Chapitre XII
On se souviendra longtemps, toujours sans doute, des journées qui suivirent.
Le baptême de Nono, la ferveur de ce petit, le sérieux de Colette et de Bernard, qui, conscients désormais de leur rôle de parrain et marraine, le remplirent à merveille. Puis, sur l’humble petite table de la roulotte, repeinte à neuf, un goûter dont les gâteaux de Bernadette faisaient les frais, et des dragées de toutes couleurs à profusion.
Si bien que Nono, épanoui de bonheur, retrouvait un peu son franc-parler et déclarait :
— La roulotte est comme mon âme, elle a fait peau neuve.
Et il ajoutait, en contemplant les friandises :
— Attention ! Pas de gourmandise ! Je ne veux plus l’ombre d’une tache dans mon cœur.
Huit jours plus tard, autre fête, non moins émouvante, non moins belle. Les deux petits gars sont confirmés côte à côte, parmi beaucoup d’autres, sous les regards attendris de leur vieux curé.
Ils suivent la cérémonie avec une attention, une piété qui ne laissent aucun doute sur leur compréhension.
Et tout est joie en cette fin de vacances. La veille de la rentrée, sous la fenêtre de Colette et d’Annie, Bernard, le nez en l’air, fredonne d’un ton volontairement contenu :
J’aime surtout ma Paimpolaise
Qui m’attend au pays breton…
Deux têtes paraissent, et deux voix moqueuses disent ensemble :
— Qu’est-ce qui te prend ? Bernard sentimental ! Tu es sûrement malade.
Mais Bernard continue. Sa voix a des intonations fantaisistes et il redit, avec une mimique romantique, la main sur le cœur :
J’aime surtout ma Paimpolaise
Qui m’attend au pays breton…
Les deux petites n’y tiennent plus. Elles accourent.
— Vas-tu finir cette comédie ? C’est grotesque ! Il ne manquerait plus que de t’entendre nous annoncer tes fiançailles.
Bernard salue :
— Moquez-vous, mesdemoiselles, moquez-vous. N’empêche que de charmants jeunes gens s’aiment et que — ici Bernard s’arrête pour jouir de son effet — et que c’est moi, Bernard, qui conduirai la mariée à l’autel.
Un avion serait tombé aux pieds des deux enfants qu’elles n’eussent pas fait une autre tête. Annie se contente de hausser les épaules en signe d’incrédulité. Colette, que rien ne déconcerte, riposte :
— Hé bien ! mon vieux Bernard, tu n’as qu’à aller prendre des leçons de maintien chez un professeur… parce que, tu sais, avec tes longues jambes et tes longs bras, tu n’as pas précisément l’air d’un monsieur important qui conduit un cortège de mariage.
— Ta, ta, ta… tout cela c’est de la pure jalousie. Vous verrez si je serai beau, et bien, et sérieux, quand je conduirai à l’église la jolie petite Jeannette, la fille ainée de monsieur Jacques.
— C’est Jeannette qui se marie ? Grand sot ! il fallait le dire plus tôt ; et avec qui, s’il vous plaît ?
— Je devrais bien te faire expier tes airs dédaigneux et t’obliger à deviner, mais je suis bonne bête… Elle épouse Jean-Louis, le fils du vieux garde du château ; et c’est Mme C. qui lui donnera le bras pour monter à l’église. Ce sera pour le lundi de la Pentecôte, afin que nous puissions être là.
— Alors, pourquoi n’est-ce pas papa qui conduira Jeannette ?
— Parce que mon oncle sait qu’il sera absent la seconde quinzaine de mai. Il m’a cédé la place, et j’en suis enchanté.
* * *
Elle est venue, cette bienheureuse fin de mai, et la jeunesse a mobilisé toutes les échelles pour garnir de verdure et de fleurs blanches le chœur de la vieille église.
