Les Pères de l’Église

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Petite Histoire de l'Église illustrée .

Temps de lec­ture : 11 minutes

∼∼ XI ∼∼

Ostie. — Le che­min de fer élec­trique, par­tant de la porte Saint-Paul, y conduit en quelque trente minutes le Père X. et sa troupe, à laquelle, cette fois encore, Ber­nard et Jean se sont joints.

Ber­nard, tout à fait à son affaire, pro­voque les fous rires de ses cama­rades, et l’on tra­verse, presque sans y prendre garde, la plaine du Tibre, pour se trou­ver tout à coup devant les ruines d’Ostie.

Fer­mant les yeux à demi pour mieux embras­ser l’en­semble, un rou­tier très artiste s’écrie :

— Peut-on rien voir de plus joli ? Regar­dez donc, Père, ces pins para­sols qui ont pous­sé par­mi les ruines et semblent for­mer des colonnes sveltes et gra­cieuses. On est bien ici ; asseyons-nous dans l’herbe ; nous serons, à l’ombre de ces ruines, dans un cadre déli­cieux pour bien causer.

Et l’on s’ins­talle. A côté de Ber­nard, un tout jeune scout s’est glis­sé. Il est petit, deux yeux noirs brillent dans son étroit visage, et par­fois on y sent pas­ser quelque chose d’in­fi­ni­ment triste.

Tout à la joie de l’heure pré­sente, la troupe bruyam­ment fait cercle, joyeuse et sans sou­ci ; seuls le Père et le chef ont un regard un peu anxieux quand il s’ar­rête sur le petit scout.

Tou­te­fois, ils ne laissent rien voir de leur préoccupation.

— Allons, main­te­nant, mes enfants, au tra­vail ! Je vous ai pro­mis hier de faire revivre devant vous les plus grands des Pères de l’É­glise, et d’a­bord, qui étaient-ils ?

Tout le groupe répond à la fois : des évêques, des soli­taires, des moines.

— Pas si vite, reprend le Père en riant, pro­cé­dons par ordre, si vous le vou­lez bien. Vous savez com­ment, dès les pre­miers siècles, des erreurs s’é­taient glis­sées par­mi les croyances chré­tiennes. On appelle Pères de l’É­glise, les évêques et les prêtres qui, ayant étu­dié à fond la Foi chré­tienne, l’ont défen­due à tra­vers les neuf ou dix pre­miers siècles. Les conciles se sont ser­vis de leurs tra­vaux, les ont confir­més, et c’est ain­si que la Foi s’est conser­vée, à tra­vers les luttes les plus terribles.

Ain­si, tout à fait au début de l’É­glise, saint Clé­ment, pape, troi­sième suc­ces­seur de saint Pierre à Rome, saint Ignace à Antioche, saint Poly­carpe à Smyrne, qui tous mou­rurent mar­tyrs, pour avoir défen­du la véri­té. A leur tour, ils eurent des dis­ciples : saint Jus­tin, saint Iré­née, qui devien­dra le grand évêque de Lyon et l’un des pre­miers mar­tyrs gau­lois[1].

Clé­ment et Ori­gène com­po­se­ront de mer­veilleux ouvrages en faveur de la Foi chré­tienne. Ces Pères, ont vécu entre le Ier et le IVe siècle, tout aux ori­gines de l’É­glise. Fai­sons ensuite connais­sance avec les grandes figures du IVe et du Ve siècle.

— Par­lez-nous de , Père, réclame Ber­nard. Je sais que, tout jeune encore, il tenait tête à Arius au Concile de Nicée. Qu’est-il deve­nu ensuite ?

— Ren­tré à Alexan­drie avec l’é­vêque saint Alexandre, il est deve­nu plus tard son successeur.

— Arius devait le haïr.

— C’est le mot juste : il le haïs­sait. Il par­vint, à force d’ac­cu­sa­tions fausses, à le faire exi­ler plu­sieurs fois par Constan­tin lui-même, par Julien l’A­po­stat et par Valens ; mais à la fin la foule mena­çante et irri­tée, qui gron­dait autour de son indomp­table évêque, se mon­tra déci­dée à le défendre. Il fal­lut céder ; saint Atha­nase mou­rut à Alexan­drie, après l’une des plus belles vies épis­co­pales qui soient.

Citons main­te­nant les Pères de l’É­glise latine.

Qua­rante ans avant la mort de saint Atha­nase, nais­sait à Trêves, croit-on, le fils du pré­fet de cette ville. On lui don­nait le nom d’Am­broise. L’en­fant, éton­nam­ment intel­li­gent et pieux, fit de solides études et devint gou­ver­neur de Milan, puis évêque.

