Le cierge de Rocamadour

Auteur : Tharaud, Jérôme et Jean | Ouvrage : Les contes de la Vierge .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Dans l’é­glise de , la Mère de Dieu a fait tant de miracles qu’on en a écrit tout un livre. Je l’ai lu bien sou­vent, et par­mi les plus beaux, en voi­ci un que je veux racon­ter parce qu’il montre jus­qu’où peut aller la cour­toi­sie de .

Récit extraordiniaire pour les enfants - Miracle de la Vierge - Notre-Dame de RocamadourIl y avait, en ce temps, un très fameux, nom­mé Pierre de Syglar, qui, d’un bout de l’an­née à l’autre, allait de mou­tier en mou­tier, chan­tant la gloire de la Vierge . Se pou­vait-il qu’au moins une fois en sa vie, il ne pas­sât par le où, depuis les jours les plus loin­tains, une image de la Mère de Dieu, la plus belle que vous puis­siez voir, attire de tous les coins du monde un peuple immense à ses pieds ?… Il y pas­sa donc une fois. C’é­tait au soir d’une chaude jour­née. Il avait fait un long voyage, il avait faim, il avait soif, et ce n’é­tait pas sans envie d’en­trer se rafraî­chir qu’il regar­dait tout le long de la rue se balan­cer au-des­sus de sa tête les belles enseignes des auberges, car jamais bonne soupe et bon vin n’ont été mépri­sés par ménes­trels, viel­leurs, jon­gleurs et autres gens de cette espèce. Lui-même, tout dévot qu’il fût, ne mépri­sait pas la bou­teille. Mais il était venu visi­ter la vraie Hôtesse de l’en­droit, Notre-Dame Sainte-Marie : mal­ap­pris s’il n’al­lait d’a­bord se pros­ter­ner devant Sa Seigneurie.

L’é­glise était toute rem­plie de pèle­rins age­nouillés, les yeux levés vers l’i­mage qui brillait au fond de la nef par­mi les cierges allu­més. Hum­ble­ment, lui aus­si, le jon­gleur s’a­ge­nouille, et son orai­son ter­mi­née, il tire de sa gaine de cuir la vielle pen­due à son épaule, passe son archet sur les cordes, et fait si bien son­ner son ins­tru­ment que cha­cun l’é­coute en silence avec ravis­se­ment, admi­rant en soi-même qu’une simple baguette pro­me­née sur trois cordes puisse émou­voir si fort le cœur. Puis, quand il eut loué long­temps, et de toute son âme, Celle pour laquelle il était venu, il s’é­cria d’une voix forte :

- Ô Mère de Dieu qui tout créa, si quelque chose t’a plu dans ma chan­son, je te demande en récom­pense de me don­ner un de ces cierges qui brûlent là-haut, près de toi, en si grand nombre que de ma vie, ni de près ni de loin, je n’en ai vu davan­tage. Dame sans pareille et sans peur, donne-le-moi, je t’en sup­plie, pour m’é­clai­rer dans mon auberge et faire la fête de mon sou­per. Je ne te demande rien d’autre, si vrai que Dieu m’entend !

Notre-Dame de Roca­ma­dour qui est fon­taine de cour­toi­sie, ruis­seau et source de dou­ceur, écou­ta sa prière, et aus­si­tôt on vit s’en­vo­ler comme un oiseau et venir se poser sur la vielle le plus beau, le plus blanc des cierges qui fai­saient autour de sa tête une cou­ronne de lumière. Et les pèle­rins de s’é­ba­hir et de chan­ter Noël ! Noël !

Mais un moine, du nom de Girard (pour sa plus grande confu­sion, l’his­toire a rete­nu com­ment il s’ap­pe­lait), homme fiel­leux et mélan­co­lique, et qui tirait quelque pro­fit des bouts de qu’il ven­dait, se mit en fureur et cria :

- C’est un sor­cier, un gueux à mettre à la potence !

Ce disant, il sai­sit le cierge et va le replan­ter là-haut, à la place d’où il était parti.

Retour­née par ces mots, la foule se prend à mur­mu­rer. Si le sacris­tain disait vrai ! Et si ce beau viel­leur n’é­tait qu’un envoyé du Malin !

