L’avalanche

| Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 4 minutes

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Onze gars du vil­lage de Rivouard, blot­ti au fond de la val­lée, sont par­tis avec leur vicaire par une belle soi­rée de décembre pour esca­la­der la Roche Brune. C’est la courte ascen­sion clas­sique des débu­tants et, mal­gré le petit vent nord-est qui sou­lève par­fois la neige dans un impal­pable pou­droie­ment argen­té, ils ont atteint avant la nuit le refuge de La Pla­cette situé à 2.000 mètres.

A la lueur cli­gno­tante des bou­gies, on s’ins­talle par­mi les rires et les chan­sons. Mais chut ! il faut dor­mir bien vite afin d’être en forme pour l’es­ca­lade du lendemain.

Au réveil, Mon­sieur le Vicaire a déjà pré­pa­ré son autel por­ta­tif sur l’u­nique table du refuge. Dehors, le ciel est tou­jours clair, et la tem­pé­ra­ture s’est même radou­cie. Un peu de gym­nas­tique pour éprou­ver les muscles… quelques bonnes blagues… et les gars ayant sor­ti des sacs leurs mis­sels, se groupent autour du prêtre qui a revê­tu les orne­ments sacerdotaux.

La com­mence ; voi­ci l’É­van­gile, l’Of­fer­toire. Dans quelques ins­tants, l’Hos­tie consa­crée rayon­ne­ra dans le refuge. C’est alors que se pro­dui­sit l’im­pré­vi­sible. Un gron­de­ment, d’a­bord loin­tain et sourd, mais qui s’am­pli­fie comme un ton­nerre, fit brus­que­ment lever toutes les têtes. Pas un cri, pas une parole, mais une pen­sée com­mune vient de jaillir : l’avalanche !

Le prêtre, pen­ché sur l’humble table de bois blanc, vient d’ar­ti­cu­ler les mots de la Consé­cra­tion quand l’é­norme masse de neige, de glace et de pierre est sur eux. Les murs résonnent sous les chocs mul­tiples, le refuge gémit de toute sa char­pente et, dans un cla­que­ment sec, quelques solives craquent, ris­quant d’en­traî­ner l’ef­fon­dre­ment de la toi­ture entière.

Les gars ont com­pris : sans même se consul­ter, ils esca­ladent les cou­chettes et sou­tiennent de leurs épaules les solives rompues.

Ils sont là onze, tous muscles ten­dus dans un effort puis­sant car le poids de la char­pente pèse main­te­nant sur eux. Le Christ, docile à la voix de son prêtre, est par­mi eux, fra­gile et sans défense, comme dans l’é­table de Beth­léem, s’a­ban­don­nant à la pro­tec­tion de ses frères mon­ta­gnards. Il n’est qu’un peu de pain, quelques gouttes de vin, que la toi­ture en s’ef­fon­drant peut écra­ser et ense­ve­lir à jamais sous la neige.

Et les bras se tendent, les dos se voûtent, refu­sant de fléchir…

Ils sont là onze, ne pen­sant même plus au dan­ger qu’ils courent eux-mêmes ; il ne faut pas que le Christ de la Messe soit ense­ve­li ; il faut tenir, jus­qu’à l’Ite Mis­sa est, tout proche, jus­qu’à la béné­dic­tion que le prêtre leur don­ne­ra comme un merci.

Ils sont là onze, autour de la table du refuge, comme au jour de la pre­mière Cène. Onze gars qui peinent, qui suent mal­gré le froid, pour que jus­qu’au bout la Messe soit dite !

La Cène

Quand l’un d’eux, épui­sé, doit bais­ser ses bras engour­dis, les autres poussent plus fort : c’est leur sacri­fice com­mun qu’ils offrent au ciel.

Le prêtre a ran­gé le calice, et rapi­de­ment s’est dépouillé de ses orne­ments sacer­do­taux. Au-des­sus des pri­son­niers de la neige, c’est main­te­nant le grand calme qui suit les désastres.

« Tenez bon, les gars ! Je vais essayer de déblo­quer la porte. »

Ce ne fut pas une petite affaire, mais avec sa pelle por­ta­tive, sou­tane retrous­sée, le vicaire mon­ta­gnard a vite creu­sé une che­mi­née en pente qui, en le condui­sant au grand jour, écarte le dan­ger d’é­touf­fe­ment. Avec le bois des cou­chettes il ne reste plus qu’à étayer pro­vi­soi­re­ment la char­pente afin de per­mettre une sor­tie sans danger.

Dehors le soleil brille !

« Cette fois les gars, vous avez bien ser­vi la messe… Je crois que le Bon Dieu est content !

— Et nous donc ! »

Enfants de choeur, par Gallegos Xixe

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