Chapitre XIV :
Chacun sait que Colette est réalisatrice. Dans cette attende de l’ordination d’Yvon, elle forme cinquante projets d’apostolats. Un beau jour, elle entreprend d’y associer les petites filles de l’école chrétienne, libres de leur temps, puisque, pour elles aussi, la période du grand congé est commencée.
Munie de toutes les permissions voulues, Colette, aidée d’Annie, organise sous les marronniers une salle d’étude champêtre. Les garçons ont apporté les bancs de l’école et fabriqué, avec des planches et des tréteaux, une table sur laquelle s’étalent, en miniature, les objets nécessaires à la messe.
Yvon, tout enfant, rêvait déjà d’être prêtre. Il possédait un petit autel et tout l’ensemble des objets liturgiques. Ces trésors ont passé entre les mains de Colette, si bien que, faisant miroiter un minuscule, mais très joli ciboire doré, elle demande aux petites écolières groupées autour d’elle :
— Qui me dira ce que c’est que ceci ?
Les réponses sont unanimes : Un ciboire, un ciboire !
— Bon ! Mais quelle différence y a‑t-il avec cet autre objet ?
— Ça, c’est un autre ciboire.
— Non, interrompt une petite brunette dont les yeux brillent comme du jais ; pas du tout, c’est un calice.
— Qui m’explique la différence ? continue le professeur improvisé.
— Moi ! moi !
— Ne criez pas toutes à la fois. Allons, Anna, toute ta frimousse parle d’avance : dis-nous ce que tu sais.
Anna perd un instant contenance ; être interpellé, c’est toujours une émotion. Puis, bravement :
— Le ciboire est un vase précieux, dont l’intérieur doit être doré pour recevoir les saintes Espèces, c’est-à-dire les Hosties consacrées.
— Parfais. Et le calice ?
— Le calice, c’est tout différent. Il ne sert qu’à la Messe. Le prêtre verse dedans le vin qui, à la Consécration, deviendra le Sang de Notre-Seigneur. Pour communier, le prêtre boit dans le calice, et, à la fin de la Messe, il le purifie et l’essuie soigneusement avec le purificatoire.
— Bravo, petite Anna ! tu parles comme un livre.
Anna se rassied rougissante, et Colette, montrant la patène, s’adresse à une fillette attentive, qui demeure silencieuse dans un coin.
— Et toi, Nicole, dis-nous ce que je tiens à la main.
— La patène, mademoiselle Colette. C’est un petit plateau doré, sur lequel le prêtre pose la sainte Hostie pendant la Messe.
Plus bas, timidement, l’enfant ajoute :
— Notre-Seigneur repose sur la patène, aussi vraiment que le petit Jésus dans la crèche.
— Mais c’est parfais. Je n’ai rien à vous apprendre. Et cela ? Ces petites bouteilles, à quoi servent-elles ?
Réponse unanime :
— Ce sont les burettes ; elles contiennent l’eau et le vin pour la Messe.
— A quoi sert l’eau ?
— A laver les doigts du prêtre.
— Et aussi, interrompt la petite Anna, à mêler quelques gouttes de cette eau au vin devant servir à la Consécration.
— Pourquoi ?
— Pour rappeler… pour rappeler… (Anna s’embrouille un peu).
Un instant Colette a très peur d’en faire autant. D’un vigoureux effort de mémoire, elle se ressaisit :
— Pour rappeler l’union des fidèles avec Notre-Seigneur. J’ai oublié de vous montrer ceci.
Et Colette tient délicatement un petit cercle doré.
Tous les yeux sont braqués, mais les bouches closes. On hésite. Cependant Nicole se hasarde :
— Je croix bien que c’est une « lunule ».
— Oui, oui, crie la bande entière.
— Fort bien. Mais vous ne dites pas l’usage qu’on en fait.
