Ne disons pas : « La sainteté, ce n’est pas pour moi ; je ne suis ni un évêque, ni un moine, ni ceci, ni cela… » Il est des saints de tous métiers : cabaretiers, agriculteurs, cordonniers, serviteurs, sacristain-colporteurs, charbonniers, soldats, médecins, avocats, instituteurs.… on trouve même un ex-comédien. De même, pour les femmes, nous avons des cultivatrices, des servantes, une teinturière, et… une star d’Athènes !
Le comédien
Il se nommait Genès, et sans doute, dans tout l’élan de sa « jeunesse », ne songeait-il qu’à faire le pitre, à rire et à faire rire. C’est ainsi que, païen de Rome, il se fit instruire des cérémonies chrétiennes pour les tourner en ridicule sur la scène. Les spectacles de ce genre étaient très à la mode au temps de Dioclétien.
Aujourd’hui, Genès s’apprête à jouer une farce impie dont il tiendra le rôle principal, celui du néophyte un peu niais qui va recevoir le baptême. La comédie commence… Les spectateurs s’en donnent à cœur joie quand, soudain, saisi par la grâce, le jeune homme se sent envahi d’un ardent désir du baptême : « O Dieu, s’écrie-t-il en son cœur, lavez-moi en cette eau baptismale ; en toute sincérité je veux être chrétien ! »
Personne n’a pu voir l’action intérieure de la grâce ni entendre le cri de Genès, mais tout le monde remarque le sérieux de l’acteur. Il entre trop bien dans son rôle ; ce n’est plus amusant du tout ; les rires se sont tus : « Dis donc ! fais-nous rire un peu ! »
Ces sortes de parodies se terminaient généralement par l’interrogatoire du soi-disant nouveau chrétien qui, à la grande joie des spectateurs, n’hésitait pas à sacrifier aux idoles, après avoir répondu aux interrogatoires de la façon la plus cocasse, ou bien, qui refusait de sacrifier et recevait, pour la forme, sa condamnation. Un magistrat complaisant (un vrai, celui-la !) consent à se prêter à cette comédie. Genès est donc conduit à l’interrogatoire par des acteurs déguisés en soldats : mais quoi, il répond avec une fermeté, une sincérité qui ne laissent pas de doute : « Jusqu’ici j’avais une telle haine contre les chrétiens que je ne savais que les tourner en dérision ; je raillais leurs cérémonies sur la scène, j’allais les insulter au milieu des tourments. Aujourd’hui, à peine l’eau du baptême a‑t-elle touché mon front, que toute ma vie m’a fait horreur. Vous qui avez applaudi aux profanations que j’ai faites des mystères chrétiens, commencez donc par les révérer avec moi. »
La foi, l’amour, éclatent dans le regard et l’attitude du comédien. Il est clair qu’il n’est plus seulement « dans son rôle ». Il parle franc. Hors de lui, le magistrat ordonne à Genès de sacrifier aux idoles.
— Jamais ! Dieu seul est Dieu !
Alors, c’est la torture. Dans les supplices il n’a qu’un mot
— Mille morts ne m’ôteront pas du cœur le nom du Christ ! Mon seul regret est d’avoir commencé si tard à l’adorer ! »
Il est décapité le 25 août.
Le dernier acte, (non plus de la comédie bouffe mais du drame) a réparé au centuple toutes les parodies sacrilèges. Au ciel se joua l’apothéose.
Saint Genès, faites-nous apprécier ce baptême qui nous a faits chrétiens. Que notre religion ne soit jamais une comédie mais l’expression vraie de notre foi !
Guy sacristain-colporteur
Celui-ci ne joua jamais d’odieuses comédies sacrilèges ; né de parents très pauvres, il entra à quinze ans, comme sacristain, au service de l’église de Laeken, près de Bruxelles. Il avait à balayer l’église, entretenir les autels, ranger les ornements, sonner les cloches, servir la messe… tout cela lui allait droit au cœur ; et tout en faisant son ménage, en rangeant la sacristie, en allant et venant, il ne cessait de prier. Son travail fini, il s’agenouillait devant le tabernacle et n’en bougeait plus ; il lui arrivait même souvent d’y passer toute la nuit en prière. Enfant, il était déjà si pieux qu’on l’avait surnommé l’ange du village. Avec cela, calme, aimable, poli, sans rien d’exagéré ou de ridicule. Tout le monde l’appréciait et l’aimait dans sa paroisse, à commencer par son curé qui espérait bien le garder toujours à Laeken.