Aus­si bon que ferme, Ambroise eut la gloire de conver­tir , et le cou­rage d’im­po­ser à l’empereur Théo­dose, qu’il aimait pour­tant pro­fon­dé­ment, une péni­tence publique à la suite d’une faute grave.

— Laquelle, Père ?

— Vous la savez tous, mais l’ou­bliez un peu. Il y avait eu une révolte à Thes­sa­lo­nique, et Théo­dose, dans un accès de colère, avait ordon­né le mas­sacre géné­ral des révol­tés, sans exa­men préa­lable des torts et des responsabilités.

Avec un grand cou­rage et une grande humi­li­té, il accep­ta la péni­tence impo­sée par saint Ambroise, qui alors lui don­na l’ab­so­lu­tion de sa faute et lui ouvrit les bras.

Je veux encore vous par­ler de saint Jérôme, le grand doc­teur. Après une jeu­nesse mon­daine puis des années d’hé­roïque péni­tence, il était deve­nu à Rome le conseiller des Papes eux-mêmes. Mais il eut peur de la gloire, et alla s’en­se­ve­lir dans la retraite et l’humilité.

C’est lui qui pro­té­gea et diri­gea ces grandes chré­tiennes des pre­miers siècles, qui, comme sainte Paule, don­naient, au milieu du monde et des richesses, l’exemple des plus belles ver­tus. Elles allaient, visi­tant les pauvres, secou­rant les mal­heu­reux, adou­cis­sant toutes les misères et toutes les peines, don­nant à pro­fu­sion ce qu’elles pos­sé­daient et se pri­vant per­son­nel­le­ment, afin d’être pauvres au milieu même de l’opulence.

— Oh ! inter­rompt Ber­nard en riant, si Colette était donc là ! Il fau­drait, Père, que vous lui don­niez tous les détails d’une pareille vie. Elle en rêve­rait, et peut-être qu’un jour, elle la réa­li­se­rait,… sauf l’o­pu­lence, car vous savez, chez nous, on n’est pas richissime !

— Qu’im­porte ! On peut tou­jours don­ner à Dieu son amour, aux âmes son cœur et son dévoue­ment, à défaut d’argent. Il y avait des esclaves, aux pre­miers temps de l’É­glise, qui furent des saints aus­si, dans leur humble condition.

Mais reve­nons à saint Jérôme. Il mou­rut à Beth­léem, à 81 ans, ayant tra­vaillé comme un géant pour l’É­glise de Dieu.

Et puis, ici, à Ostie, évo­quons pour finir la belle et haute figure de saint Augus­tin. Voyons, Hen­ri, c’est tou­jours moi qui parle, dites-nous donc un peu ce que vous pen­sez de l’é­vêque d’Hippone ?

— Je l’aime beau­coup, Père, c’é­tait un si grand cœur !

— Oui. Un cœur magna­nime, qu’il serait bien bon de faire connaître aux plus jeunes.

— Oh ! je pense que tous les cama­rades ici le connaissent déjà. Il est presque inutile de rap­pe­ler com­ment le jeune Augus­tin débu­ta par de savantes études, à Tagaste, puis à Car­thage, où il n’eut pas le cou­rage de résis­ter aux entraî­ne­ments du plai­sir. Il pas­sa en Ita­lie et devint pro­fes­seur à Milan. La Pro­vi­dence, par des che­mins détour­nés, le condui­sait là, où l’at­ten­dait, sans s’en dou­ter lui-même, saint Ambroise.

Augus­tin, mal­gré sa vie péche­resse, ne pou­vait s’empêcher d’é­cou­ter, en artiste sinon en chré­tien, la parole ins­pi­rée du grand évêque. Elle le péné­trait, le bou­le­ver­sait, puis il retom­bait dans ses cou­pables habi­tudes. Pour­tant, au fond de son âme, il sen­tait mon­ter le dégoût du mal et le désir de trou­ver Dieu. Tout le monde connaît le récit de la grâce déci­sive qui chan­gea sa vie.

Il était dans le jar­din de sa mai­son de Milan. Il hési­tait entre le bien et le mal, et la lutte deve­nait si ter­rible, qu’il se jeta par terre, sous un figuier, pour y pleu­rer comme un enfant. Une voix légère, claire, déli­cieuse, s’é­lève alors dans le jar­din. La voix dit : « Prends et lis. »

Augus­tin avait près de lui les Épîtres de saint Paul. Il ouvrit le livre et y trou­va la lumière. Déjà, en par­cou­rant la vie de saint Antoine, ermite au fond du désert, pour l’a­mour du Christ, Augus­tin s’é­tait dit : Pour­quoi ne ferais-je pas ce que d’autres ont fait ?