C’est encore Nicole qui répond :
— La lunule est comme une petite boite en verre, entourée d’un cercle d’or. Le prêtre y met une Hostie consacrée, plus grande que les autres, parce que c’est celle qu’on expose dans l’ostensoir et, plus elle est grande, mieux on la voit.
— Et l’ostensoir, alors, explique-nous ce que c’est.
— Un soleil doré, mademoiselle Colette, qui entoure la sainte Hostie, quand on expose le saint-Sacrement pour que nous l’adorions.
— Maintenant, reprend le professeur avec un entrain redoublé, attention ! Ça va devenir difficile. Nous allons prendre les ornements. Supposons que M. le curé arrive à la sacristie pour s’habiller avant de dire sa Messe ; que met-il d’abord ?
Silence général.
— Allons, courage, réfléchissez.
Un petit doigt se lève.
— Parle, Marie-Ange.
— Il met une grande robe blanche.
— Non, non, protestent plusieurs voix. Avant il met l’amict.
— Qu’est-ce que c’est ? réclame le « professeur ».
— Un linge blanc, carré, que M. le curé pose sur ses épaules et qu’il attache autour de la taille.
— Qu’est-ce que représente ce linge ?
Personne ne dit mot.
De son fauteuil dissimulé non loin de là, Yvon, depuis un moment, suit, très amusé, ce dialogue. Il devine que les choses se compliquent et s’avance sans bruit, appuyé sur une grosse canne. Dans le silence provoqué par la dernière question de Colette, il dit gaiement :
— Je crois qu’on a besoin de moi ?
— Tu arrives à point, c’est sûr, répond Colette, qui commence à avoir chaud et à craindre de s’être bien avancée. Tu vas nous dire comment s’habille le prêtre.
— Il se lave d’abord les mains en demandant à Dieu la pureté nécessaire pour célébrer le saint Sacrifice, puis il pose l’amict sur sa tête, avant de le rabattre sur les épaules.
— Sur la tête ? Pourquoi ?
— Parce que l’amict symbolise le casque du salut qui défend le prêtre contre les attaques du démon.
Les petites écolières, d’abord très intimidées par l’arrivée de « monsieur l’abbé », reprennent un peu d’assurance. Nicole avance la main vers la table, s’empare de la petite aube et demande :
— C’est cette robe qu’on met après l’amict ?
— Oui, ma petite. Le prêtre, en la revêtant comme un symbole de pureté, demande à Dieu de laver, de purifier son âme dans le sang de l’Agneau, c’est-à-dire dans le sang répandu par Notre-Seigneur sur la Croix ; de même, en serrant le cordon que voici autour de sa taille, il implore la force de rester pur toute sa vie.
Colette s’est emparée du manipule.
— Et ça ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
Une petite voix répond :
— Quelque chose qui se pend au bras.
Éclat de rire général. Yvon dit, débonnaire :
— Mais oui, « ça » se pend au bras, seulement c’est un manipule, et je vais vous en dire la signification. Autrefois, le manipule était une sorte de linge qui servait à s’essuyer le front, quand les grandes chaleurs y amenaient la sueur, pendant les longues cérémonies. Son usage s’est modifié, et, en l’attachant à son bras, le prêtre prie Dieu de lui donner le courage de supporter les larmes et les douleurs de la vie, pour obtenir ensuite la joie éternelle.
Maintenant, enfants, voici l’étole, vêtement d’honneur, qui rappelle la dignité du prêtre et qui est un symbole d’immortalité, et enfin la chasuble.
— Oh ! monsieur l’abbé, questionne timidement Anna, pourquoi la chasuble a‑t-elle cette forme ?
— Autrefois, au commencement de l’Église, les prêtres portaient un large et grand manteau rond, sans manches. C’est ce manteau qui s’est peu à peu modifié, et qui est devenu une chasuble. Elle est l’emblème de la Charité, c’est-à-dire de l’amour qui fait trouver doux et léger le joug du Seigneur. C’est pourquoi la chasuble est presque toujours marquée d’une Croix.
