Bing ! Bang ! Ding ! Dong ! Alléluia !
Aube de Pâques, matin joyeux ! Françoise s’éveille vite, vite. Elle est en vacances chez grand-mère, et n’a nulle envie de traîner au lit comme les jours où on l’appelle pour l’école.
Bing ! Bang ! Ding ! Dong !…
Déjà les cloches ont ralenti. Françoise en hâte fait sa toilette. Comme il fait beau ! Comme il fait gai !
La petite fille en gambadant court vers le vieux clocher.
Trop tard, hélas ! le vieux Xavier s’en va. L’oncle Xavier, le vieux sonneur, c’est le parrain de Françoise, et c’est le frère de grand-mère.
« Joyeuses Pâques ! crie la fillette, en sautant au cou du sonneur. Joyeuses Pâques, oncle Xavier. Vous m’avez réveillée en joie. Mais c’est dommage, j’arrive trop tard,
— Tu me verras pour la grand-messe. Il est très tôt, tu as bien le temps.
— Oncle Xavier, vous ne voulez pas me laisser monter dans le vieux clocher ? Je voudrais voir les belles cloches. »
Oncle Xavier hésite un brin, mais il ne sait rien refuser à sa filleule.
« Fais bien attention, petite, sois prudente. »
Puis, il sourit dans sa barbe. C’est tout son amour, ce clocher, et cela lui fait grand plaisir que sa Francette partage cet amour.
L’air est ébranlé encore par les vibrations des cloches, et Françoise, en tendant l’oreille, croit saisir ce qu’elles murmurent :
« Bonjour, petite ! Te voilà revenue, loin de la ville, Bonjour Francette ! C’est la Fanchon, la Francinette, c’est la Françoise que nous aimons. »
Les cloches emploient tous les doux noms que lui donne sa grand-mère quand elle la tient sur ses genoux.
« Vous me connaissez ? dit Françoise. Et comment savez-vous mon nom ?
— Nous, les premières, l’avons su. Qui donc a sonné gaiement le carillon de ton baptême ? L’oncle Xavier tirait la corde, avec ton grand cousin René. Mais c’était nous qui chantions, et c’était nous qui le clamions au loin, très loin : Venez, venez ! grande nouvelle ! Soyez heureux, bonnes gens, car voici une petite chrétienne. Et saint François est son patron. Toute la famille est en fête ! Et non seulement Papa, Maman, les oncles et les grands-parents, les voisins et tous les amis… Mais aussi les morts du cimetière, le grand-père de ta grand-mère et les vieux oncles, les vieilles tantes pour qui nous avions sonné jadis, ils entendaient du paradis.
Bonjour, Fanchon, ma Francinette, viens près de nous. Tu peux toucher, si tu le veux, ma lourde robe de bronze. »
Françoise regarde la plus grosse cloche, celle qui est en dessous des autres.
« Oh ! mais il y a des choses écrites sur votre robe !
— Lis, c’est mon nom. Et puis celui de mon parrain. Car nous aussi, les cloches, on nous baptise quand nous naissons pour que notre voix soit chrétienne. C’est une belle cérémonie. On nous habille de dentelles blanches, et c’est grande fête au pays. Les dragées sont distribuées à tous. Vois-tu mon nom ?
— Je lis : Claude-Espérance, et puis : Claude Bérin. Bérin ? Pourquoi Bérin ? C’est le nom de l’oncle Xavier ?
— Mon parrain ce fut Claude Bérin, le grand-père de l’oncle Xavier, le grand-père de ta grand-mère. En son honneur je m’appelle Claude. Tu vois si je te connais de longue date ?
— Pourquoi l’a-t-on choisi, le grand-père de grand-maman ?
— Quand je naquis, reprit la cloche, c’était grande peine au pays. Une guerre venait de finir. Les Prussiens avaient passé là. La France avait perdu deux provinces. Il y avait une nouvelle frontière, et tous les clochers que tu vois, par là-bas, ce n’était plus la France. Les gens d’ici avaient eu très peur que ce sort ne leur arrivât. Et c’est en reconnaissance que le grand-père de ta grand-mère demanda à tout le village de donner une cloche à l’église. Toutes les familles du pays ont voulu y contribuer. Et je suis née vraiment grâce à leurs efforts à tous. Je suis l’enfant de ce village, comme l’étaient tous tes ancêtres.
