C’était au camp de concentration d’Oswiecim, en Pologne, durant l’occupation allemande. Parmi les prisonniers de ce « Camp de la mort » se trouvait le Père Maximilien Kolbe, franciscain, bien connu pour son merveilleux apostolat par la presse. Son ardent amour envers la Vierge Immaculée l’avait fait surnommer le fou de Notre-Dame.
Le 17 février 1941 une auto noire avait stoppé devant la porte de son couvent. Des membres de la fameuse Gestapo en étaient descendus et avaient demandé à voir le Père. « Loué soit Jésus-Christ », leur avait-il dit sans se troubler.
« C’est toi Maximilien Kolbe ? » glapit l’un des bourreaux.
« Oui, c’est moi. »
« Alors, suis-nous ! »
Et le bon Père n’était plus revenu.
Emmené tout d’abord à la prison de Varsovie où il avait été battu jusqu’au sang par le Schaarführer, furieux de le voir revêtu de son habit franciscain, il fut transféré à Oswiecim le 12 mai suivant. Il devait y rester trois mois, presque jour pour jour.
Vers la fin de juillet 1941, un des compagnons de captivité du Père réussit à s’évader malgré l’effroyable sévérité des gardiens. Ce prisonnier appartenait au « bloc » 14, celui auquel était affecté le Père Kolbe. Or le commandant du camp, un nommé Fritsch, avait dit que pour chaque homme qui s’évaderait et ne serait pas retrouvé, vingt de ses compagnons de bloc seraient condamnés à mourir de faim ! Aussi, cette nuit-là personne ne put dormir dans la baraque. Une peur mortelle étreignait les malheureux qui se demandaient si leur camarade serait repris ou non. On racontait des choses tellement horribles sur ce qui se passait dans le « bloc de la mort » ! Parfois la nuit retentissait de cris d’épouvante, de véritables hurlements de fauves ! Les condamnés n’avaient plus rien d’humain, disait-on, et leur vue faisait peur à leurs geôliers eux-mêmes ! Car il ne s’agissait pas seulement du martyre de la faim, mais aussi de celui de la soif ! Il fallait ainsi agoniser pendant des jours, des semaines parfois, au milieu d’effroyables tortures qui vous séchaient les entrailles, vous emplissaient les veines de feu et menaient souvent à la folie !
Aussi chacun se demandait avec terreur : « Sera-ce moi ? » Et ces héros pleuraient comme de petits enfants…
Le lendemain, à l’appel, le chef de camp annonce que le fugitif n’a pas été retrouvé ; le bloc 14 reçoit l’ordre de rester debout sous un soleil de feu et il est interdit de lui donner à boire. Vers trois heures de l’après-midi les gardiens permettent cependant aux prisonniers de manger un peu de soupe. Ce sera le dernier repas de ceux qui seront choisis pour le « bloc de la faim » !
Vers le soir le Lagerfuhrer Fritsch arrive devant les prisonniers du bloc 14 ! Sa tête ressemble à celle d’un bouledogue. Il savoure visiblement la terreur de ses victimes. Le silence est tel que l’on entendrait voler une mouche… Soudain il se met à parler… On dirait qu’il aboie ! Ses paroles, saccadées, tombent une à une dans un silence mortel. « L’évadé, dit-il, n’a pas été retrouvé. Dix d’entre vous mourront à sa place dans le « bunker » de la faim ! La prochaine fois ce sera vingt ! » Et le chef passe devant les prisonniers comme passerait l’ange de la mort ! Levant ensuite la main il indique du doigt : Celui-ci ! Aussitôt Palitsch, son adjoint, inscrit le numéro sur la liste des condamnés, car à Oswiecim l’homme n’est plus qu’un numéro ! Pâle comme un linge, le malheureux sort du rang… Dans le silence les respirations sifflent, semblables à des gémissements. Et Fritsch continue sa lugubre besogne… Cela l’amuse ! « Celui-ci, dit-il. Et celui-là. Celui-là encore… » Bientôt ils sont dix. Dix condamnés à la plus horrible des morts ! Soudain l’un d’eux s’écrie : « Oh ma pauvre femme et mes quatre enfants ! Je ne les reverrai plus jamais ! » « Enlevez vos chaussures » glapit Palitsch sans prêter attention à ces paroles. Le claquement des sabots jetés par terre se mêle aux sanglots du malheureux… Nouvel ordre : « Tournez à gauche ! » Les spectateurs de cette affreuse scène frémissent… À gauche, c’est là que se trouve le mur noir où l’on fusille… Les gibets où l’on pend et les « bunkers » de la faim !
