Le beau rêve de Jeanne

Auteur : Christiane | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

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Faire son devoir d'état, comme Sainte Jeanne d'Arc - Enluminure Quenouille et FilageGene­viève, sa que­nouille tenue non­cha­lam­ment, lais­sait errer son regard par delà la grande plaine de Cham­pagne qui s’é­ten­dait au pied du châ­teau. Dieu, que c’é­tait donc ennuyeux de filer ain­si tout le jour tan­dis que les armées livraient bataille à l’en­ne­mi ! Un gros sou­pir, lourd de tous ses dési­rs, s’ex­ha­la des lèvres de Geneviève.

« Ah ! si je connais­sais Jeanne, j’i­rais la trou­ver et lui deman­de­rais de me prendre avec elle. »

Cette réflexion, pro­non­cée à voix haute, atti­ra sur la fillette, presque une jeune fille déjà, les regards de dame Eloïse, sa mère, qui, en face d’elle, était occu­pée à une bro­de­rie d’autel.

« Que feriez-vous à guer­royer avec les gens d’armes ? Vous ne savez pas mon­ter à che­val et le pre­mier bou­let vous ferait pous­ser de tels cris d’ef­froi que vous ne sau­riez res­ter dans la bataille. »

D’un geste orgueilleux, Gene­viève a rele­vé la tête :

« Pour­quoi alors Jeanne y reste-t-elle ?

— Jeanne, mon enfant, fut man­dée par Dieu pour déli­vrer le royaume.

— Eh bien ! pour­quoi ne le serais-je pas aussi ? »

Pour­quoi pas moi ? Voi­là ce qui reve­nait sans cesse à l’es­prit de Gene­viève ; et s’obs­ti­nant dans son rêve orgueilleux, elle for­mait des pro­jets insen­sés, n’é­cou­tant pas les sages conseils que dame Eloïse, ali­gnant ses points de bro­de­rie, lui prodiguait.

* * *

Histoire de Jeanne d'Arc - Jeanne d'Arc et le roi Charles VII à Reims

Dans la ville pavoi­sée, il y a grande ani­ma­tion : d’im­menses tapis recouvrent les dalles de la cathé­drale, les portes sont ten­dues de velours écar­late, cha­cun s’af­faire, pavoi­sant sa demeure pour faire digne accueil au Roi et à Jeanne, car

c’est demain que la bonne ville de Reims reçoit le sou­ve­rain et la Pucelle ; c’est demain, dans la grande cathé­drale, que le Roi sera cou­ron­né. Gene­viève bout d’im­pa­tience ; anxieuse, elle scrute la route et répète à Yolande, sa blonde amie :

« Il faut que je vois Jeanne, elle doit pas­ser par ici ce soir, je veux l’ai­der à sau­ver le royaume.

— Ne fais-tu donc aucun cas de ce que ta noble mère te disait hier encore, ma pauvre Gene­viève ; tu peux tout aus­si bien sau­ver notre France en étant une femme filant la laine et le lin.

— La laine et le lin n’ont jamais fait recu­ler l’en­ne­mi… Oh ! tiens ! regarde ; voi­là Jeanne qui s’a­vance sur son grand che­val blanc ; vois son ori­flamme qui claque dans le vent et dont les lettres d’or rutilent au soleil.

Jeanne d'Arc et son étendard dans la bataille par Leneveu— Il a dû être dans bien des batailles. Vois, Gene­viève, là, de ce côté, la soie bleue est déchi­rée et les lettres d’or en sont toutes effi­lo­chées. Si j’osais…

— Si tu osais ?

— Je le lui raccommoderais ! »

Un éclat de rire moqueur salua l’i­dée de Yolande.

« Mais, ma pauvre petite, tu n’y connais rien du tout, c’est bien mieux ain­si ; il n’en est que plus glorieux.

— Peut-être ! mais le sacre de demain ? »

Yolande n’a­che­va pas sa phrase, Jeanne arri­vait devant les deux amies et des­cen­dait de che­val. Gene­viève déjà s’é­tait pré­ci­pi­tée à sa ren­contre tan­dis que Yolande, rou­gis­sante de joie, ployait le genou devant la Pucelle qui gen­ti­ment lui ten­dit les mains. Gene­viève pour­tant, impa­tiente, ne put gar­der son désir plus longtemps :

« Jeanne, vous que dans toute la ville on a sur­nom­mée la Vaillante, vou­lez-vous de moi pour com­battre à vos côtés ? Je vou­drais tant vous aider à sau­ver le royaume. »

Alors, le regard de Jeanne se posa, sou­dain sévère, sur Geneviève :

« Soyez active ména­gère, bonne pour les orphe­lins, cha­ri­table aux pauvres ; appre­nez à filer la laine et le lin, à repri­ser les hauts-de-chausses. C’est ain­si que vous pour­rez m’ai­der. Tenez — ache­va Jeanne avec un beau sou­rire — voyez mon ori­flamme, un coup d’é­pée en a déchi­ré la soie ; vou­lez-vous m’y faire la répa­ra­tion néces­saire ! Si vous savez mettre tout votre cœur dans les quelques points que vous ferez, avec lui vous serez à la gloire demain, comme il a été et sera encore dans bien des combats. »

Gene­viève sen­tit le rouge enva­hir son front, tan­dis qu’elle avouait son igno­rance, jetant un regard sup­pliant vers Yolande. Alors la bonne fillette s’a­van­ça, avec un res­pect reli­gieux se sai­sit du pré­cieux ori­flamme, et à la suite de Jeanne péné­tra dans le château.

Etendard de Sainte Jeanne d'Arc que les fillettes vont raccomoder

Et quelques ins­tants plus tard, on pou­vait voir dans l’embrasure de la petite fenêtre une tête blonde pen­chée sur la soie bleue, répa­rant avec amour les lettres d’or : « Jhé­sus-Maria », tan­dis que Jeanne confiait à Gene­viève l’ardent désir qui enva­his­sait son cœur et qu’elle comp­tait bien réa­li­ser quand sa mis­sion serait ter­mi­née : s’en retour­ner filer la laine en gar­dant les mou­tons dans son petit vil­lage de Domrémy.

Gene­viève jamais n’ou­blia la confi­dence de Jeanne la Guer­rière, et chaque jour vit désor­mais la petite châ­te­laine de Cham­pagne s’ap­pli­quer de son mieux à ser­vir Dieu et la France, en accom­plis­sant avec amour sa tâche de tous les jours.

Chris­tiane.

Vie de Sainte Jeanne d'Arc pour les enfants - Sacre du roi Charles VII à Reims

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