Martyr 1936

Auteur : Rougemont, Pierre | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Ne me deman­dez pas com­ment j’ai su cette his­toire. Lisez-la.

Histoire de martyrs Cristeros - Ville du MexiqueCette grande ville du pos­sède un lycée et, ce matin-là, Jacques Fer­val, treize ans, se tient dans un coin de la cour. C’est le fils du Consul fran­çais, récem­ment arri­vé, et c’est la pre­mière récréa­tion de Jacques au lycée. Aus­si, bien qu’il ne soit pas timide, il éprouve cette appré­hen­sion propre aux nouveaux.

C’est alors que Ramon Alva­rez s’est approché.

« Tu es nouveau ?

– Oui.

– Viens jouer avec moi.

– Oui…, mais les autres me laissent, pour­quoi t’oc­cupes-tu de moi ? »

Ramon met le doigt sur l’in­signe de la Croi­sade que Jacques porte à sa boutonnière.

« C’est à cause de cela. »

Puis il ajoute :
« Tu as de la chance d’être étran­ger… comme ça tu peux por­ter ton insigne. »

Tel fut le début de leur amitié.

***

– Trois semaines plus tard, Jacques, invi­té à pas­ser l’a­près-midi de congé chez son ami, était reçu par M. Alvarez.

« J’ai déjà eu l’oc­ca­sion de ren­con­trer votre papa, mon petit ami, expli­qua-t-il, et je suis heu­reux de vous savoir déjà lié avec Ramon. »

Et, pas­sant sa main sur la tête du petit Mexi­cain il ajouta :

« Je n’ai que lui, puisque le Bon Dieu m’a repris sa maman… Après tout, cela vaut mieux pour elle, étant don­né les tristes temps où nous vivons. »

Cette phrase, aus­si bien que la réflexion de Ramon à pro­pos de l’in­signe de la Croi­sade, fit que Jacques vou­lut en savoir davan­tage. C’est ain­si qu’il apprit quelle ter­rible per­sé­cu­tion se déchaî­nait au Mexique ; et M. Alva­rez lui racon­ta com­ment, depuis dix ans, les évêques étaient exi­lés, les prêtres chas­sés ou même fusillés, comme le Père Pro, les catho­liques assaillis en toute occasion.

« À pré­sent, conti­nua M. Alva­rez, le gou­ver­ne­ment a tel­le­ment réduit le nombre des prêtres auto­ri­sés par lui, que c’est à peine s’il en reste un pour cent mille âmes.

– Mais, s’in­for­ma Jacques, les autres ? Ceux qui ne sont pas autorisés. »

M. Alva­rez ne répon­dit pas : il par­lait main­te­nant de ces ado­les­cents à peine plus âgés que Jacques et que Ramon et qui avaient été mis a mort pour la cause du Christ ; il cita ce jeune homme de seize ans, mis en croix un ven­dre­di-saint et que les bour­reaux fusillèrent à trois heures de l’après-midi.

***

Dès la pre­mière récréa­tion du len­de­main, Jacques vint à Ramon les yeux en feu.

« Ramon, j’en ai rêvé toute la nuit… Moi aus­si je vou­drais être . »

Ramon sou­rit. Jacques s’en étonna.

« Tu ne me crois pas ?

Récit héroïque - Martyr, Saint Theophane Venard– Oh ! si… Seule­ment je pense à ce mis­sion­naire de ton pays qui mou­rut déca­pi­té au Ton­kin ; il écri­vait la veille de son exé­cu­tion : Le mar­tyre consi­dé­ré dans une médi­ta­tion au sémi­naire semble facile ; vu de près, c’est plus dur.

– Pour­quoi me dis-tu cela ?

– Parce que je crois que si Dieu demande le mar­tyre du sang, évi­dem­ment. Il envoie les grâces néces­saires. Mais je crois aus­si qu’il faut s’y pré­pa­rer, et… mais j’ai peur que tu te fâches…

– Du tout, continue.

– Eh ! bien, je trouve que tu ne t’y pré­pares pas ; en classe tu n’é­coutes guère, en étude tu perds du temps.

– Que veux-tu, cette vie de lycée m’as­somme. Moi, J’é­tais fait pour la grande aven­ture. En arri­vant ici, je m’at­ten­dais à cou­rir la savane, mais c’est le même genre d’exis­tence qu’à Paris. »

Ramon, à qui la mort récente de sa maman, aus­si bien que-la gra­vi­té des évé­ne­ments au milieu des­quels il vivait, avait don­né une matu­ri­té d’es­prit au-des­sus de son âge, riposta :

« Le mar­tyre, mon vieux, c’est une preuve d’a­mour. Or, ce n’est pas en cou­rant la savane que tu mon­tre­ras à Notre Sei­gneur que tu l’aimes, mais en accom­plis­sant le devoir quo­ti­dien qu’Il te donne à faire. Or, ce devoir, c’est de tra­vailler au lycée de ton mieux… Tu veux le mar­tyre, dis-tu, tra­vaille. Cela en est un.

– C’est moins…

– C’est moins embal­lant ? Peut-être, mais c’est sûre­ment cela que Dieu te demande. »

Jacques res­ta tout rêveur.

***

Quinze jours plus tard.

– Jacques qui entre chez M. Alva­rez le trouve tout sou­cieux. Ramon, dési­gnant son ami à son père, dit seulement :

« Et lui ?

– Qu’y a‑t-il donc ? » deman­da Jacques.