Bernard et Jean ont suspendu un peu partout des éclairages, dont les essais les comblent d’orgueilleuse satisfaction. Ces guirlandes lumineuses donnent des lueurs mystérieuses aux vieilles voûtes et aux teintes profondes des vitraux. Ce sera comme un halo de lumière, qui encadrera les mariés.
Jean, juché sur une stalle de chœur, tout entouré de fils électriques, dit à mi-voix à M. le Curé, qui surveille, débonnaire :
— Ce que se sera chic !… et ce que vous serez content de les marier, ces deux fiancés !
— Dis donc que je serai bien heureux de servir de témoin à leur union et de la bénir au nom de l’Église, car les ministres du sacrement de mariage sont, non pas les prêtres, mais les mariés.
Jean saute à terre au milieu de ses rouleaux de fil.
— Pas possible, monsieur le Curé ?
— Voyons, as-tu à ce point oublié ton catéchisme ?
— Oh ! monsieur le Curé, mon catéchisme ! Croyez-vous que vous vous donniez beaucoup de peine, quand nous avions dix ans, pour nous expliquer ce qui concerne le sacrement de Mariage, et croyez-vous surtout que nous ayons jamais pris celle de bien comprendre vos explications ? Ordre, Mariage, Extrême-onction, quand on est petit, on pense qu’il sera temps d’apprendre cela dans le lointain des âges.
Mais dites, monsieur le Curé, je vais appeler Bernard ; nous entrerons à la sacristie, et vous allez nous faire un cours en règle, qui réparera toutes nos paresses passées, et qui nous permettra de faire enrager Colette en étalant une science qu’elle ne possèdera pas.
Et Jean, d’un signe, appelle son cousin.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demande Bernard, qui accourt à la sacristie.
— Tu savais, toi, que les ministres du sacrement de mariage sont les mariés eux-mêmes ?
— Oui… vaguement…
— Vaguement, vaguement ! Écoute un peu monsieur le Curé, et ça deviendra moins vague. Sache au moins ce que fera la mariée que tu conduiras à l’autel.
— Ce qu’elle fera ? Tu en as de bonnes ! Elle sera mariée, voilà tout !
— Mais comment ? That is the question.
— Enfin, qu’est-ce que tu inventes ? Monsieur le Curé, faites-le taire.
— Tu aimes mieux que ce soit moi qui parle ? Allons‑y ! Seulement, écoutez bien tous les deux.
Avant la cérémonie du mariage proprement dit, revêtu de surplis et de l’étole blanche, j’adresserai aux deux fiancés une courte allocution.
— Oh ! courte ! dit Bernard, qui a le souvenir d’un interminable discours de mariage, ces sermons-là ne sont pas toujours courts, monsieur le Curé.
Riant, le vieux prêtre répond :
— En tous cas, ils devraient l’être. Il s’agit de rappeler aux jeunes gens qui vont s’épouser, la graviter de leurs engagements d’une manière claire, nette, précise. Car ils doivent être avertis qu’ils s’unissent pour toujours, et que rien, sauf la mort, ne pourra désormais les délier de leurs serments.
C’est tellement grave que l’Église oblige les fiancés à prononcer leurs engagements devant au moins deux témoins, qui signeront à la sacristie, après la cérémonie, leur acte de mariage.
Le sacrement consiste en ceci : Les deux jeunes gens étant à genoux, le prêtre les interroge l’un après l’autre pour leur demander s’ils consentent mutuellement à s’épouser. C’est positivement ce « oui », répondu par chacun d’eux, qui constitue la matière, en tant qu’il exprime le don de sa personne ; la forme, en tant qu’il exprime l’acceptation réciproque du don fait par l’autre conjoint. Le prêtre fait ensuite sur les époux, qui se donnent alors la main droite, un signe de Croix en disant :
« Je vous unis par le mariage, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
Puis il bénit l’anneau nuptial des deux mariés en l’aspergeant d’eau bénite. Le jeune homme le passe à l’annuaire de la main gauche de sa femme, et met lui-même le sien à son propre doigt. Le prêtre fait alors sur leur geste un nouveau signe de croix. Ils sont unis pour toujours.
