Les linges sacrés

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : À la découverte de la liturgie avec Bernard et Colette .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Chapitre IX

Cette fois encore, les vacances se sont envo­lées en tour­billon, comme les feuilles mortes dans le jar­din, et Colette peine soli­taire sur une com­po­si­tion fran­çaise, tan­dis que petit Pierre, les yeux très rouges, entre à la cuisine.

— Qu’as-tu, mon petit fieu ? réclame immé­dia­te­ment Marianick.

— Rien.

— Avec ces yeux-là ?

— Qu’est-ce qui s‑ont mes yeux ?

— Des larmes, tiens ! Les voi­là encore qui coulent.

— Je peux pas te dire. Je suis très, très content, c’est drôle, je pleure ; et puis j’ai un peu de peine, et je pleure aussi.

— Ça se voit, ces choses-là, mon petit gars, conclut Maria­nick d’un air enten­du. Conte-moi ça un peu.

— C’est que maman vient de me dire que je ferais ma pre­mière com­mu­nion le jour où Yvon dirait sa messe ici,… et ça chante dans mon cœur. Seule­ment maman a ajou­té que j’é­tais pares­seux, étour­di, taquin et « qui » fau­drait chan­ger tout ça. Je pour­rai jamais !

Et les larmes deviennent un ruisseau.

— Tout seul, pour sûr que tu ne pour­ras pas, mais pense un peu, pour t’ai­der y a le Bon Dieu qui n’at­tend que ça, et puis tes deux mamans, celle d’i­ci et celle du Ciel, la bonne Vierge : et puis comme qui dirait tes deux grand’­mères, la bonne mère sainte Anne et puis moi, Marianick.

Et la conver­sa­tion conti­nue un moment sur ce ton, si bien que la joie déborde défi­ni­ti­ve­ment dans le cœur de petit Pierre.

Colette, au contraire, la plume en l’air et les yeux dans le vague, songe à toute autre chose qu’à son devoir de style. Pour une fois dans sa vie, elle se sent triste. L’hi­ver est long, tout de même, seule à la cam­pagne, avec un petit frère de six ans.

Mais Colette a comp­té sans maman, et les mamans, ça devine tout. Une main se pose tout dou­ce­ment sur l’é­paule de la petite rêveuse, qui réagit brusquement.

— Oh ! maman, vous m’a­vez fait peur !

— Dis plu­tôt que j’ai inter­rom­pu un voyage en pays ima­gi­naire, et sombre, si je ne me trompe.

— Je suis une sotte, dit Colette avec un sou­rire, qui semble bien un peu forcé.

— Non, tu t’en­nuies loin des autres, tout sim­ple­ment, et je recon­nais que le manque d’é­mu­la­tion, en par­ti­cu­lier, rend ton tra­vail très mono­tone. J’y ai pen­sé, mon petit. Je compte sur ton joyeux cou­rage pour chas­ser les papillons noirs et son­ger à tout ce que tu pos­sèdes, au lieu de rêver à ce qui te manque.
Mais je veux t’ai­der. Repre­nons ensemble un peu de cette litur­gie que tu aimes. Cours cher­cher ta boîte à ouvrage et mes grands ciseaux.

— Ma boîte à ouvrage ! Vos grands ciseaux ! Pour la liturgie !

— Va tou­jours, tu com­pren­dras tout à l’heure.

Colette part comme une balle, tan­dis que sa mère sort d’un tiroir une petite pièce de toile très fine et l’é­tale avec soin sur la table.

Quand Colette rentre au bureau, tout essouf­flée d’a­voir mon­té et des­cen­du quatre à quatre l’es­ca­lier, elle s’écrie :
 — Oh ! maman ! Quel bon­heur ! Je devine. On va tra­vailler pour Yvon, faire le linge pour sa pre­mière messe. Comme cette toile est jolie, si fine et si souple !

— C’est du pur fil de lin ou de chanvre, comme toute toile employée aux choses de l’é­glise. Veux-tu que nous com­men­cions par mettre à part ce qui est néces­saire aux trois nappes d’au­tel qui doivent recou­vrir la pierre sacrée ?

