Le feu gagnait partout

Auteur : Targis, Edmond | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 5 minutes

La der­nière char­rette de foin venait d’être mise en lieu sûr.

Et puis ce fut l’o­rage, violent, bru­tal. Les éclairs suc­cé­daient aux éclairs. Déjà, l’é­norme sapin de la cour du châ­teau avait été déra­ci­né. Plus loin, la petite ferme du père Jani­cout flam­bait comme fétu de paille. Sou­dain, on enten­dit un fra­cas épou­van­table, réper­cu­té d’é­cho en écho : la foudre venait d’at­teindre le clo­cher, le clo­cher de tuiles ver­nis­sées autour duquel se ser­raient les mai­sons. Une épaisse fumée, toute noire, mon­tait dans le ciel encore plus noir, le tout tra­ver­sé de lueurs rouges : les flammes. Le avait pris de par­tout à la fois.

Église du village en feu - première communion et eucharistieIls étaient deux qui avaient vu la foudre s’a­battre sur l’é­glise : Mon­sieur le Curé dans son pres­by­tère, et Jean le jaciste dans sa mai­son­nette de la rue Haute. Deux qui avaient bon­di ensemble dans la rue, l’un tout cour­bé sous le poids des ans et d’une exis­tence mise au ser­vice des autres, l’autre, jeune, le visage tour­né vers l’a­ve­nir. Deux, avec une seule pen­sée au fond du cœur : là-bas, dans « leur » église, le taber­nacle… et le ciboire aux hos­ties consacrées.

Ils se sont retrou­vés sur la place, avec la même angoisse dans le cœur, la même farouche volon­té dans le regard. Autour d’eux, avec bruit, les secours s’organisent.

« Mon­sieur le Curé, je sais… mais je vous en prie, n’al­lez pas plus loin. Je suis jeune et n’ai pas peur. Je Le rapporterai. »

Et, sans attendre la réponse, Jean s’é­lance. Un cri par­mi la foule : le grand por­tail d’en­trée s’é­croule, dans un jaillis­se­ment d’é­tin­celles. Par où donc Jean va-t-il péné­trer dans l’é­glise ? Il reste la petite porte basse. Elle est fer­mée, mais d’un grand coup d’é­paule, et han ! il l’en­fonce. La four­naise ! Une hor­rible fumée âcre qui étouffe, piquant atro­ce­ment et les yeux et la gorge. Un ron­fle­ment entre­cou­pé de cré­pi­te­ments. De grands éclairs rouges. L’ dans toute son hor­reur. Déjà Jean regarde plus loin. Dans cet enfer qui l’en­toure, ses deux yeux très clairs se portent là-bas, vers le Christ de pierre qui domine la four­naise, le Christ aux deux bras éten­dus. Il semble pro­té­ger, dans la par­tie du chœur encore intacte, l’au­tel et le taber­nacle. Le petit jaciste rampe sur le sol : c’est le seul moyen de ne pas être trop brûlé.

* * *

ciboire contenant les hosties - histoire pour les enfantsLà-bas, sur la place, la foule. Tout le vil­lage lutte pour sau­ver l’é­glise, « son » église. Et ceux qui ne sont plus assez forts pour don­ner leurs bras apportent leur prière. Une à une, les coiffes blanches aux ailes de den­telles se sont incli­nées, les hommes se sont décou­verts ; il y a des cha­pe­lets dans les mains jointes.

Sou­te­nu, por­té par ces « Ave » qui montent dans le ron­fle­ment de l’in­cen­die, Jean rampe tou­jours. Dans les flammes rouges et oranges qui dansent, sour­noises, autour des ver­rières, des stalles et des piliers, mètre par mètre, le vaillant gar­çon avance ; sou­dain, il tré­buche : la pre­mière marche de l’au­tel. D’un effort de tout son être, vacillant, la tête emplie de ce bour­don­ne­ment gigan­tesque, il se dresse, les deux mains ten­dues vers le taber­nacle ; il l’ouvre et, avec un soin infi­ni, il en retire le Dieu vivant qui, par amour pour nous, s’est caché dans les blanches hosties.

* * *

Dans le cercle de feu qui se res­serre de minute en minute, il faut reve­nir, trou­ver l’é­troit pas­sage qui conduit vers l’air pur, vers la vie. L’é­glise n’est qu’un bra­sier. Il ne reste que la petite porte voû­tée, déjà à moi­tié bar­rée par les flammes. Jean n’hé­site pas.

Un cri de joie dans la foule : le voi­là ! Oui, c’est lui, le petit jaciste aux vête­ments déchi­rés, au visage noir­ci, aux mains qui ne sont plus que plaies… deux mains dou­lou­reuses et priantes qui tiennent avec amour un ciboire d’or. À pas lents, Jean s’ap­proche, le regard bais­sé vers son Dieu. Il oublie sa souf­france et l’hor­rible enfer d’où il vient de sor­tir, il oublie tout pour ne plus son­ger qu’à une chose, la fière joie de por­ter Jésus sur son cœur.

De la même démarche apai­sée et recueillie, il va vers le vieux prêtre et, ten­dant ses deux mains en un geste d’offrande :

« Mon­sieur le Curé, Le voici. »

Les deux visages se sont rele­vés, les deux regards se sont croi­sés. Dans cha­cun il y a de la joie. Et le prêtre sait bien main­te­nant, parce qu’il l’a lu dans les yeux clairs du petit jaciste, que bien après lui, ça continuera.

Edmond Tar­gis.

Coloriage première communion

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