T’as envie de pommes, Nanette ?
— Pour ça oui, Colas ; mais à présent, des pommes, il n’y en a plus.
— Moi, je sais bien où il y en a… et de fameuses ! C’est dans le grenier du père Heurteau, le voisin ; l’autre jour, Ernest, le commis, m’en a jeté une de la fenêtre, celle qui donne derrière la maison. Et figure-toi que ce matin une échelle est dressée contre le mur, juste au-dessous de la fenêtre du grenier ! Nanette, tu vas venir avec moi. Tu feras le guet pendant que j’irai chercher des pommes pour nous deux. Et si l’on vient, tu crieras : Miaou. »
Un peu inquiète, mais fière d’aider son frère, Nanette suit Colas.
Les voici tous les deux au pied de l’échelle. Le garçon a vite fait l’escalade et il disparaît dans le trou noir de la fenêtre. Nanette trouve le temps long : sûrement, Colas doit goûter les pommes. Mais soudain un bruit de voix se fait entendre ; des pas se rapprochent… On vient. « Miaou » crie Nanette, et vite elle court se cacher dans la cabane aux outils.
Le père Heurteau apparaît accompagné de Rivouet, le couvreur. Ils parlent du toit de l’étable qui est à réparer. Lorsqu’ils se sont éloignés, Nanette, sortant de sa cachette, s’aperçoit avec horreur qu’ils ont emporté l’échelle. Pour combien de temps ? Dieu seul le sait. Debout dans l’embrasure de la fenêtre, Colas mesure la distance qui le sépare du sol… Il a beau être fort en gymnastique, c’est vraiment trop haut pour se lancer. « Attends, dit-il à Nanette, qui se lamente en bas, je vais voir si je ne peux pas sortir par un autre endroit. »
Colas fait le tour du grenier. Il est vaste et contient bien des choses : des chapelets d’oignons et d’échalotes suspendus aux poutres, des prunes séchées, des sacs de grains et, dans un coin obscur, la provision de haricots secs. Tiens, mais on dirait qu’ils sont trempés les sacs de haricots ; une grande tache d’humidité s’arrondit alentour. Colas lève la tête et aperçoit du jour qui filtre par les tuiles disjointes. Bien sûr, la pluie passe par là. Il ne s’agit pas de cela, mais de s’en aller. Il y a bien une porte qui donne vers la ferme, mais elle est fermée à l’extérieur. Le seul moyen d’évasion, c’est la fenêtre. Colas y revient.
Et voilà qu’en regardant autour de lui, il avise des cordes longues et solides, armées de crochets. Ce sont les cordes dont on se sert pour monter ou descendre les sacs par la fenêtre. Eh bien, voilà la sortie ! Colas fixe le crochet de l’une d’elles dans l’armature de la poulie et, hop ! il se laisse glisser jusqu’en bas.
Nanette, le cœur battant le reçoit.
Colas a des pommes plein ses poches, elles sont délicieuses.
« On va en garder pour maman, dit Nanette.
— Non, répond Colas, elle voudrait savoir d’où elles viennent. »
* * *
Au repas, ils n’ont faim ni l’un ni l’autre ; d’ailleurs, aujourd’hui encore, il est composé de pommes de terre.
« Maman, dit Colas, pourquoi ne nous fais-tu jamais plus de haricots ? C’est bon avec du lard !
— Des haricots ? répond maman, nous n’en avons plus, mon pauvre petit. »
Colas n’insiste pas. Depuis que papa a dû interrompre son travail à la suite d’un accident, il n’y a plus autant de bonnes choses qu’avant. Maman travaille tant qu’elle peut, mais elle n’a pour l’aider qu’un commis de seize ans et, bien sûr, elle ne peut pas tout faire.
On frappe à la porte. C’est le père Heurteau ; il tient un sac sous son bras. Mal à leur aise, Nanette et Colas baissent le nez dans leur assiette. Qu’est-ce qu’il vient faire ? Aurait-il vu la corde restée accrochée ?
Mais le père Heurteau tend simplement à maman le sac qu’il apporte.
« Voisine, dit-il, je crois que vous n’avez plus de haricots ; moi j’ai dans mon grenier toute la récolte dernière à laquelle je n’ai pas touché ; il m’en reste encore un peu de l’année d’avant. Prenez votre part de ceux-ci. »
Un bon sourire illumine le visage de maman. Nanette respire, mais sans se sentir soulagée pour autant. Quant à Colas, un violent combat se livre dans son cœur. Il pense aux haricots du grenier, les haricots du coin sombre et mouillé. Si c’est sur ces haricots là que le père Heurteau compte, il fera bien de les changer d’endroit. Comment le lui faire savoir sans avouer ? Quelle raclée Colas recevra, si le voisin sait qu’il lui a pris des pommes !
Le père Heurteau salue et sort. Subitement, Colas prend une résolution. Vraiment, le père Heurteau est un trop bon voisin, un trop brave homme… Il ne perd pas une occasion de prêter la main à la pauvre maman si seule, si débordée. Ce qu’il vient de faire encore tout de suite…
Colas court derrière lui :
« Maître Heurteau…
— Qu’est-ce que tu veux ? »
Colas est rouge comme une cerise.
« Il y a un trou dans le toit de votre grenier… il pleut sur vos haricots… alors ils vont être gâtés. »
Le père Heurteau considère l’enfant d’un œil surpris :
« Comment le sais-tu ?
— Parce que… parce que… ce matin j’ai vu l’échelle… je suis monté prendre des pommes… Et puis vous avez emporté l’échelle…, alors j’ai cherché par où m’échapper et j’ai vu qu’il y avait une mare sous les haricots et un trou au-dessus…
— Et tu es parti par le trou ?
— Nnnon… »
Tandis que Colas, tête basse, achève de raconter ses méfaits, Nanette accourt. Elle a eu part aux pommes, il est juste qu’elle ait part aussi à l’attrapade aux côtés de son frère.
Lorsque Colas a fini, un silence lourd de menace pèse entre eux.
« Regardez-moi tous les deux. »
Craintivement, les enfants lèvent les yeux. Le voisin les regarde gravement :
« Savez-vous, dit-il, savez-vous comment cela s’appelle aller prendre quelque chose chez quelqu’un sans permission ? Cela s’appelle voler. Colas, vois-tu, jamais je n’aurais cru cela de toi. Si ton père savait… »
Colas sent sa gorge se serrer ; il aurait cent fois mieux aimé une bonne paire de taloches que ce reproche-là. Quant à Nanette, elle pleure tout ce qu’elle sait.
« Maître Heurteau, dit Colas d’une voix entrecoupée, j’ai fait cela sans penser. Je ne suis pas malhonnête.
— Non, dit le père Heurteau, dont la voix s’est adoucie, tu n’es pas malhonnête, la preuve c’est que tu m’as tout avoué, afin que mes haricots ne soient pas gâchés. Seulement, souviens-toi que le jour où l’on cesse d’être un honnête homme tout entier, on a vite fait de ne plus être honnête du tout. Et maintenant, mes enfants, lorsque vous aurez envie de pommes, je ne vous les refuserai pas, mais vous viendrez les gagner. Elles ne vous en sembleront que meilleures…
— Et celles-là, ajoute Nanette, on sera fier d’en donner à maman. »
Pascale.
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