Le bouquet de Lucette

| Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Le ciel est bas et gris. Bien­tôt, novembre sera là, et les grands arbres, déjà, perdent leur che­ve­lure d’or.

Cinq heures sonnent len­te­ment au clo­cher de l’é­glise. La porte de l’é­cole s’est ouverte ; on entend les rires des fillettes, clairs et joyeux en cette soi­rée d’au­tomne. Quelques bavar­dages encore… puis tout le monde se dis­perse ; les unes vont à la lai­te­rie, les autres rentrent vite chez elles où les attendent quelques leçons à apprendre.

Récit de France pour les enfants - Croix pour mort à la guerreDans un petit groupe d’é­co­lières qui prennent ensemble le che­min du retour, Lucette s’a­vance avec ses amies Renée et Marie-Thé­rèse, dont les yeux rieurs et les joues rouges comme des pêches, contrastent avec son petit visage pâle où deux grands yeux gris semblent, aujourd’­hui, plus tristes qu’à l’habitude.

Et, tan­dis que les sou­liers claquent gaî­ment sur les pavés, on parle de choses sérieuses.

« Ils seront sûre­ment en fleurs pour la Tous­saint, dit Renée, tu as vu, avant-hier, comme les bou­tons étaient larges ? Eh bien, ils ont encore gros­si et ils vont être dorés, je crois, avec le des­sous des pétales rouge, comme ceux de Madame Gou­net, qui m’a don­né les bou­tures. Ven­dre­di, j’i­rai arran­ger les tombes avec Maman ; et toi, que feras-tu ?

- Oh ! moi… » et les yeux tristes deviennent plus sombres encore.

« Zut ! se dit Marie-Thé­rèse, Renée a gaffé ».

***

Aujourd’­hui, c’est jeu­di, et Lucette, un sac au bras, s’en va légère sur la route. Madame Bouf­fet, une cou­sine chez qui sa mère l’a lais­sée en repar­tant à Lyon, l’a envoyée faire une course dans un vil­lage dis­tant de trois kilomètres.

Et l’en­fant, seule sur la grand-route, songe à cet autre­fois où elle était une petite fille heu­reuse, entre son papa et sa maman. Hélas ! son cher papa est mort quelque part en Alle­magne, il y a plu­sieurs années déjà ! Sa maman n’a pas pu l’emmener avec elle dans la grande ville où, depuis deux ans, elle a été obli­gée de se mettre à tra­vailler, et où il est si dif­fi­cile de se loger.

Oui, Lucette est seule… bien seule. Sans doute, Madame Bouf­fet est très bonne et la petite fille a de gen­tilles amies comme, Renée et Marie-Thé­rèse, mais ce n’est pas le chaud foyer, la douce mai­son… et le petit cœur tendre se serre.

Mais, qu’est-ce que cela ? Là, sur le rebord de la route, il y a une petite croix de bois, à moi­tié tom­bée. Lucette se penche, et lit cette simple phrase : « Un sol­dat de chez nous, mort pour la patrie, priez pour lui ! »
Alors, les deux petites mains se joignent pour une fer­vente prière. Puis, après un signe de croix, l’en­fant reprend sa route, mais len­te­ment une idée nou­velle germe dans sa jeune tête.

***

Le soir de ce même jour, un trio bien silen­cieux s’ac­tive autour d’une table.

« C’est drôle, dit tout à coup Lucette, je ne l’a­vais jamais vue ; sans doute était-elle cachée par les hautes herbes que l’on a cou­pées ces jours derniers.

- Passe-moi la colle », dit Renée, très affairée.

Et le len­de­main, après la visite au cime­tière, Renée, Lucette et Marie-Thé­rèse s’en vont d’un pas rapide sur la grand-route.

Fillettes et bouquet de fleurs pour les défunts - fleurs des champsLe ciel est tou­jours maus­sade, mais là, sur le bord du fos­sé, la petite croix se dresse fiè­re­ment ; du sable est éten­du tout autour, sur la terre désher­bée par Lucette, et un beau bou­quet de mar­gue­rites, coque­li­cots, bleuets, petites fleurs de France, en papier, bien sûr, mais si jolies qu’on les croi­rait vraies, se mêle à des chry­san­thèmes pourpres et dorés pour parer d’un chaud rayon la tombe iso­lée du petit soldat.
Les trois enfants, après une fer­vente prière pour celui qui repose là, loin des siens, s’en reviennent lentement.

Et, tan­dis que la nuit des­cend sur la cam­pagne, les yeux de Lucette brillent d’une lumière nou­velle, car elle a com­pris, près de l’humble croix, que sa tâche à elle n’é­tait pas de pleu­rer, mais de se mon­trer vaillante : digne, par sa vie de tous les jours, de ceux qui ont accom­pli leur devoir jus­qu’au bout… Digne de son cher papa qui serait si content de voir que sa Lucette a com­pris, elle aus­si, son devoir de Fran­çaise et de chrétienne.

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