Tout d’un coup il se passe quelque chose de stupéfiant. À travers ses camarades un bagnard vient de sortir du rang… Il a osé ce geste qui à lui seul peut lui coûter la vie ! Ses grands yeux clairs regardent bien en face Fritsch interdit. « C’est le Père Kolbe, murmurent les prisonniers. Que va-t-il faire ! »
Le Lagerfuhrer saisit son revolver, recule d’un pas et hurle « Arrête ! Que veux-tu, cochon de Polonais ? » Très calme, presque souriant, le Père Kolbe répond : « Je voudrais mourir à la place d’un de ces condamnés. » Fritsch, à ces mots, reste abasourdi ! Ce qu’il vient d’entendre le dépasse ! Lui qui d’ordinaire ne laissait pas dire un mot aux prisonniers en est comme interdit… Manifestement, ce n’est plus lui le maître, c’est le Père Kolbe ! Et il lui demande stupidement ; « Pourquoi ça ? »
« Parce que je suis vieux et bon à rien », répond le Père. « Ma vie ne servira plus à grand-chose maintenant. »
« Et pour qui veux-tu mourir ? » continue la brute.
« Pour celui-ci, dit le Père. Il a une femme et quatre enfants… » Et il désigne du doigt François Gajowniczek, le sergent qui tout à l’heure se lamentait.
« Et qui es-tu ? » poursuit Fritsch qui comprend de moins en moins. La réponse est brève et solennelle : « Je suis prêtre catholique. »
Suit un moment de silence… Calme, le Père Maximilien attend la sentence… Jamais encore, pendant l’appel, le silence n’avait paru si long. Enfin Fritsch conclut d’une voix rauque : « Soit Va avec eux. »
Palitsch, le sous-chef, attendait la décision, crayon en main. Le voici qui barre un numéro sur sa liste et en inscrit un autre : 16.670. La formalité est remplie ! À l’horizon le soleil d’août est au ras du sol. Il flambe comme un immense ostensoir. Il s’unit au Père Kolbe qui va dire sa dernière messe… Le ciel lui-même s’est revêtu de la couleur liturgique des martyrs et au loin toute la campagne est tendue de rouge ! Nouvel ordre : « Marche ! » Nu pieds, en chemise, les malheureux condamnés se dirigent lentement vers le bloc sinistre ! Tous les yeux les suivent… Le Père Maximilien ferme la marche, tel un berger derrière son troupeau. Il a la tête légèrement penchée sur le côté et le ciel est dans son cœur ! Bientôt, sur le gouffre noir plein de sanglots, la lourde porte se referme. À partir de cet instant les condamnés ne recevront plus rien , ni à manger, ni à boire et l’un des geôliers ricane en leur criant : « Vous allez vous dessécher comme des tulipes là-dedans ! »
Cependant, ô merveille, cette fois les condamnés, soutenus par le courage du Père, ne hurlent pas, ne maudissent pas, ils chantent ! Tout d’abord les voix sont fortes, puis de jour en jour elles faiblissent. Ce lieu de supplice est devenu comme une chapelle ardente où tous prient avec une ferveur extraordinaire. Les gardiens se regardent interdits et disent : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil ! »
Quatorze jours passent ! On est à la veille du 15 août, le jour où l’Église célèbre Celle que le Père Kolbe a tant aimée ! Ira-t-il auprès de l’Immaculée chanter les premières vêpres de la fête ? Dans le bunker du Père, il n’y a plus que quatre survivants ! Lui est encore pleinement conscient. À cause de son extrême faiblesse il n’est plus debout, ni même à genoux comme on l’a vu si souvent, mais assis… Et ses lèvres murmurent encore une prière. Il a congédié son petit troupeau ; un à un, ses camarades sont partis pour le ciel, bénis par lui. Les trois derniers qui gisent sur le sol, sans connaissance, sont prêts à paraître devant Dieu. Le bon pasteur a fini son travail. Il a droit au repos… et peut mourir ! Un bourreau, voyant qu’il a encore un souffle de vie, s’approche de lui avec une seringue et lui fait une piqûre qui l’achèvera. Sans rien dire, le Père tend à l’homme son bras décharné…
Le lendemain, le gardien qui est chargé de « nettoyer » le bunker, un nommé Borgovriec, trouvera le Père assis, la tête légèrement appuyée contre le mur, les yeux grands ouverts et fixés comme en une extase, le visage rayonnant.
