Chapitre XVII
Ainsi va la vie !
Brigitte est partie. Sa mort, si paisible, si douce, a laissé une empreinte qui ne s’effacera plus, ni dans l’âme de Bernard, ni dans celle d’André. Le pauvre petit, surtout, ne peut oublier qu’il a causé, indirectement et bien involontairement, cette mort, et, désormais, il entre dans la voie droite, avec l’intention très nette de ne plus en sortir. M. le curé et Yvon reçoivent à ce sujet des confidences qui doivent réjouir Brigitte au Ciel.
Puis le temps passe, et sur la tristesse des souvenirs, la joie filtre de nouveau, comme un rayon de soleil, au printemps, court sur les neiges d’hiver. L’Ordination approche.
Les garçons et leur bataillon lavent, frottent, astiquent les dalles, les bancs, les stalles de l’église ; on fait un trône pour Monseigneur l’évêque. Les ainés préparent une cavalcade. Tous les chevaux seront réquisitionnés, les vélos aussi. On se prépare à tresser les crinières, à orner les selles ; on fait des flots de rubans pour les brides, et des fleurs de papier pour les guidons.
Jean-Louis organise un groupe de gardes-chasse et de piqueurs, qui prendront la tête du mouvement et feront un concert de fanfares.
Colette, Annie, toutes les petites filles ajoutent des mètres et des mètres aux guirlandes de buis et même de houx, sans souci des piqûres. Légères, les guirlandes devront courir d’un toit à l’autre, car toute la paroisse est en émoi, et les gros pots de géranium ou d’amaryllis s’ornent de magnifiques cache-pots dorés, qui feront ressortir leurs touffes écarlates, au bord des fenêtres des plus humbles demeures.
Un peu avant de commencer la retraite qui le sépare des fêtes du Sacerdoce, Yvon, un soir, a appelé les enfants.
Sur l’herbe, petit Pierre s’assied à ses pieds ; tout autour, Annie, Colette, André, Nono forment un cercle et se demandent intérieurement :
— Pourquoi cette réunion ?
Yvon devine l’interrogation silencieuse et répond :
— Il ne faudrait pas que vous assistiez à ma première Messe sans vous y unir avec une ferveur spéciale. Voulez-vous que nous nous y préparions ensemble, de notre mieux ?
Petit Pierre, qui, de son côté, compte les jours qui le séparent de sa première Communion, dit :
— Oh oui ! Dis-nous de belles choses, Yvon, des choses qui fassent chaud dans le cœur, tu comprends ?
— Oui je comprends ! Seulement, voyez-vous, il nous faut, d’abord, entrer dans quelques explications. Je vous rappelle que la Messe, qui renouvelle le sacrifice de la Croix et offre à Dieu la gloire la plus grande qui soit, occupe le centre de ce que nous appelons l’Office divin, autrement dit, la prière officielle de l’Église.
— Je sais ça très bien, dit Colette. M. le Curé me l’a expliqué tout du long. Les heures du jour sont divisées de manière à ce que la prière récitée par les prêtres selon leur bréviaire, ou bien chantée par les chanoines dans les cathédrales, et les religieux dans les monastères, soit une louange perpétuelle qui monte vers le Bon Dieu, et au milieu se place, dominant tout, la Messe.
— À la bonne heure, Colette. Ai-je besoin d’ajouter que le Saint Sacrifice se célèbre entouré de cérémonies liturgiques, qui varient un peu, selon que c’est une Messe basse, une Messe chantée, ou une Messe solennelle ?
Annie dit :
— Quand il célèbre une Messe basse, le prêtre en effet parle bas, et puis, il est seul à l’autel avec un enfant de chœur ou un servant de Messe, et on allume seulement deux cierges.
— Très bien. Le Saint Sacrifice est alors célébré avec une grande simplicité. De ce fait, il ne dure pas plus d’une demi-heure et ainsi les personnes pieuses, même les plus occupées, peuvent y assister tous les jours, s’y unir et y participer en recevant la sainte Communion.
La Messe basse est donc celle que l’on célèbre ordinairement. La Messe chantée ou Grand’messe, « comporte des chants alternés entre le prêtre, les chantres et les fidèles » et elle prend le nom de Messe solennelle, lorsque le prêtre officie, non plus seul, mais aidé du diacre et du sous-diacre. Elle est entourée de cérémonies liturgiques imposantes. Il y a six cierges allumés à l’autel ; les chants sont particulièrement soignés, les enfants de chœur nombreux. Certains, qui ont appris à très bien chanter, forment la maitrise. Plusieurs sont particulièrement désignés pour porter les flambeaux et l’encensoir.
André interrompt :
— Oh ! monsieur l’abbé, l’encensoir, ne m’en parlez pas ! Je l’ai déjà renversé deux fois, et sur le tapis encore ! Fallait voir les yeux de M. le Curé !
— C’est que tu n’as pas attrapé le coup, mon pauvre gars ! Je vais te faire travailler ça, pour que tu sois à hauteur le cas échéant.
— Mais, dit Nono, à quoi ça sert, l’encens ?
— L’encens est une résine aromatique. Brûlé devant Dieu, il signifie d’abord l’adoration, l’anéantissement de toute créature et aussi la prière qui s’élève, elle une fumée légère, jusqu’à Dieu, enfin la grâce que Dieu répand dans l’âme comme une suave odeur.
— Tout ça ! Ça veut dire tout ça ?
— Mais oui, chaque détail liturgique a un sens profond. Je n’ai jamais pu regarder monter la fumée de l’encens dans une vieille église, ou mieux encore dans une antique cathédrale, sans songer à ces milliers de prières qui se sont élevées ainsi, entre les voûtes, depuis des siècles, à la louange et jusqu’au trône de Dieu.
— Tu n’apprendras pas qu’à André, réclame petit Pierre. Dis, Yvon, Nono et moi, on encensera aussi ?
— Pas tous le même jour, en tous cas. Il n’y a habituellement qu’un thuriféraire pour manier l’encensoir. Pour l’instant, revenons à la Grand’messe. Elle est précédée de l’aspersion.
— L’aspersion, « M’sieu » l’abbé, c’est quand on jette de l’eau bénite sur les gens ?
Yvon rit.
— Pas tout à fait mon petit Nono ! En réalité, le prêtre met de l’eau bénite dans un objet percé de petits trous et appelé goupillon, à l’aide duquel il « asperge » de quelques gouttes d’eau bénite les fidèles présents à l’église. L’eau bénite, pieusement reçue, quand on a le regret de ses fautes, efface les péchés véniels : les chants qui accompagnent cette cérémonie indiquent qu’elle est, en effet, comme une purification préparatoire au Saint Sacrifice.
— Alors, dit André, logique, pourquoi qu’il y a presque personne à l’église au moment de l’aspersion ?
— Parce que même les meilleures d’entre nous ont bien peu de Foi, et que, voyez-vous, mes petits, nous perdons des trésors de grâces faute de vouloir tendre les mains pour les recevoir.
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