La discussion avait l’air sérieuse entre Pierre et Solange, ce soir-là. Que complotaient-ils donc en rentrant de l’école ?
« Demain, c’est la « Sainte Catherine », disait Solange. Suzy m’a montré le bonnet qu’elle a fait pour Jeanne. Il est très beau. C’est une casserole en soie rose, avec des ciseaux fendus aux extrémités de la queue et un mètre de ruban pour nouer sous le menton.
— Crois-tu que Jeanne sera contente de la fête de demain ? Depuis quelque temps elle est si triste. Je me demande pourquoi ?
— Eh bien ! moi, je crois avoir compris. Te souviens-tu du jour où Madame Dubuis est venue à la maison ?
— Il y a un mois. Oui, eh bien ?
— Quand je suis rentrée à l’école, Jeanne avait les yeux rouges. Elle venait de pleurer. Depuis ce jour-là, elle est triste.
— Comment Madame Dubuis, si bonne, a‑t-elle pu lui faire de la peine ?
— Je vais te dire quelque chose ; mais tu ne le répéteras pas. Tu le promets ?
— Comme si les garçons étaient des bavards ! Enfin, puisque tu le veux, je promets. »
Solange s’approcha plus près, comme si elle craignait d’être entendue.
« Tu connais Georges ?
— Le fils de Madame Dubuis ? Bien sûr, il n’y en a pas deux comme lui pour fabriquer des sifflets de châtaignier.
— Eh bien ! je crois que Madame Dubuis venait chez nous pour demander à Jeanne si elle voulait être la femme de Georges.
— Oh ! ce serait chic ! Et tu crois que Jeanne a dit non ?
— Oui, Jeanne a refusé à cause de nous. Si elle se mariait, nous resterions seuls. Qui s’occuperait de nous ? Jeanne ne veut pas nous abandonner, elle l’a promis à Maman avant sa mort. »
Tout tristes, les deux enfants s’arrêtèrent sur le bord du chemin pour réfléchir. Pierre tapotait une flaque d’eau du bout de sa galoche. Autour d’eux, le vent sifflait, arrachant les dernières feuilles aux arbres de la haie.
Au loin, tout en haut de la côte, brillait une petite lumière. Jeanne était là, finissant quelque ouvrage de couture en attendant ses frère et sœur. A quoi songeait-elle en travaillant ?
Soudain, Pierre se redressa.
« J’ai une idée », dit-il.
Et, entraînant sa sœur, il s’engagea dans le sentier qui menait chez les Dubuis. De loin, on entendait des coups. Georges, sous le hangar, devait fendre des bûches.
* * *
Une heure plus tard, quand les deux enfants ouvrirent la porte de la maisonnette, ils étaient heureux.
Jeanne les attendait ; elle tricotait près de l’âtre.
« Comme vous êtes en retard, ce soir », dit-elle en les embrassant.
« Oui, mais nous avons bien travaillé aujourd’hui. Le maître a dit que si Pierre continuait comme cela, il serait certainement reçu au certificat.
— C’est bien. Maintenant, rangez vos affaires et nous nous mettrons à table. »
Les deux enfants se déchaussèrent ; de temps en temps, ils échangeaient des coups d’œil complices.
Le couvert était mis sur la table recouverte d’une toile cirée à carreaux rouges, le feu dansait dans l’âtre, une bonne fumée odorante sortait de la soupière ; on se sentait en sécurité dans la maisonnette ; cependant, Jeanne semblait préoccupée.
* * *
Deux coups énergiques retentirent à la porte.
« Qui vient à cette heure ? » s’écria Jeanne.
« Peut-être est-ce Suzy », dit Pierre avec des yeux malicieux.
La porte s’ouvrit et Georges Dubuis apparut sur le seuil.
Jeanne se retourna, confuse et rougissante :
« Vous, Georges !
— Bonsoir, Jeanne !
— Mais, voyons, Georges, pourquoi revenir : je vous ai déjà, dit que c’était impossible.
— Oui, mais ce soir, ce n’est plus pareil : on est venu me demander ma main pour vous !!!
— Vous plaisantez, Georges ; on ne demande pas la main d’un jeune homme… et je n’ai envoyé personne ! »
Solange s’accrocha au bras de sa sœur.
« Écoute, Jeanne, je vais t’expliquer. J’ai deviné que tu voulais te sacrifier pour nous et, avec Pierre, nous avons tout expliqué à Georges. Nous voulons qu’il soit notre frère. Madame Dubuis est dans le secret, elle a promis qu’elle s’occuperait de nous quand tu serais trop occupée pour le faire. Tu vois, c’est simple !
— J’en connais une qui sera bien ennuyée, s’écria. Pierre. C’est Suzy : elle t’avait préparé un si joli bonnet pour demain !!!
X.
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