« Tandis que les autres cadavres étaient sales et avaient des figures crispées, dira-t-il plus tard, le corps du Père était net et l’on aurait dit qu’il répandait de la lumière ! Jamais je n’oublierai l’impression que cela me fit ! »
À la nouvelle de la mort du martyr, ses camarades le pleurèrent comme un père. Ils essayèrent, mais en vain, de soustraire son corps aux flammes du four crématoire. La loi était inexorable. Le Père fut brûlé, comme tant d’autres, dans les énormes fours qui flambaient nuit et jour, empestant l’air de leur âcre fumée. Et les cendres de ce futur saint furent dispersées aux quatre point cardinaux afin que rien ne restât de lui !
Mais l’Église n’a pas besoin d’ossements pour élever quelqu’un sur les autels ! Et le 24 mai 1948 le procès de béatification du serviteur de Dieu, Maximilien Kolbe, fut officiellement introduit[1]
Jadis, lorsqu’il était encore enfant, sa maman lui avait demandé ce qu’il ferait plus tard. Très embarrassé le petit bonhomme était tout simplement allé à l’église chercher la réponse auprès de la Sainte Vierge. « Elle m’est apparue, avoua-t-il ingénûment à sa mère ; elle tenait deux couronnes à la main, l’une était blanche, l’autre rouge… Elle me regarda avec amour et me demanda laquelle je choisissais. La blanche signifiait que je serais toujours pur ; la rouge que je mourrais martyr. « Je les choisis toutes les deux », ai-je dit à la Sainte Vierge ! Elle a souri puis est partie.
En cette veille du 15 août 1941, la Reine du Ciel était venue chercher son enfant tenant en main les deux couronnes qu’il avait si bien méritées : la blanche et la rouge.
D’après Maria Winowska, Le fou de Notre-Dame
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- [1] Il fut béatifié le 17 octobre 1971 et canonisé le 10 octobre 1982.
Saint Maximilien Kolbe, Priez pour nous !↩
Magnifique récit !
Pendant cette horrible guerre, ma mère a été témoin – direct ou pas, je ne sais – d’un fait similaire en région parisienne (Chelles je crois) : lors d’un rafle à la suite d’un attentat anti-allemand, un commerçant, un coiffeur, demanda au capitaine allemand qui emmenait les condamnés à prendre la place d’un garçon de sa connaissance, fils unique vivant seul avec sa mère !
L’échange fut accepté, le jeune homme libéré et le malheureux coiffeur exécuté à sa place !
Ce héros – croyant ou non, je l’ignore – a donc rejoint le père Kolbe au Paradis des Martyrs et des Saints ! tant de saints sont inconnus des calendriers et chantent les louanges de Dieu dans le Ciel !
Amitiés à tous et grand merci pour vos si belles histoires.
J’ai toujours admiré cet homme saint . Ce fut l’exemple que je donnais à Georges jeanclos le sculpteur avant sa mort,comme dernière lecture . La communion des Saints , l’échange des âmes. Il aurait été magnifique qu’il fût canonisé très tôt, mais régime totalitaire aidant …on voit la difficulté. Une enquête sur des archives cachées et enfouies,des témoignages craintifs etc. Une prière ardente lui est adressée. Qui nous donnera un modèle de cette adresse à Marie ?
Merci pour votre commentaire.
Le père Maximilien Kolbe a été canonisé en 1982, c’est une quarantaine d’années après sa mort, ce qui est assez rapide par rapport à la plupart des saints canonisés.