J’ajoute, mes enfants, qu’il y a encore deux objets assortis à l’ornement du prêtre, et dont il se sert à l’autel pour célébrer la Messe. Ce sont, — vous en avez ici les modèles, — le voile du calice et la bourse.
Comme son nom l’indique, le voile du calice recouvre celui-ci, mais seulement jusqu’à l’Offertoire et après la Communion. Quant à la bourse, elle contient le corporal.
Yvon en est là de ses explications, quand arrive Annie en courant.
— Tiens, Yvon ! maman t’envoie à choisir entre ces deux échantillons. C’est pour doubler l’ornement vert que nous avons fini de broder. Dis vite ce que tu préfères.
Yvon éclate de rire.
— Mais je n’y connais goutte ! ma pauvre Annie.
Il ajoute, entre haut et bas, pour ne pas provoquer la gaieté malicieuse de la bande écolière :
— Dis à maman que ça n’est pas de mon ressort, et qu’elle choisisse elle-même une étoffe aussi durable que possible. J’ai toujours entendu dire que les « curés » étaient des brise-tout en fait d’ornements, et je n’ose pas croire que je ferai exception.
Annie repart, riant aussi, mais Colette a saisi au vol toute une série de pensées nouvelles.
— Bien vite, Yvon, pendant que nous sommes là, explique pourquoi il y a des couleurs liturgiques. Mais attends une minute.
Et, se tournant vers son auditoire, Colette réclame :
— Dites d’abord ce que vous savez.
Alors c’est un beau tapage ; tour le monde crie ensemble :
— Vert, rouge, violet, blanc, noir, or !
Yvon, d’un geste, apaise cette belle ardeur.
— C’est très bien de connaître les couleurs liturgiques. Mais l’important est de savoir ce qu’elles symbolisent.
Instantanément, tout le monde se tait, et Yvon reprend :
— Le blanc indique la pureté, la joie, la gloire. Il est employé pour beaucoup de fêtes de Notre-Seigneur, celles de la sainte Vierge, des Anges et des Saints qui ne sont pas martyrs. Le vert nous parle d’espérance ; c’est la couleur des offices du temps de l’Épiphanie et du temps de la Pentecôte. Le violet est une couleur triste ; elle nous rappelle la pénitence. L’usage est donc de s’en servir pendant l’Avent, la Septuagésime, le Carême, les Vigiles, les Quatre-Temps et pour la fête des saints Innocents, quand elle ne tombe pas un dimanche.
Une petite voix dit :
— Et le rouge ?
— Le rouge, ça se devine tout seul, voyons ! N’est-ce pas la couleur du sang et du feu ? Elle est tout indiquée pour les fêtes de la Croix, de la Passion, des martyrs, et pour les fêtes du Saint-Esprit.
Quand au noir, il est clair qu’il symbolise le deuil. On s’en sert le Vendredi Saint, le jour des morts (2 novembre) et à tous les services des défunts.
Colette précise :
— Tu oublies l’or, Yvon ?
— Pas du tout. L’or est en marge des couleurs liturgiques. Il remplace le blanc, le rouge et le vert, pour donner plus d’éclat aux grandes cérémonies. Et maintenant, je parie que tout le monde ignore qu’il peut y avoir un ornement rose.
— Rose ? Tous les yeux interrogent M. l’abbé.
— Parfaitement, rose, mais seulement deux fois par an : le troisième dimanche de l’Avent et le quatrième dimanche de Carême, on peut s’en servir à la place du violet. Quand vous étudierez l’année liturgique, on vous en donnera la raison.
Pour aujourd’hui, mes enfants, en voilà assez. Vos mères doivent vous attendre. Allez vite goûter avec Mlle Colette, et puis sauvez-vous.
À retenir par les enfants de chœur du monde entier
Oui, et même par tous les jeunes chrétiens/chrétiennes.