec une telle dou­ceur dans l’air que tout : gens, bêtes et plantes, sem­blaient vivre et res­pi­rer avec béa­ti­tude. Le soleil s’é­tait cou­ché, mais une lune ronde et lumi­neuse l’a­vait rem­pla­cé et éclai­rait le cloître et le jar­din comme au crépuscule.

Quelle est cette ombre qui se glisse fur­ti­ve­ment au jar­din, un outil à la main, un sac sur l’é­paule ? Ce n’est pas l’heure du tra­vail, les reli­gieux sont reti­rés cha­cun dans leur cel­lule. Ne recon­nais­sez-vous pas le dos voû­té, la barbe blanche du frère Bona­ven­ture ? Que va-t-il donc faire à cette heure ?

Par­mi toutes ses plantes qu’il connaît si bien, notre tra­vailleur noc­turne n’a pas grand mal à trou­ver le plant des lis de la val­lée. Ils ne sont pas encore fleu­ris, mais les feuilles rou­lées sont prêtes à décou­vrir les jolies grappes blanches et odo­rantes. On croi­rait déjà res­pi­rer leur doux par­fum. Frère Bona­ven­ture enfonce la bêche, déterre soi­gneu­se­ment avec ses racines tout le plant, sans regret, sans hési­ta­tion. Le grand sac est plein, ouf ! le voi­là sur l’é­paule. Et, plus voû­té encore, sans lais­ser la bêche, frère Bona­ven­ture sort par la petite porte du couvent.

brin de muguet en foret - pour le mois de Marie

Le voi­là dans la cam­pagne. Vite, vite, il gagne le bois. Comme il est beau sous la lune ! Les feuilles nou­velles s’a­gitent avec un fré­mis­se­ment de soie, des par­fums d’arbres en fleurs flottent dans l’air. Mais le frère ne s’at­tarde pas. Il cherche, ici et là, les plus jolies clai­rières, les ban­quettes mous­sues des che­mins, les pentes bien expo­sées et, quand le ter­rain lui semble pro­pice, il enfonce la bêche et plante une touffe des pré­cieux lis de la vallée.

À l’aube, le moine revint las, essouf­flé, mais heureux.

« Je ne serai pas le seul à pos­sé­der les fleurs de Marie. Elles seront à tous, je res­te­rai l’humble jardinier. »

En effet, au bout de peu de temps, une ravis­sante flo­rai­son de clo­chettes odo­rantes cou­vrit le sol de la forêt, célé­brant le mois de mai et la beau­té du renou­veau. Il y en a par­tout, par­tout, même dans nos régions, de ces jolis lis de la val­lée qu’on appelle aus­si de mai.

M. D’A­len­çon.

Mois de mai : Mois de Marie

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.