Sainte Jeanne d’Arc
Sur le rempart qui s’avançait en bordure de la Loire jusqu’aux avant-postes ennemis, Loïs, tapi derrière un créneau, regardait songeur l’énorme pont défendu par le fort des Tourelles, la plus redoutable bastille des Anglais.
Était-ce là que, demain, s’affronteraient hommes d’armes et archers pour libérer la ville d’Orléans dont les Anglais occupaient les forts extérieurs ?
Soudain, Loïs tressaillit. Toute menue sous son armure de guerre, une ombre se dressait non loin de lui sur les créneaux, insoucieuse des flèches anglaises.
La jeune fille était seule, et Loïs, qui l’aurait reconnue entre mille, la regardait s’approcher en retenant son souffle. Tout à coup, il l’entendit soupirer tout haut tandis que ses yeux se remplissaient de larmes :
« Las ! las ! mon doux Seigneur, faudra-t-il donc ici combattre et verser le sang chrétien ? Ces hommes n’entendront-ils donc pas votre voix ? Ah ! si je pouvais trouver messager capable de toucher leur cœur !
— J’irai, moi, si vous voulez… »
Sortant brusquement de sa cachette, l’enfant venait de mettre un genou en terre devant Jeanne d’Arc, la jeune Lorraine.
« Toi, petit ? Mais ils ne voudront pas t’entendre !
— Au contraire, damoiselle, je suis petit, je passerai plus facilement et je saurai peut-être mieux les toucher que hérauts et gens d’armes… »
Jeanne, silencieuse, réfléchissait.
« Enfant, répondit-elle enfin en plongeant son regard dans les yeux de Loïs, tu iras si Dieu le veut… Viens me trouver ce soir après l’Office, je te dirai ce qu’il faudra faire. »
***
Jamais après-midi ne parut si long à Loïs que cette vesprée de mai, souriante et ensoleillée. Enfin, le soir vint, et, dans l’air plus frais, les cloches tintèrent longuement l’Angélus.
Arrivé bien avant l’heure aux portes de l’hôtel de l’Annonciade, Loïs attendait le cœur battant. Enfin, le cortège qui revenait de la cérémonie solennelle, organisée à la cathédrale pour obtenir de Dieu la délivrance de la ville, commença à envahir les rues.
Blotti dans l’ombre du porche, Loïs ne disait mot. Mais lorsque Jeanne passa, suivie de capitaines et d’archers, l’enfant bravement la suivit et les soldats, sur un signe de la Pucelle, le laissèrent entrer dans la cour d’honneur.
Dans la salle haute de l’hôtel, Loïs, maintenant, était seul avec Jeanne.
« Petit, commença-t-elle en lui tendant la feuille de parchemin cachetée de cire qu’elle venait de prendre sur une table, voilà mon message. N’aie pas peur. Dieu sera avec toi et les hommes d’Angleterre ne te feront point de mal. Tu vas descendre au poste de Bellecroix d’où tu pourras facilement héler la sentinelle. Tu lui diras que tu as un message pour le capitaine du fort et qu’il faut te l’appeler. »
***
Sur les ruelles basses aux pavés glissants, la nuit s’épaississait peu à peu. Au fur et à mesure qu’il approchait du pont dont la dix-huitième arche abritait la forteresse anglaise, Loïs voyait grandir autour de lui le silence et la solitude.
Fidèle aux conseils de Jeanne, l’enfant avançait maintenant avec prudence le long des vieux murs. Jamais il n’avait eu dans son cœur pareille joie et plus calme vaillance.
Oui, il le sentait bien, Dieu était avec lui, qui donnait tant de force à la jeune bergère et tant d’espérance à ceux qui l’écoutaient.
Sous les pas de Loïs, la ruelle s’était tout à coup élargie et, devant lui, s’étendait, austère et imposant, le poste de Bellecroix qui, installé sur la dernière arche du pont, avançait ses créneaux jusqu’à la première plate-forme du redoutable fort des Tourelles.
Muni d’une lettre de Dunois pour le commandant du poste, Loïs n’eut pas de peine à obtenir qu’on le laissât monter aux créneaux. La nuit était tombée tout à fait sur le fleuve dont les eaux clapotaient au pied des tourelles, éclairant de lueurs fugitives la silhouette massive de la sentinelle anglaise.
Il s’agissait de se faire reconnaître avant que l’homme ne tire la flèche qui ne pardonne pas.
« Un… deux… trois… » comptait machinalement Loïs en scandant les pas du soldat qui résonnaient, lourds et réguliers, sur les dalles de pierre.
