Monsieur Vincent : de Dax à Paris

Auteur : Saint-Pierre, Michel de | Ouvrage : Monsieur Vincent .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Vie de Saint Vincent de Paul pour le catéchisme

Histoire à raconter au coin du feu, naissance de Saint Vincent de PaulVincent de Paul naquit en Gas­cogne, à Pouy — près de Dax — le 24 avril 1581. A vrai dire, aucun docu­ment reli­gieux ni civil ne nous a jamais ren­sei­gné sur l’an­née de sa nais­sance. Mais Vincent lui-même devait plus tard, à douze reprises dif­fé­rentes, pré­ci­ser son âge dans des lettres que l’on a conser­vées, et nous l’en croyons sur parole.

Mal­gré la par­ti­cule, l’en­fant n’é­tait pas de famille noble. Il y avait à Pouy un ruis­seau qu’on appe­lait Paul, et, selon l’u­sage de cette époque, la famille qui vivait près de là fut appe­lée « de Paul ». Vincent a d’ailleurs toute sa vie signé « Depaul » en un mot.

Ses parents avaient quelque bien, mais ils étaient de petits pay­sans. Le père, Jean de Paul, boi­tait — ce qui ne l’empêchait pas de tra­vailler avec achar­ne­ment, avec âpre­té. Il finit d’ailleurs par élar­gir son modeste domaine, et deve­nir pro­prié­taire de plu­sieurs fermes. Mais en atten­dant, ses six enfants (quatre gar­çons et deux filles) beso­gnèrent dur pour aider leurs parents. Vincent, le futur saint, vint au monde le troisième.

De très bonne heure, il gar­da les bre­bis, les vaches et les pour­ceaux de son père. Il devait le rap­pe­ler plus tard, affir­mant sans aucune honte qu’il était « un pauvre por­cher de nais­sance ». Pieux, il lui arri­vait fré­quem­ment, dit-on, d’al­ler prier sous un chêne auprès de la mai­son de ses parents. Les lieux où s’é­cou­la son enfance étaient situés au bord du fleuve l’A­dour : terres basses que les eaux recou­vraient deux fois par an. Le sol en était maigre ; il y pous­sait du seigle et un peu de millet. Aux sai­sons plu­vieuses, des mares y stag­naient — en sorte que le petit ber­ger devait sur­veiller son trou­peau du haut de ses échasses, affron­tant le vent mouillé.

Récit pour le caté - Les soeurs de saint Vincent de Paul à la soupeComme le curé d’Ars, Vincent de Paul eut une enfance à la fois libre et rude. Et comme lui, lors­qu’il était ren­tré à la mai­son, il n’é­tait pas pré­ci­sé­ment gâté : dor­mant non loin de l’é­table des bêtes qui n’é­tait sépa­rée de la mai­son des hommes que par une mince cloi­son de planches…

Quant aux repas fami­liaux, il les décri­ra plus tard en quelques mots : « Au pays dont je suis, on est nour­ri d’une petite graine appe­lée millet que l’on met à cuire dans un pot ; à l’heure du repas, elle est ver­sée dans un vais­seau, et ceux de la mai­son viennent autour, prendre leur réfec­tion, et après, ils vont à l’ouvrage. »

De même, il bros­se­ra un tableau vivant et simple de la vie que menaient ses propres sœurs à la cam­pagne : « Reviennent-elles à la mai­son pour prendre un maigre repas, las­sées et fati­guées, toutes mouillées et crot­tées, à peine y sont-elles, si le temps est propre au tra­vail ou si leurs père et mère com­mandent de retour­ner, aus­si­tôt elles s’en retournent, sans s’ar­rê­ter à leur las­si­tude et sans regar­der comme elles sont agencées. »

Nous trou­vons peut-être, dans ces lignes, une expli­ca­tion à ce « sens de la pau­vre­té », à cette mer­veilleuse com­pré­hen­sion des pauvres qui rem­pli­ront le cœur de Vincent, toute sa vie.

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Il y avait seule­ment neuf années, à la nais­sance de Vincent, que s’é­tait déchaî­né — une cer­taine nuit du 24 août 1572 — l’af­freux et célèbre mas­sacre de la Saint-Bar­thé­le­my. Depuis lors, le pays entier res­tait le théâtre d’une lutte sans mer­ci entre catho­liques et pro­tes­tants. Vincent de Paul avait sept ans quand le fameux duc de Guise vint à Paris mal­gré le roi Hen­ri III, orga­ni­sant la Jour­née des Bar­ri­cades, et mena­çant le pou­voir royal à tel point que le monarque le fit assas­si­ner, avec son frère le car­di­nal de Lor­raine, en l’an­née 1588. Puis ce fut, dès 1589, la mort d’Hen­ri III lui-même, poi­gnar­dé à son tour par le fana­tique Jacques Clément.

