Le cierge de la chandeleur

Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Toute fris­son­nante, mal­gré sa cape de laine noire dans laquelle elle s’en­ve­loppe étroi­te­ment, mère Yvonne se hâte de ren­trer, sur la falaise, à l’a­bri dans sa mai­son. Elle a tenu à se rendre à l’of­fice du matin, en ce jour de la fête des cierges, bien qu’à son lever elle ne se soit pas sen­tie très entrain. Grâce à Dieu, voi­ci le toit fami­lial, bien abri­té du vent par la haie d’é­pines et de genêts. Avant de refer­mer la porte der­rière elle, mère Yvonne jette un regard angois­sé vers la mer qui mou­tonne à l’in­fi­ni, sous le vent aigre et violent.

Pour­quoi a‑t-il vou­lu par­tir cette nuit, son Yann, alors qu’au­cun pêcheur ne ris­que­rait sa voile par ce temps ? Aus­si n’est-ce pas pour le pois­son qu’il s’est embar­qué avec ses mau­vais amis qui gagnent tant d’argent à des besognes louches qu’elle ne peut que soupçonner…

« Lui, fils de pêcheur, mur­mure-t-elle, un contre­ban­dier, est-ce possible ? »

Et cela ne le rend pas heu­reux ; il n’aime plus la mai­son où il paraît si peu, ni sa mère qu’il ne regarde plus en face…

Avec un grand sou­pir de peine et de las­si­tude, mère Yvonne est ren­trée dans sa demeure, a reti­ré sa cape. Soi­gneu­se­ment, elle a pla­cé dans le beau chan­de­lier de cuivre qui orne la che­mi­née le cierge qu’elle a rap­por­té de la béné­dic­tion, puis s’est accrou­pie devant le foyer pour rani­mer le feu, car elle a froid, très froid…

Non, vrai­ment, elle ne se sent pas très bien… Elle ne s’oc­cu­pe­ra même pas de pré­pa­rer quoi que ce soit pour son déjeu­ner ; elle ira se cou­cher tout sim­ple­ment et, fer­mant les yeux, dira son cha­pe­let pour ce fils qui est peut-être en per­di­tion, par amour du gain, sur la mer déchaî­née. Elle s’as­sou­pit, ber­cée par le res­sac des vagues sur les rochers, au pied de la falaise.

***

Toc ! Toc ! Qui frappe ? C’est Rosine, une brave petite qui habite non loin de chez elle.

histoire à télécharger - crêpe de la chandeleur« Eh bien ! quoi, mère Yvonne ? Pas de lumière et la nuit vient ! Je suis accou­rue quand j’ai vu tout noir chez vous. Et déjà cou­chée ? C’est comme cela que vous fêtez la  ? Tenez, j’ai appor­té deux crêpes pour votre sou­per. Voyez, elles sont dorées et sentent bon ; toute la famille s’en est régalée.

– Tu es bien gen­tille, mon enfant, mais je n’ai pas faim. Vrai, je ne me sens pas très bien… Mer­ci tout de même. Mets les crêpes dans le buf­fet… Quel temps, ce soir, la vague frappe comme un bélier !

– La Vierge pro­tège ceux qui sont en mer ! » fait Rosine pieusement.

« Mon fils ! san­glote la pauvre mère… Oh ! Petite, pour me faire plai­sir, veux-tu allu­mer le cierge bénit, là, sur la cheminée ?

– Mais c’est pour les défunts qu’on allume, mère Yvonne !

– Et aus­si pour faire la lumière dans le cœur des pauvres incroyants ; allume, te dis-je, et tu pour­ras retour­ner chez toi, avec ma reconnaissance. »

***

La mère Yvonne est seule main­te­nant. Elle s’est levée seule­ment pour por­ter la flamme bénite de la che­mi­née sur une table, juste devant la fenêtre. Un ins­tant, avec un regard plein d’an­xié­té, elle scrute la mer, toute sombre, puis elle a repris son chapelet…

Un moment plus tôt, sur les vagues furieuses, un petit côtre à moteur avan­çait péni­ble­ment. Il zig­za­guait, incer­tain de la route à suivre, presque en face de la mai­son de mère Yvonne Le phare indi­quant l’en­trée du port n’é­tait pas loin cepen­dant, mais ce petit côtre avait des rai­sons pour abor­der sans être vu des douaniers.