Cours de liturgie pour les enfants : Objets liturgiques pour la messe

— Trois ? dit Colette, étonnée.

— Mais oui, deux des­sous et la troi­sième, plus longue, qui, posée sur les deux autres, retombe joli­ment des deux côtés de l’au­tel. Ain­si le veulent les règles liturgiques.

Tan­dis que les ciseaux courent à tra­vers la toile blanche, Colette s’empare des pièces cou­pées et les plie une à une.

— On dirait la pré­pa­ra­tion d’une layette ; au fond c’est comme si on pré­pa­rait celle du petit Jésus, quand la sainte Vierge atten­dait sa naissance.

— C’est bien à Notre-Sei­gneur Lui-même, vivant dans l’Eu­cha­ris­tie, que ser­vi­ront ces linges, mais ici, c’est à son sacri­fice, à sa mort pour nous sur la Croix, qu’il faut pen­ser sur­tout ; les nappes d’au­tel, en par­ti­cu­lier, et le rap­pellent le saint Suaire et les autres linges dans les­quels le corps de Notre-Sei­gneur fut enve­lop­pé dans le tombeau.

— Le cor­po­ral, n’est-ce pas, maman, c’est le linge sur lequel le prêtre pose­ra la sainte Hostie ?

— Par­fai­te­ment. Avec le , la et les nappes d’au­tel, nous avons l’en­semble des linges sacrés. Sais-tu pour­quoi on les appelle ainsi ?

— Parce qu’ils servent au sacri­fice de la Messe ?

— Parce qu’ils ont été bénis spé­cia­le­ment pour cet usage, par l’é­vêque, ou par ceux qui sont auto­ri­sés à don­ner cette bénédiction.
Main­te­nant, atten­tion ! Tiens bien la toile. Je vais cou­per le cor­po­ral. Remarque. Il est de forme presque car­rée. Le prêtre le déplie­ra sur l’au­tel avant de dire la messe et, comme tu le rap­pe­lais tout à l’heure, il pose­ra des­sus le calice et, au cours du saint sacri­fice, l’Hos­tie consacrée.

— Le puri­fi­ca­toire a une forme plus allon­gée, n’est-ce pas ?

Servant de messe - Enfant de chœur au moment du Lavabo— Oui, en effet, lui aus­si appro­che­ra de bien près le Corps et le Sang du Sau­veur, car il ser­vi­ra à essuyer le calice, ain­si que les lèvres et les doigts du prêtre, après les ablu­tions. Main­te­nant, la pale.

— Une pale, maman, c’est si petit : le mor­ceau ne sera pas dif­fi­cile à trouver.

— Juste la gran­deur suf­fi­sante pour recou­vrir le calice et la patène. Tu n’i­gnores pas qu’il faut une per­mis­sion spé­ciale pour tou­cher à ces trois linges, quand le prêtre en a usé à l’autel.

— Oui, mais si on a des gants, on peut les prendre avec.

— Très bien. Voyons : en plus des linges sacrés, il nous faut main­te­nant tailler le et la .

— Oh ! pauvre manu­terge ! dit Colette en riant. Il sera si vite usé ! Les enfants de chœur n’en ont aucune pitié, et, sous pré­texte de le plier quand le prêtre le leur rend, après s’être lavé et essuyé les doigts, ils tirent des­sus à le mettre en pièces. Aurons-nous ensuite assez d’é­toffe pour la nappe de communion ?

— Cer­tai­ne­ment. Tu me feras pen­ser à ache­ter le petit doré que la litur­gie ajoute désor­mais à cette nappe et qu’on doit se pas­ser l’un à l’autre, au moment de communier.

— Je me demande pourquoi ?

— Par res­pect pour la sainte Hos­tie. Si, par acci­dent, elle échap­pait aux doigts du prêtre, elle serait aus­si­tôt recueillie sur le petit plateau.
Il y a encore une chose à laquelle tu n’as pas pen­sé, Colette, et que je réser­ve­rais pour la fin, car j’i­ma­gine que tu auras une vraie joie à la confec­tion­ner. C’est la petite de soie blanche, munie d’un mince cor­po­ral, que le prêtre se sus­pend au cou et dans laquelle il ren­ferme le Saint Sacre­ment pour le por­ter aux malades, dis­si­mu­lés sous son man­teau, quand il ne peut pas le por­ter ostensiblement.