Les guerres de religions marquent l'enfance de Vincent de Paul

Alors, le pro­tes­tant Hen­ri de Béarn, roi de Navarre, bri­gua le trône de France — tan­dis que le duc de Mayenne réunis­sait les « Ligueurs » catho­liques pour s’op­po­ser au règne de l’hérétique.

Ce furent suc­ces­si­ve­ment les batailles d’Arques et d’I­vry, gagnées sur le duc de Mayenne — puis le triste siège de Paris, puis, enfin, l’ab­ju­ra­tion de Hen­ri de Navarre qui s’é­tait fait ins­truire dans la reli­gion catho­lique en décla­rant que « Paris valait bien une messe »…

Accep­té par les catho­liques, le nou­veau roi se fit sacrer sous le nom de Hen­ri IV dans la cathé­drale de Chartres, avant d’en­trer solen­nel­le­ment dans Paris pour se rendre à Notre-Dame aux accla­ma­tions du peuple : de ce pauvre peuple qui avait eu si faim et si froid pen­dant le siège, et qui se disait désor­mais « affa­mé de voir le roi ».

Fin des guerres de religions - histoire à lire en ligne

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Bien sûr, le jeune Vincent de Paul ignore l’es­sen­tiel de ces tris­tesses et de ces guerres. Et pour­tant, son enfance ne peut man­quer d’en être trou­blée, car tout cela bou­le­verse pro­fon­dé­ment le royaume — et, même chez les pay­sans gas­cons, on parle beau­coup des évé­ne­ments et des batailles.

Cepen­dant, l’es­poir revient peu à peu : Hen­ri de Navarre, deve­nu roi de France, est favo­ra­ble­ment connu des Lan­dais. Il a fait sen­tir son désir d’u­ni­fier la France, de lui rendre sa richesse. Enfin, on va pou­voir tra­vailler en paix…

Vincent gran­dit. Il est vif, achar­né au labeur, avide de savoir. Son père et sa mère ont vite remar­qué son intel­li­gence, son apti­tude excep­tion­nelle à apprendre, la soli­di­té et la sou­plesse de son esprit. Ils décident de faire en sa faveur des sacri­fices, et de soi­gner son édu­ca­tion : à douze ans, l’en­fant entre au col­lège de Dax. Il s’a­git là d’un éta­blis­se­ment assez modeste, à dire vrai. Vincent n’en apprend pas moins à fond le latin. Sa pié­té crois­sant avec sa science, il veut être d’É­glise : en 1596, il reçoit la ton­sure et les ordres mineurs. Le voi­là, lan­cé sur la dure et grande route qu’il ne quit­te­ra jamais plus…

Après Dax, il entre à l’u­ni­ver­si­té de Tou­louse où il pas­se­ra sept ans, pour faire ses huma­ni­tés et ses études en théo­lo­gie. On ima­gine mal aujourd’­hui de quelles rigueurs incroyables était faite la vie d’un étu­diant de ce temps-là. Un petit mou­ve­ment d’in­dis­ci­pline, un léger accès de paresse ou même, plus sim­ple­ment, une défaillance de mémoire étaient impi­toya­ble­ment punis par le fouet : et des éco­liers qui auraient aujourd’­hui l’âge d’être bache­liers, se voyaient bon­ne­ment fes­sés devant tout le col­lège, à la moindre incar­tade. La nour­ri­ture était fort mau­vaise, abso­lu­ment insuf­fi­sante — et quant à l’hy­giène, il n’y en avait pour ain­si dire pas : trop sou­vent, les étu­diants étaient cou­verts de poux et de ver­mine. La jour­née de tra­vail com­men­çait à 4 heures du matin — et le pro­gramme était si char­gé que les yeux des éco­liers, le soir, se fer­maient d’eux-mêmes. Et ce n’é­tait pas tout : encore éner­vés par le sou­ve­nir des que­relles reli­gieuses, les jeunes gens se bat­taient de col­lège à col­lège si bru­ta­le­ment qu’il leur arri­vait de s’entre-tuer et qu’on dut leur inter­dire de por­ter les armes…

Dans cette atmo­sphère tur­bu­lente, Vincent de Paul, lui-même Gas­con de sang vif et chaud, fit donc ses études. Robuste et de belle san­té, il sut pro­fi­ter de l’en­sei­gne­ment qui lui était don­né — et, plus tard, il devait obte­nir le diplôme de bache­lier en théo­lo­gie. Il apprit éga­le­ment les langues qu’il par­lait, nous dit un contem­po­rain, « avec une mer­veilleuse faci­li­té » : c’est ain­si qu’il connut, outre le gas­con et le fran­çais, l’es­pa­gnol, l’i­ta­lien et même quelques rudi­ments de langue arabe.

