Il était une fois… Comme dans un conte… une petite princesse belle comme le jour… blonde comme les blés… bonne comme le pain… et tout… et tout…
Ce matin-là, elle s’en revenait de chez Catiche, l’ancienne gardienne d’oies du château.
Il faut vous dire que cette Catiche avait une mauvaise réputation… on la disait sorcière.
Comme elle était laide et bossue depuis son jeune âge, les gens se moquaient d’elle et, pour se venger, elle leur disait :
« Je vais vous jeter un sort… Prenez garde ! vos bêtes seront malades, l’eau de vos puits vous donnera la colique… »
Et comme on a toujours des ennuis dans la vie avec les bêtes, et quelquefois mal au ventre, les villageois gémissaient : « Ça y est » et finissaient par la croire, et elle aussi…
Mais Alinda était tellement bonne qu’elle ne s’occupait pas de cela et visitait la vieille Catiche, toujours aussi laide et maintenant presque impotente.
***
Qu’il faisait beau ce matin du Samedi-Saint. L’air était léger, le soleil inondait la campagne ; on respirait, on vivait, on avait envie de s’envoler.
A son départ de la chaumière, la vieille avait donné trois œufs de Pâques à la jeune fille :
« Le blanc est l’œuf de Blanchette : quand vous l’aurez gobé, demoiselle, vous serez heureuse… Le jaune, qu’a pondu Jaunette, vous apportera la fortune ; et le coco tout rosé de ma poulette noire vous donnera un mari. »
Alinda savait bien que les poulettes ne peuvent pas mettre dans leurs œufs le pouvoir que les hommes eux-mêmes n’ont pas, mais l’imagination de Catiche l’amusait et faisait trotter la sienne.
Riche… heureuse… aimée… Hélas ! en fait de mari son père parlait bien d’un sien cousin, mais elle ne se connaissait comme parent qu’un vieux gentilhomme chauve, possesseur d’un gros ventre et dont le nez se plissait si drôlement quand il parlait qu’elle avait toujours envie de rire… C’était un mari quelque peu mal assorti à ses dix-huit ans.
Elle cheminait vers le château, quand, au détour de la route, elle aperçoit un jeune homme, assis sur une souche, la tête dans les mains.
En fille bien élevée, elle passe outre…
Et puis, son bon cœur l’emporte : il est peut-être malade ou malheureux.
« Messire… Messire… Avez-vous besoin de quelque secours ?
— Hélas ! Mademoiselle, le seul secours qu’il me faut, vous êtes fille trop noble sans doute pour le porter dans votre aumônière. Ce serait un croûton de pain, car je me suis égare et je meurs de faim.
— Du pain ? Je n’en ai pas, bien sûr, mais je vous donnerai mieux : un œuf, que vous allez gober. »
Le blanc ? le jaune ? le rosé ? Lequel sacrifiera-t-elle ? Bah ! elle est assez riche comme cela.
Toc, toc, toc, voilà l’œuf de Jaunette brisé d’un coup de couteau et hop… il a disparu.
« Déjà fini le repas ? Vous en mangerez bien deux, Messire ? »
La couleur monte aux joues du garçon et ses yeux brillent.
L’œuf blanc devait porter bonheur à la petite princesse, mais y en a‑t-il de plus grand que de nourrir un malheureux ?
« Tenez, Messire, rassasiez-vous. »
Le vagabond se relève, trébuche un peu et se redresse.
« Allons ! fait Alinda, prenez ce troisième œuf dans votre besace, vous ne resterez plus à jeun. »
Adieu, songe-t-elle, mon œuf de Pâques, messager d’amour. Je suis Alinda comme avant, avec tous mes rêves envolés.
« Est-ce loin, le Château Noir ? » interroge le voyageur.
« Vous en êtes à deux pas…
— Mais alors, j’atteignais le but et ne le savais point ! Oh ! Dites !… vous devez connaître la demoiselle ? Est-elle belle ?
— Je ne sais pas… »
Le voyageur soupire…
« On m’a dit qu’elle était belle, mais surtout que son âme se lisait sur son visage…
— Que vous a‑t-on dit encore ?
— Que dans ses yeux était une grande lumière… Car elle est tellement bonne… Mais, vous vous taisez, petite fille ?… Il paraît qu’elle ne peut pas voir un malheureux sans lui donner tout ce qu’elle a et sans l’aimer de toutes ses forces. Mais vous êtes gentille et vos yeux aussi sont lumineux. Alors, je vais vous dire mon grand secret… Mon escorte est déjà arrivée au château. Ne l’avez-vous point vue ?
— Non…
— Chut… Je viens demander la main de la Princesse du Château Noir… ma lointaine cousine… On m’a montré tant de châtelaines orgueilleuses et de jeunes filles au cœur dur, tant de beautés sans âme… Je sais qu’avec Alinda j’aurai la joie… Mais qu’avez-vous ? Qu’avez-vous ? »
…Alinda était blanche comme neige. Des larmes roulaient sur ses joues et ses mains tremblaient. Alors, le voyageur devina :
« C’est vous Alinda ! C’est vous ! »
Il lui prit la main :
« Ah ! comme nous allons être heureux ! »
Et ils disparurent ensemble vers le Château Noir.
Riche… Aimée… Heureuse !
Comment Catiche croira-t-elle qu’Alinda n’a pas mangé ses œufs ?
Juliette Jourdan.
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