Colette oublie ses sou­cis et même ses douze ans pour sau­ter de joie.
 — Je vais faire une bourse, maman ; je vais la bro­der. Elle sera ravis­sante, tu verras !

Juste au milieu de cet enthou­siasme, petit Pierre appa­raît et réclame des expli­ca­tions, que Colette lui donne abondamment.

— Mais, dit Pier­rot en veine de réflexion, ici M. le curé porte le Bon Dieu entou­ré d’en­fants de chœur, qui ont en mains de belles lan­ternes allu­mées, et tout le monde suit. C’est si joli !

Servant de messe mettant la nappe de communion sur le banc de communion

— Oui. On doit agir ain­si : entou­rer le Saint Sacre­ment qui passe d’hon­neurs que la litur­gie a pré­vus. Ici, nous vivons dans un pays de Foi, grâce à Dieu, et nous avons conser­vé nos vieux et beaux usages. Seule­ment, dans les grandes villes, dans les mau­vais pays, en temps de per­sé­cu­tion, il faut empê­cher que le Bon Dieu soit insul­té, et l’on voit cette chose incroyable : le Créa­teur du ciel et de la terre caché pour évi­ter les blas­phèmes des hommes qu’Il a créés.

— C’est vrai, reprend ardem­ment Colette, mais, dans la poi­trine du prêtre, il y a un cœur. Oh ! comme je vou­drais être à la place d’Y­von dans ce cas-là, et tel­le­ment aimer le Bon Dieu !

Maman reprend :
 — Si j’a­vais le temps, mes petits, je vous racon­te­rais des his­toires déli­cieuses et vraies à ce sujet. Que d’Hos­ties ont été ain­si amou­reu­se­ment trans­por­tées en cachette, et je dois dire que j’ai une joie immense à pen­ser que, pen­dant les dif­fé­rentes périodes révo­lu­tion­naires en France, des femmes ont eu ce magni­fique honneur.

— Des femmes ! dit Colette abso­lu­ment enthousiasmée.

— Oui, des femmes ont por­té aux prêtres empri­son­nés, dans d’humbles paniers de pain, et savam­ment dis­si­mu­lées, les Hos­ties qui allaient for­ti­fier les mar­tyrs : ceux de la Com­mune, par exemple. Elles ris­quaient leur vie, mais avec quel bonheur !

— Elles ont eu trop de chance, conclut Colette.

— Mais il y a eu des hommes aus­si, réclame petit Pierre inquiet.

— Je pense bien ! Les prêtres sur­tout ont été bien sou­vent héroïques.
Tenez, en Poi­tou, au temps de la Ter­reur, l’un d’eux sor­tait la nuit avec un pay­san aus­si cou­ra­geux que lui, pour aller chez les malades. Le Saint Sacre­ment repo­sait sur son cœur, comme dit Colette. Un soir, en plein bois, alerte ! Le prêtre craint d’être arrê­té, fouillé. Que faire ? Il découvre, bien dis­si­mu­lée dans l’ombre, une grande pierre plate, y dépose son tré­sor et se cache lui-même de son mieux un peu plus loin. Quand le dan­ger semble pas­sé, il cherche à retrou­ver la pierre, mais la nuit est pro­fonde, on ne voit rien. Où aller ?
Tout à coup, à tra­vers les branches, une petite lumière, douce et blanche, filtre comme un rayon du ciel. Bon­heur ! elle émane de la sainte Hos­tie et révèle la pré­sence de Celui qui est la « lumière éternelle ».
A Poi­tiers, la grande pierre plate de la forêt a été conser­vée comme une relique. Et c’est ain­si que, pour une fois, le Bon Dieu, a révé­lé un petit peu de la splen­deur divine, qu’Il cache, pour l’a­mour de nous, dans une petite Hostie.

Ter­mi­nant ain­si son récit, maman se tourne vers Colette :
 — Est-ce que tu t’en­nuies encore ?

— Oh ! maman, ne me rap­pe­lez pas mon « cafard », j’en ai honte !


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