Pierre écoute et ne souffle mot, car il est trop fin et trop sage pour s’in­di­gner des injures d’un pauvre sot. Et que lui font tous ces mur­mures ! La Mère de Dieu la enten­du, elle a exau­cé sa prière. Peut-il deman­der davan­tage ? Son âme est rem­plie d’al­lé­gresse, des larmes coulent sur ses joues. En silence il prie Notre-Dame et lon­gue­ment la remer­cie. Puis, repre­nant sa vielle, il impro­vise un si beau chant qu’il n’en est pas au monde que vous eus­siez écou­té plus volon­tiers. Et quand il eut fini, le cierge, quit­tant son chan­de­lier, revint se poser sur sa vielle, comme cha­cun put le voir de ses yeux.

Alors, plus prompt que chèvre ou vieux bouc encor­né, le furieux sacris­tain bon­dit au milieu de la foule, et suf­fo­qué par la colère, demeure quelque temps sans parole. Puis reje­tant son capuchon :

- Jamais de mon vivant, dit-il à Pierre, le poing ten­du, je ne vis telle enchanterie !

Et de nou­veau s’emparant du cierge, il s’é­lance vers l’au­tel, le plante sur le chan­de­lier, l’at­tache avec un lien de fer, et cela fait, s’écrie :

- Simon le Magi­cien n’é­tait rien près de toi, si tu le fais encore descendre !

L’é­moi redouble dans l’é­glise, les uns tenant pour le jon­gleur, et les autres pour ce Girard. Mais le jon­gleur, durant sa vie, avait vu, de près ou de loin, trop de fous et de sages pour se sou­cier de tous ces gens. Son cœur, trem­pé comme un bon fer, ne se laisse enta­mer ni par les uns ni par les autres. Et d’ailleurs, n’est-il pas cer­tain que puisque Notre-Dame a dai­gné se plaire à sa chan­son, elle va arran­ger toute l’af­faire à son honneur ?

Il reprend donc sa mélo­die, il sou­pire, il pleure, il implore. Il n’a plus ses doigts sur la vielle, et pour­tant, sans tou­cher les cordes, il en tire des sons si tou­chants qu’il vient des larmes à tous les yeux. Sa bouche chante et son cœur prie, et sa prière et sa chan­son s’en vont ensemble jus­qu’au Ciel.

Alors, pour la troi­sième fois, éblouis­sant comme une épée dont la pointe serait une flamme, le cierge fit un grand saut dans l’air, pour venir se poser sur la vielle, tan­dis que les cloches de l’é­glise se mirent à son­ner d’elles-mêmes, avec un si grand bruit que si Dieu le Père avait ton­né, vous ne l’au­riez pas entendu.

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Allé­luia ! Allé­luia ! Ils auraient eu le cœur bien dur, s’ils n’a­vaient pas été émus, ceux qui virent alors le jon­gleur mon­ter les marches de l’au­tel, tenant le cierge dans sa main, pour le remettre à la Vierge Marie, car c’eût été fait de vilain de l’emporter dans une auberge.

Une faveur si écla­tante ne ren­dit Pierre de Syglar ni moins cour­tois ni moins sage. Aus­si long­temps qu’il fut en vie, pas une année il ne man­qua de venir à Roca­ma­dour appor­ter à la Mère de Dieu un cierge tout pareil, par la dimen­sion et le poids, à celui quelle lui avait don­né. Et le jour de sa mort, il arri­va au Para­dis, pré­cé­dé de tous les beaux cierges qu’il avait allu­més, et, comme on pense bien, venait en tête le plus beau, celui de Notre-Dame.

MORALITÉ

Si à Dieu nous vou­lons plaire,
Ne nous effor­çons pas de braire.
Il ne dit bien, ni bien ne chante,
Qui tout son cœur en Dieu ne plante.
Et quand l’homme est de bonne vie,
Sa voix rejoint la mélodie
Des Anges célé­brant sans fin
Jésus et sa Mère au cœur fin.

Jérôme et Jean THARAUD,
Les contes de la Vierge,
Plon, 1940.

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