Toc… toc… toc… répondait son cœur en battant très fort dans sa poitrine…
Arrivé au bout du chemin de ronde confié à sa garde, l’homme venait de se retourner ; il revenait maintenant vers l’enfant… Dans quelques minutes, il serait tout près de lui.
Dans un éclair, Loïs revit le calme visage de Jeanne aux yeux clairs : « Va, petit, Dieu sera avec toi, et les hommes d’Angleterre ne te feront point de mal… »
Alors, se redressant de toute sa taille sur le rempart :
« Holà, Messire, cria-t-il d’une voix forte, j’ai message pour votre capitaine de la part de Jeanne la Pucelle… »
Surpris, le soldat avait tiré son arme d’un mouvement rapide, mais, avant qu’il ait pu viser, la lune se découvrant tout à coup éclaira le jeune garçon en pleine figure.
« Un enfant ! cria-t-il en riant d’un gros rire moqueur, que voilà noble messager pour si vaillante guerrière. Envoie ton message, moucheron ! »
Mais Loïs n’était pas disposé à se laisser ainsi jouer :
« Je ne le remettrai qu’à votre capitaine, allez me le quérir… »
Impressionné malgré lui par si grande audace de la part de si petit homme, le soldat en grommelant descendit à l’intérieur du fort. Quelques minutes après, Loïs entendait de nouveau résonner les lourdes armures sur les dalles.
Suivi d’un écuyer et d’un homme d’armes, Glasdall, principal lieutenant du fort, s’avançait aux remparts.
« Te voilà bien hardi de troubler mon sommeil », gronda-t-il en apercevant le jeune gars fièrement dressé devant lui.
Mais, sans se laisser intimider, Loïs répondit :
« Je suis petit, Messire, mais mon message est grand ; lisez-le, au nom de Dieu, et il vous en sera tenu gré… »
« Vous, hommes d’Angleterre, lisait Glasdall à la lueur des torches, qui n’avez aucun droit sur le royaume de France, le Roi du ciel vous ordonne et vous mande par moi que laissiez vos bastilles et vous en alliez dans votre pays, ou sinon je vous infligerai une telle défaite qu’il en sera perpétuelle mémoire… »
« Par ma foi, s’écria l’Anglais, secoué d’un gros rire qui glaçait au delà du rempart le cœur anxieux de Loïs, voilà bien nouvelle audace de la part de cette sorcière… Quitter nos bastilles, non pas ! qu’elle vienne donc les prendre si elle l’ose… »
Et les lourds quolibets de pleuvoir de plus belle, couvrant ta voix frêle de Loïs qui essayait bravement de défendre son message.
Sur un dernier rire, la lourde porte de fer claqua rudement, et le petit garçon se retrouva seul dans la nuit froide.
***
Le lendemain matin, l’aube blanchissait à peine que Jeanne, avertie de l’approche de l’armée de Blois, sortait de l’église Sainte-Croix où elle venait d’entendre la messe.
Elle allait franchir le lourd portail entrouvert pour elle, lorsqu’elle aperçut, étendue à même le sol, une forme frêle qui semblait dormir à l’ombre des statues de pierre.
C’était Loïs qui, désespéré de l’insuccès de sa mission, était venu se réfugier sous le porche de l’église, et qui, épuisé de fatigue et d’émotion, s’était endormi.
Pressentant déjà le sort que les Anglais avaient réservé à son message, avertie par ses voix des combats qu’elle aurait à soutenir, Jeanne avait puisé dans la prière la force d’accomplir sa rude mission.
« Petit, dit-elle très doucement en posant sa main sur l’épaule de Loïs, Messire Dieu est content de toi. Sois fidèle à Le prier ces jours qui vont venir, car les hommes d’armes vont batailler ; mais c’est Lui qui leur donnera la victoire, et il y aura grande joie dans peu de temps en la ville d’Orléans. »
***
Cinq jours plus tard, les cloches sonnaient à toute volée sur la ville délivrée.
Pris de peur devant les assauts irrésistibles des armées de Jeanne, les assiégeants s’étaient enfuis, abandonnant bastilles et canons. Les hommes d’armes avaient vaillamment combattu, et, fidèle à sa promesse, Dieu avait couronné de succès leurs efforts.
Blessée à l’attaque du fort des Tourelles, Jeanne s’avançait pourtant, vaillante, vers la cathédrale où l’on allait chanter un solennel Te Deum. Et, près d’elle, rayonnant de joie et de fierté, Loïs portait très haut dans le ciel bleu l’étendard blanc où souriait, gracieuse parmi les lys, la douce image de la Madone.
Jean Bernard.
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