Oui ! Mais Guy avait deux amours : celui de son église et celui des pauvres ; or, pour secourir ses pauvres, il lui fallait de l’argent ; et pour gagner de l’argent, le métier de colporteur valait mieux que celui de sacristain… Ainsi lui dit un marchand de Bruxelles qui cherchait un « associé ». Le brave Guy s’y laissa prendre. Ils réunirent quelques pacotilles et partirent les vendre en Angleterre − Naufrage − Guy n’a d’autre ressource que de regagner son église. Il y reste douze ans, sacristain si exemplaire qu’a l’estime, à l’affection du clergé et des paroissiens, se joint la plus sincère vénération. Autrefois on l’appelait l’ange du village ; maintenant, on le nomme : le saint : saint Guy, priez pour nous !
L’humble Guy pense que le mieux est de s’éloigner. Depuis si longtemps, il projette un pèlerinage à Rome et à Jérusalem ! Le prix du voyage ne l’arrête pas ; il ira à pied, quitte à y mettre le temps. À la fin dixième siècle, c’est tout à fait courant.
Il part : Bruxelles, Rome, Jérusalem ; et de nouveau Rome. Le cœur de l’Église l’a conquis. Qui a vu Rome une fois, n’aspire qu’a y retourner. Bien volontiers aussi, Guy reverrait Jérusalem, mais serait-ce raisonnable de refaire un tel voyage ? Une occasion de charité lui en fournit le prétexte : à Rome, il rencontre le Curé d’Anderlacht, sa paroisse natale, avec un groupe de paroissiens. Ces Belges hésitent à poursuivre en Terre Sainte ; l’inconnu les effraie : périls, misère, mendicité, car c’est l’habitude des pèlerins de demander leur pain en route par esprit de pauvreté, de pénitence et aussi parce que bien peu auraient eu le moyen d’emporter de quoi subvenir aux frais d’hôtelleries d’aussi longs voyages. Il y avait sept ans déjà que Guy pérégrinait… Bref, il accepta avec joie de se faire le guide du petit groupe. Il aurait pu faire le fanfaron : « J’ai vu ceci, j’ai vu cela… » Bien humble, il se montre charmant compagnon : et le curé d’Anderlacht envie son confrère, le Cure de Laeken, d’avoir un pareil sacristain.
À Jérusalem, un des pèlerins est atteint d’une maladie contagieuse qu’il communique aux autres. Guy les soigne tous avec la plus grande charité : malgré ses soins, ils meurent jusqu’au dernier, et Guy revient seul à Anderlacht où il annonce la mort du Doyen. Retenu au service de l’église, il y reprend la charge de sacristain… pas pour longtemps… Épuisé de son long voyage, il part pour le ciel le 12 septembre 1012. Les chanoines d’Anderlacht l’enterrent dans leur cimetière et tant de miracles s’opèrent sur son tombeau qu’il est bien évident que les paroissiens de Laeken ne s’étaient pas trompés en le nommant le saint. Une église fut élevée près de sa tombe ; on y vint en foule vénérer ses reliques. Aurait-il jamais pensé être le but d’un pèlerinage, le grand pèlerin si humble ?
À vous, saint Guy, nous demandons un grand respect de nos églises et de tout ce qui s’y trouve, un fervent amour de l’Église catholique et roumaine, cette Église que Jésus fonda par sa mort à Jérusalem. Faites que nous allions tous vous rejoindre à la Jérusalem céleste où il fera si beau !
Crépin et Crépinien, cordonniers
Au temps de Crépin et de Crépinien, temps plus reculé que celui de Guy, les routiers étaient moins des pèlerins que des apôtres qui allaient porter l’Évangile, des soldats romains, des émigrants, des commerçants, des étrangers et autres voyageurs… et tout ce monde portait sandales, et les cordonniers avaient fort à faire.
Patrons des cordonniers, Crépin et Crépinien se mirent dans le chaussure de façon très inattendue. Jeunes romains, issus de riche famille païenne, l’un des deux frères ayant embrassé le christianisme, et son frère avait suivi aussitôt, tels, plus tard, et chez nous, Donatien et Rogatien : « Nous sommes, disaient-ils, plus unis par la foi et par le cœur que par le sang ».
Un jour, Crépinius et Crépinianus apprennent que le pape Fabien a envoyé en Gaule sept missionnaires destinés aux villes d’Arles, Narbonne, Toulouse, Clermont, Limoges, Tours et Paris. À cette nouvelle, nos amis n’ont qu’une idée, les suivre, les aider. Cette idée, ils la partagent avec d’autres jeunes gens : Quentin, Lucien, Rufin, Valère et Eugène ; et ils partent sans provisions et sans argent, car leurs parents païens ne les ont pas lestés pour le voyage.