Histoire gratuite à lire aux enfants - Saint Vincent de PaulEn 1598, le jeune Vincent de Paul était ordon­né sous-diacre et diacre ; puis, il se fai­sait ordon­ner par l’é­vêque de Péri­gueux, le 23 sep­tembre de l’an­née 1600. Il avait alors dix-neuf ans.

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Durant les quelques années sui­vantes, la vie de Vincent fut agi­tée par divers voyages et pérégrinations.

Il finit par reve­nir à Tou­louse — où il apprit qu’une excel­lente femme l’a­vait, en mou­rant, ins­ti­tué son héri­tier. Or, un homme devait beau­coup d’argent à la défunte et s’é­tait enfui de la ville. C’é­tait donc entre les mains du nou­vel héri­tier que ce débi­teur, désor­mais, devait acquit­ter sa dette. Vincent le com­prit ain­si, sau­ta à che­val et se mit à la pour­suite du mau­vais payeur. (Il ne faut pas s’é­ton­ner de voir un jeune prêtre agir de la sorte, car cela était par­fai­te­ment conforme aux mœurs de l’é­poque.) Tou­jours est-il que Vincent rejoi­gnit son homme à Mar­seille et le contrai­gnit à « rendre gorge ».

Saint Vincent prit par les barbaresques musulmansSur ce, il fit la connais­sance d’un gen­til­homme qui le per­sua­da d’embarquer avec lui jus­qu’à Nar­bonne. Et c’est là que com­men­ça, pour Vincent, une aven­ture qui aurait pu se ter­mi­ner très mal.

Lais­sons la parole à qui devait lui-même, plus tard, nous conter cette affaire avec drô­le­rie et sim­pli­ci­té. Nous ne fai­sons ici qu’a­dap­ter un peu son récit, pour le rendre facile à comprendre :

— Le vent nous fut aus­si favo­rable que pos­sible, nous dit-il. Mais Dieu per­mit que trois vais­seaux turcs qui côtoyaient le golfe du Lyon, nous attaquent très vive­ment. Deux ou trois des nôtres furent tués et, les autres, bles­sés. Et même moi, je reçus un coup de flèche qui me ser­vi­ra d’hor­loge tout le reste de ma vie. Nous fûmes contraints de nous rendre à ces félons, pires que des tigres. Leur rage était telle qu’ils hachèrent notre pilote en cent mille pièces, pour avoir tué l’un de leurs chefs… Ils nous enchaî­nèrent, et pour­sui­virent leur cam­pagne, volant et pillant, lais­sant néan­moins la liber­té à ceux qui se ren­daient sans com­battre. Et enfin, char­gés de mar­chan­dises, ils prirent la route de Bar­ba­rie (Afrique du Nord)…

Et Vincent conti­nue son récit.

Arri­vés à Tunis, les Turcs le pro­me­nèrent avec ses com­pa­gnons par toute la ville, pour les vendre. C’é­tait l’é­poque où l’es­cla­vage régnait en maître sur les côtes de l’A­frique. Les mar­chands allaient donc ins­pec­ter Vincent de Paul et ses amis, exac­te­ment comme ils l’au­raient fait d’un che­val ou d’un bœuf, et c’est le cap­tif lui-même qui nous décrit ces scènes bizarres : « Nous fai­sant ouvrir la bouche pour visi­ter nos dents, pal­pant nos côtes, son­dant nos plaies et nous fai­sant che­mi­ner le pas, trot­ter et cou­rir, puis tenir des far­deaux et puis lut­ter pour voir la force d’un cha­cun. Et mille autres sortes de brutalités. »

Fina­le­ment, Vincent fut ven­du à un pêcheur, lequel le reven­dit à un vieux méde­cin qui s’a­don­nait à l’al­chi­mie, cher­chant à fabri­quer de l’or, à gué­rir les mala­dies et à pré­dire l’a­ve­nir. Vincent de Paul s’en­ten­dit fort bien avec cet étrange doc­teur, et il apprit de lui des remèdes réel­le­ment effi­caces qu’il devait appli­quer à son tour, par la suite, avec d’ex­cel­lents résultats.

À la mort du méde­cin, le cap­tif fut rache­té par un homme qui avait renié la reli­gion chré­tienne pour adop­ter la vie musul­mane. Mais Vincent avait un grand pou­voir de per­sua­sion — et, par­lant sou­vent à son nou­veau maître, avec sa cha­leur et son élo­quence déjà grande, des choses reli­gieuses et de la vie chré­tienne, il finit par le conver­tir. Tant et si bien qu’un beau jour, le maître et le pri­son­nier s’embarquèrent sur un petit esquif, pour abor­der en terre fran­çaise. Là, le rené­gat confes­sa ses fautes — et Vincent, non encore content, pro­fi­ta de ses bonnes dis­po­si­tions pour l’emmener jus­qu’à Rome.

Comme on le voit, les aven­tures ne man­quèrent point à la vie du futur saint…

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