Cette fois sa déci­sion deve­nait irré­vo­cable. Il cou­rut se jeter aux pieds de saint Ambroise ; le pécheur allait deve­nir un saint. Ce saint fut l’é­vêque d’Hip­pone, le défen­seur de la Foi contre la nou­velle des Péla­giens, et enfin le plus grand des doc­teurs de l’Église.

Jean inter­rompt :

— Encore une hérésie ?

— Dites des héré­sies, mon petit. C’est à croire qu’à cette époque le diable était déchaî­né. Un cer­tain Pélage pré­ten­dait que nous ne nais­sions pas cou­pables du péché ori­gi­nel. Saint Augus­tin le fit condam­ner à deux reprises par une réunion d’évêques.

Nes­to­rius, évêque de Constan­ti­nople, tom­ba aus­si dans l’er­reur. Il niait en par­ti­cu­lier que la Sainte Vierge fût mère de Dieu.

— Mais, voyons, il était fou !

— Hélas ! non. Il était héré­tique. Le grand concile œcu­mé­nique d’É­phèse, auquel assis­tait saint Cyrille, pro­cla­ma solen­nel­le­ment contre lui que Marie est réel­le­ment mère de Dieu. Un peu après, Euty­chès vou­lut ensei­gner que Notre-Sei­gneur Jésus-Christ n’é­tait pas à la fois Dieu et homme. Il fal­lut le concile de Chal­cé­doine pour condam­ner cette nou­velle héré­sie, sous le pon­ti­fi­cat du Pape saint Léon.

Tout à coup, Ber­nard, qui écou­tait atten­ti­ve­ment, inter­pelle Henri :

— Chef, il y a quel­qu’un d’ou­blié dans tout cela, et ce quel­qu’un a tenu le rôle prin­ci­pal dans la vie de saint Augustin.

— Qui donc ?
 — Mais  ! Jamais il n’y aurait eu saint Augus­tin, sans les prières, les sup­pli­ca­tions, les larmes de sa mère. Elle expiait les fautes de son fils, elle en obte­nait le par­don. Elle a tant pleu­ré, tant expié, que Dieu l’a exau­cée en Roi. Elle a obte­nu, non seule­ment la conver­sion de son fils, mais encore sa sainteté.

— Exact, Ber­nard, tout à fait exact, reprend le Père X.

Et main­te­nant, vou­lez-vous ? fer­mons les yeux pour oublier tout ce qui nous entoure, et reve­nons à la fin du IVe siècle. C’est un soir, comme aujourd’­hui. Les ruines au milieu des­quelles nous sommes ont alors tout l’é­clat de leur jeune beau­té. Le soleil baisse, là-bas, enve­lop­pant la terre et le ciel d’une lumière trans­pa­rente, comme tra­ver­sée de rayons d’or.

Saint Augus­tin et sainte Monique sont assis côte à côte. Que se disent-ils ? Presque rien, car leur silence exprime tout. Sainte Monique sent depuis long­temps ses forces dimi­nuer ; elle sait qu’elle va mou­rir. Peut-être, à cette heure, répète-t-elle seule­ment à son fils cette parole qu’elle aime : « Rien n’est loin de Dieu. » Puis, de nou­veau, elle se tait.

Histoire de l'Église pour le caté
Ber­nard et le petit scout.

Leurs deux âmes s’u­nissent. A tra­vers la lumière qui baigne l’eau et le ciel, elles contemplent, dans la Foi, les splen­deurs éternelles.

Quand, quelques jours après, Monique sera morte, saint Augus­tin redi­ra : « Rien n’est loin de Dieu. »

Ému, le groupe des rou­tiers regarde au loin. Au-des­sus de lui, une mouette passe et l’on per­çoit le bat­te­ment de ses ailes. Nul ne songe à rompre la dou­ceur de ce silence.

Pour­tant, Ber­nard tres­saille. Il a cru devi­ner une larme sur la joue du petit scout son voi­sin et l’en­tendre mur­mu­rer : « Maman ! »

Éton­né, il le regarde. Ses grands yeux clairs ren­contrent une expres­sion de détresse dans ceux de son petit com­pa­gnon ; mais déjà tout le monde est debout, et c’est la bous­cu­lade joyeuse vers la nou­velle ville d’Ostie.


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« Les inva­sions bar­bares, sainte Gene­viève et les FrancsLes apôtres de l’Eu­rope et le monachisme. »
  1. [1] On divise géné­ra­le­ment les Pères de l’É­glise en plu­sieurs caté­go­ries. D’a­bord, les Pères Apos­to­liques, ain­si nom­més parce qu’ils ont connu les Apôtres.

    Ensuite, du fait des pays aux­quels ils devaient leur ori­gine, leur langue et leur culture, il faut dési­gner sépa­ré­ment les Pères de l’É­glise grecque et les Pères de l’É­glise latine.

    Par­mi les pre­miers : Clé­ment et Ori­gène, etc…

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