Remonter l’Italie, traverser une partie de la Gaule, ne se fait pas en un jour : nos milliers ont bon appétit et s’ils tendent la main, n’inspirent pas compassion : « Des garçons en pleine force, quelle honte Travaillez ! Gagnez votre pain ! »
Ils décident alors d’apprendre un métier. Crépinius et Crépinianus entrent chez un artisan faire leur apprentissage de cordonniers, puis reprennent la route en chantant. Ils s’arrêtent dans les fermes, sur les places des villages. Aussitôt les sandales s’amoncellent autour d’eux.
D’étape un étape, ils atteignent Paris. Saint Denis les y reçoit à bras ouverts : on ne rebute pas de jeunes auxiliaires aussi courageux : « Puisque vous vous êtes faits cordonniers, restez cordonniers ; vous serez apôtres parmi vos clients. »
Et voila comment Crépin et son frère devinrent « Crépins ». Ils laissèrent leur nom au métier ; et voilà pourquoi saint Crépin fut ; au moyen-âge, patron très fêté de la corporation. Il est d’ailleurs, toujours, patron des cordonniers.
Conquise par César cinquante ans avant Jésus-Christ, la Gaule comprenait alors quatre provinces : l’Aquitaine, la Lugdunaire, la Belgique et la Narbonnaise. La Gaule-Belgique englobait, outre la Belgique, une très grande partie de la Gaule. C’est cette Gaule-Belgique qui fut confiée par saint Denis à l’évangélisation des deux frères. Ils parcourent les routes en tous sens… et tout en cousant le cuir à gros points, ils engagent la conversation avec serfs, esclaves, artisans… Ayant vu beaucoup de pays, ils savent des choses intéressantes, de plaisantes anecdotes ; on cause avec eux volontiers, et très vite on parle religion. Crépins et clients se quittent les meilleurs amis du monde, se promettant de se revoir au cours d’une prochaine tournée… et, peu à peu, les idées changent, le terrain se prépare… Beaucoup se font chrétiens…
Pendant trente ans, Crépin et Crépinien vivent ainsi de leur métier, cordonniers et apôtres. Enfin ils se fixent à Soissons où ils prennent la tète de la communauté chrétienne.
Sur ce, l’impie Maximien vient en Gaule-Belgique. Il y entend parler des deux frères et les fait arrêter. On les trouve réparant les chaussures des pauvres. Maximien les interroge, leur offre le choix entre le martyre ou les honneurs et richesses, s’ils sacrifient aux dieux. Ils optent pour le martyre et pour le Christ. On leur fait subir divers tourments, puis, le 25 octobre 287, on leur tranche la tête.
Abandonnés aux chiens, leurs corps sont recueillis et bien cachés par un vieillard et, sa vieille sœur. Plus tard, saint Éloi les fait retirer de leur cachette. Leur culte devint très populaire.
Crépin et Crépinien ont fait mieux que de faciliter la marche de leurs contemporains sur les voies romaines et les sentiers des Gaules. Ils ont aidé leurs frères à marcher sur les chemins de Dieu.
Saints frères Crépin et Crépinien, vous avez encore en ce monde beaucoup de frères à bien chausser pour le chemin des cieux ! Travaillez ! Aidez-nous de votre prière !
Pélagie, la danseuse
Tous les saints ne meurent pas martyrs, nous en avons pour preuve Guy et Pélagie. Celle-ci s’occupait moins de ressemeler de vieilles chaussures que de taire admirer l’agilité extraordinaire de ses jolis pieds. Danseuse de profession, sa beauté, ses talents, sa voix, lui avaient attiré beaucoup d’admirateurs.
L’Évêque d’Héliopolis vint prêcher à Antioche. Pendant qu’il parlait entra « la plus belle des mimes, la plus renommée des danseuses, ses jambes nues disparaissent sous les perles d’or ; la tête et les épaules sont découvertes. » « Je la considère comme une colombe noire et souillée, dit ensuite le prélat, mais cette colombe sera lavée dans les eaux du baptême et elle s’envolera blanche comme la neige. »
De fait, la danseuse vient trouver l’Évêque : « Je m’appelle Pélagie, lui dit-elle et les gens d’Antioche m’ont surnommée la perle à cause des bijoux dont mes péchés m’ont ornée. Je désire me purifier par le baptême et me donner à Dieu. »
Deux jours après, Pélagie donnait tout aux pauvres, se revêtait du cilice, et partait pour Jérusalem où elle vécut dans une cellule, au Mont des Oliviers.
Après une vie de prière et de pénitence, elle monta là où toutes les saintes dépassent en beauté les plus grandes beautés d’Antioche et du monde…
Sainte Pélagie, quels que soient notre métier et notre vocation, comme vous, nous ne voulons plus vivre que pour Dieu, chacun à notre place.
Agnès Goldie
saint du puisatier