M. Alva­rez d’a­bord hési­tant, puis sachant qu’il pou­vait se confier, dit à Jacques com­ment Ramon et lui por­taient chaque semaine des pro­vi­sions à un qui se cachait dans la forêt voi­sine, le Père Juan Tolo­so, mais qu’ils crai­gnaient d’être sui­vis et qu’ils ne voyaient pas qui pour­rait momen­ta­né­ment les remplacer.

« Moi, dit Jacques, tout fris­son­nant de l’a­ven­ture qui se préparait.

– J’ac­cep­te­rais d’au­tant mieux, dit M. Alva­rez, que votre qua­li­té d’é­tran­ger et la posi­tion de votre père vous met­traient à l’a­bri de tout risque, mais deman­dez la per­mis­sion à vos parents, entendez-vous ?

– Je l’au­rai, dit Jacques, je connais papa et maman.

– Aujourd’­hui, conti­nua M. Alva­rez, j’i­rai encore. Il me faut pré­ve­nir le prêtre qui s’é­ton­ne­rait de vous voir ; mais la pro­chaine fois ce sera vous. Main­te­nant, il faut que vous sachiez tout, même la cachette du Saint-Sacre­ment. Pre­nez le plan de la forêt. Savez-vous le lire ?

– J’é­tais scout en France, dit Jacques, Troupe 120e Paris. »

Et tous trois se pen­chèrent sur le plan de la forêt.

***

Mais le len­de­main, Ramon ne vint pas au lycée… À la sor­tie de onze heures, Jacques le trou­va qui le guet­tait, en larmes, au coin d’une petite rue.

« Qu’y a‑t-il ?

– Papa n’est pas reve­nu… arrê­té sûre­ment. Un agent de police est venu per­qui­si­tion­ner chez nous tout à l’heure. »

Atter­ré, Jacques se tai­sait. Ramon reprit :

« Sais-tu si ton père te lais­se­rait aller à la cachette du Père pour tâcher de savoir quelque chose ?

– J’ai eu sa per­mis­sion dès hier soir. J’y vais.

– Oh ! merci. »

Quand il par­vint à la cachette, Jacques la trou­va vide.

Le sol était rude­ment pié­ti­né. Un livre, taché de sang, gisait à terre. L’en­fant com­prit. Les sol­dats avaient sui­vi M. Alva­rez qui, ain­si, les gui­dait invo­lon­tai­re­ment. Le prêtre et son bien­fai­teur avaient été arrê­tés ensemble.

Et le Saint-Sacrement ?

Jacques, grâce aux indi­ca­tions de la veille, trou­va assez vite la cus­tode dorée où repo­sait l’u­nique hos­tie que le Père Juan gar­dait toujours.

À genoux, il la prit et la cacha sous son vête­ment. Au retour, comme il pas­sait devant la mai­son de M. Alva­rez, il vit des sol­dats qui en sor­taient et qui fai­saient mon­ter Ramon dans une auto de la police, les mains liées der­rière le dos.

Histoire pour la catéchèse - Cristeros, Prêtre fusillé

***

M. Fer­val a fait ce qu’il a pu, mais son inter­ven­tion auprès des auto­ri­tés n’a pu obte­nir qu’une chose : Jacques est auto­ri­sé à visi­ter Ramon dans son cachot. Il entre :

« Ramon !

– Jacques !

– Tu es venu me dire adieu. Oh ! merci.

– Adieu ! mais non.

– Si… Ils ont fusillé papa et le Père Juan ce matin.

Ce sera mon tour tout à l’heure. Tu vou­lais être mar­tyr, Jacques, et c’est moi qui vais l’être. Mais pro­mets-moi de ne jamais oublier ce que je t’ai dit. Tu le seras comme moi… d’une autre façon, plus longue, mais tout aus­si méritoire.

– Oui. Je te le promets.

– T’en souviendras-tu ?

– Oh ! Ramon !

– Vite, nous avons peu de temps ; dis-moi encore, as-tu trou­vé le Saint-Sacrement ?

– Oui, je l’ai sur moi. Mais où le por­ter ? Les églises d’i­ci sont fermées.

– Écoute, je me suis confes­sé ce matin au Père Juan et il m’a dit que si tu trou­vais le Saint-Sacre­ment je pour­rais communier.

– Mon Dieu, quel bonheur ! »

Et, comme autre­fois Tar­ci­sius dans les pri­sons romaines, Jacques dépo­sa le Corps du Christ sur les lèvres de son ami.

Un quart d’heure plus tard, la porte s’ou­vrit devant un sol­dat qui venait cher­cher Ramon, lequel n’eut que le temps d’embrasser une der­nière fois son ami.

Appuyé contre la muraille, les yeux fer­més, Jacques entend les pas dans la cour, le cli­que­tis des armes…

Il sup­pose Ramon debout devant les sol­dats, et comme saint Étienne, le pre­mier mar­tyr, voyant déjà les cieux ouverts. Et son papa et sa maman qui l’at­tendent… Puis le com­man­de­ment bref et la décharge de douze fusils.

***

Au cime­tière de Huet­jut­la, il y a une tombe où sont gra­vés ces simples mots :

Ramon ALVAREZ
Mort pour le Christ

et où chaque jour, à la sor­tie du lycée, un ado­les­cent vient se recueillir avant de ren­trer chez lui pour faire ses devoirs.

Et à son père, qui tout de même s’é­tonne de le voir si appli­qué à son devoir quo­ti­dien, Jacques, qui a main­te­nant com­pris la réa­li­té de ce qu’il appe­lait autre­fois la grande aven­ture, Jacques répond avec son beau sou­rire tranquille :

« C’est mon mar­tyre, papa. »

Pierre Rou­ge­mont.

Catéchèse - témoin de la Foi - Bannière des cristeros

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