— Pourquoi cet anneau, monsieur le Curé ? que signifie-t-il ?
— C’est le symbole du lien qui s’est établi entre les nouveaux mariés. Le prêtre a béni l’anneau, et le mari le donne à sa femme parce que c’est lui qui, dans leur futur ménage, devra garder l’autorité. La femme reçoit et porte cet anneau en signe de fidélité. Le prêtre lit alors plusieurs prières pour demander à Dieu d’accorder des grâces abondantes aux nouveaux époux, et la cérémonie du mariage est terminée.
Jean proteste :
— Mais, monsieur le Curé… il y a la Messe ?
— On dit en effet la Messe, mon petit, après le mariage, quand les familles le demandent, et c’est on ne peut plus désirable, mais le sacrement de Mariage en est indépendant.
Cependant cette Messe, qui porte le nom liturgique de « Messe votive pour les époux », comporte des prières toutes spéciales, à leurs intentions. L’officiant revêt l’ornement blanc et or des grandes fêtes. L’Épître instruit les nouveaux mariés de leurs devoirs réciproques, et l’Évangile leur rappelle l’indissolubilité de leur union, par ces paroles de Notre-Seigneur : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »
Après le Pater, et encore à la fin de la Messe, avant de bénir toute l’assistance, le prêtre par deux fois se tourne vers les époux, pour les bénir spécialement de nouveau, leur souhaitant de voir nombreux leurs enfants et leurs petits-enfants, avant d’arriver au bonheur éternel.
— Amen ! conclut Bernard gaiement, qui ajoute :
Je suivrai demain la cérémonie d’un tout autre œil que par le passé, mais en attendant, monsieur le Curé, il s’agit de finir au plus vite les décorations.
* * *
C’est donc vers une église délicieusement ornée que le cortège se dirige, le matin suivant.
Pour faire honneur à leur ami, les gardes-chasse des propriétés voisines sont là, en grande tenue, la trompe en bandoulière. Ils précèdent la noce joyeuse.
Bernard a enfilé le smoking de son oncle et donne le bras, avec une dignité souveraine, à la jolie petite mariée, toute fraîche, toute blonde, toute souriante, mais qui marche émue et les yeux baissés, sous son léger voile blanc.
Jean-Louis est magnifique au bras de Mme C.
Ensuite, ce sont les parents, les amis, confondus comme le demeurent encore ces familles qui se respectent, s’aiment et s’unissent depuis si longtemps, parfois depuis des siècles.
Bernard remarque avec quel sérieux et quelle émotion les deux fiancés accomplissent les rites, dont il comprend parfaitement aujourd’hui l’importance.
Il devine aussi l’heureux émoi du vieux prêtre qui a baptisé et marié plusieurs des générations qui, à cette heure, remplissent son église.
Quand, à la fin de la messe, le bon curé se retourne pour dire : Dominus vobiscum, et que son regard parcourt l’assistance, Bernard songe :
Comme sa petite église est belle, ainsi remplie ! Comme tous ses paroissiens sont unis ! Ah ! oui, monsieur le Curé, vous pouvez bien redire joyeusement à tout votre monde : « Le Seigneur soit avec vous ! »
Mais pas de distraction ! Voici la fin de la Messe, l’entrée à la sacristie, le défilé.
Sur la place, les gardes-chasse se sont massés ; à la sortie de l’église, les jeunes mariés sont accueillis par la plus jolie sonnerie de cors qui soit. Les fanfares se succèdent, alertes, entraînantes, éveillant tous les échos des halliers voisins.
Alors, on voit le vieux comte C. et son fils abandonner le cortège, courir à leur auto, y prendre leurs trompes et, se mêlant aux gardes de leurs terres, sonner avec eux les « Honneurs » pour ces deux petits mariés qu’ils aiment bien.
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