Histoire bretonne - Tempête en BretagneIl risque gros par ce temps et, dans cette obs­cu­ri­té, com­ment décou­vri­ra-t-il la petite anse où il pour­ra en toute sécu­ri­té abor­der ?… Des écueils, puis encore des écueils… La côte en est semée…

« Plus à droite ! » com­mande le patron.

« Vous vous trom­pez, nous sommes déjà trop loin !

– Je connais la côte mieux que toi !

– Erreur, j’y suis né ! »

La dis­pute est si vive, auprès de la barre du gou­ver­nail que, pous­sé peut-être par son aco­lyte, Yann, car c’est bien le mal­heu­reux fils d’Y­vonne, perd l’é­qui­libre et tombe dans les flots en tempête.

« Au secours ! À l’aide ! » crie-t-il.

Mais l’autre fait la sourde oreille, et le petit côtre, entraî­né vers sa perte, lui aus­si sans doute, dis­pa­raît dans la nuit.

Bien que Yann soit bon nageur, il se sent per­du, au milieu des écueils bat­tus par les vagues. S’il savait seule­ment où il est ? Mais ce n’est autour de lui que ténèbres et fra­cas. Il appelle… en vain.

« Mère… mère ! » gémit-il. Et comme un éclair lui appa­raît son enfance heu­reuse, le foyer qui l’at­tend, tout ce qu’il a dédaigne, pié­tine ; c’est comme une lumière qui tout d’un coup éclaire sa conscience et son cœur. Une lumière ? Oui, une lumière, toute vacillante, vient d’ap­pa­raître, là-haut sur la falaise ; elle semble gran­dir, gran­dir dans les ténèbres… Avec elle, un espoir renaît dans le cœur du nau­fra­gé : plein de confiance, il nage vigou­reu­se­ment vers cette lueur car il a la cer­ti­tude que sa mai­son est là, juste là, où brille cette flamme.

Tant de fois, alors qu’il était gamin, le soir, il a tra­ver­sé la grève avec, pour phare, cette fenêtre éclai­rée ! Il sait que là, il y a une passe entre les rochers… Com­bien de temps met-il pour gagner le sable ? À bout de souffle, il se laisse tom­ber, épui­sé. Puis il com­mence la lente ascen­sion de la falaise, périlleuse, mais si sou­vent pratiquée.

La lueur le guide tou­jours : c’est bien la fenêtre éclai­rée de sa mai­son, de la chère mai­son où il revient après avoir échap­pé à la mort.

***

Grand Dieu ! Un pre­mier regard à tra­vers la vitre le glace : sa mère est allon­gée, toute pâle sur son lit, avec près d’elle un cierge, le grand cierge habi­tuel, qu’il connait bien, dans le beau chan­de­lier de cuivre, et qu’on n’al­lume que pour les morts. Serait-elle morte ? Son angoisse est telle qu’il ne peut s’empêcher de pous­ser un grand cri… Ce grand cri réveille en sur­saut la vieille Yvonne, qui n’é­tait que sommeillante.

« Yann, mon garçon ! »

Ils sont dans les bras l’un de l’autre. Point n’est besoin de paroles : ils se sont compris.

récit breton pour les enfants - crèpeuse bretonne« Mais tu es trem­pé, mon pauvre petit, tu vas prendre mal ! Va te chan­ger, tan­dis que je vais rani­mer le feu… »
C’est étrange comme la joie est un remède par­fois. Yvonne retrouve des forces pour se lever, pour faire chauf­fer le vin sucré, mettre la table, ser­vir les crêpes de la petite Rosine.

Quelle bonne veillée de Chan­de­leur ils ont pas­sée la mère et le fils, dans la modeste chau­mière, tan­dis que là-bas la mer en colère hur­lait de vaines menaces ! Le cierge brûle entre eux deux, car ils n’ont vou­lu ni l’un ni l’autre l’éteindre.

« Le cierge de la Chan­de­leur qui a sau­vé et m’a ren­du mon fils », a dit la vieille Yvonne toute émue.

« Le cierge de lumière qui a éclai­ré mon cœur et chas­sé le mal », a mur­mu­ré Yann avec reconnaissance.

M. D’A­len­çon.

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