— Que cela me plait ! » dit Françoise.
« Et pour que ma voix soit un message de bonheur pour les gens des villages là-bas, on me nomma Claude-Espérance.
La grosse voix qui sonne au loin, c’est elle surtout qui s’entend lorsqu’on porte un chrétien en terre. Pour les gens du pays qui pleurent, je dis gravement : Espérance ».
Françoise grimpe encore quelques marches. La voici près d’une autre cloche. C’est la Benoîte, celle-ci, la plus vieille du clocher. L’oncle Xavier le dit souvent. Et Françoise lit l’inscription. Tiens, du latin : Benedicite Domino.
« Pourquoi t’appelle-t-on la Benoîte ?
— C’est que j’étais là du temps des moines qui ont fondé ton village, les moines de saint Benoît. Je sonnais bien plus souvent qu’aujourd’hui. Le jour, la nuit, à vêpres, à matines, je les appelais à la prière. Et au travail, et aux repas, je leur chantais : Bénissez Dieu. Comme ils ont prié, les moines, et peiné sur ce coin de terre ! Maintenant qu’ils sont devenus des saints dans le Paradis, lorsque je sonne et carillonne, ils reconnaissent la Benoîte, et prient Dieu pour tout le pays. Et lorsque l’on fête une noce, ils envoient des bénédictions sur le foyer de ceux qui vont comme eux travailler au village, qui vont y servir dans l’amour.
— Et toi, la plus petite, je voudrais savoir ton histoire ?
— Je suis née au temps où là-bas, au vieux château de la Ferrière, vivait un noble et bon seigneur. Il avait quatre petites filles ; un beau jour, enfin, lui naquit un fils, l’héritier du nom, de la race et de toutes les belles traditions d’honneur et de bonté des seigneurs de la Ferrière. Hélas ! le bambin, sitôt né, sembla bien faible, bien malade. Et soudain la sage-femme cria : Notre-Dame ! je crois qu’il est mort ! Tu imagines le chagrin du comte et de son épouse. Mais ce qui surtout les désolait, c’était que l’enfant fût mort sans avoir été baptisé. Les quatre petites filles entendirent leur maman sangloter si fort, si fort. Yolande, l’aînée, avait compris. Elle saisit ses sœurs par la main, et toutes coururent vers la chapelle du château : Mon Dieu, ce n’est pas possible que le petit frère ne soit pas dans le même Paradis que nous ! Elles prièrent avec une telle ferveur, si fort, si fort, les petites filles ; comme elles n’avaient jamais prié, même Geneviève qui n’avait que trois ans. Le Bon Dieu eut pitié d’elles. Soudain, le bébé reprit souffle. Alors, le comte de la Ferrière fit fondre, en gage de reconnaissance, une cloche d’argent. Je suis cette cloche-là, et je tinte clair, comme aucune. Et depuis ce temps, au village, je sonne pour tous les baptêmes. Et mon nom, c’est Marie-Liesse, ce qui veut dire : Marie-Joie. »
Françoise comprend maintenant pourquoi aucun baptême du monde ne lui semble aussi joyeux que ceux de son petit village.
Ce doit être pour cela, lorsque sont nés les petits frères, que sa maman à toujours voulu quitter la ville où l’on habite et revenir près du clocher.
« Allons, Françoise, encore là-haut ? Il faut descendre, crie parrain. Tu les aimes donc tant, les cloches, pour rester aussi longtemps près d’elles ?
— Je viens, je viens », crie la fillette.
Le carillon se met en branle. Que c’est joli ! que c’est joyeux ! Le cœur de Françoise saute aussi fort que les trois cloches. Comme elles savent bien se répondre, s’entremêler, chanter, sonner !
Elles carillonnent à toute volée. Comme elles vous mettent le cœur en fête, la Marie-Liesse et la Benoîte, et Claude-Espérance, la grave !
Bing ! Bang ! Ding ! Dong !
« Bénissez Dieu », dit la Benoîte.
« Jésus est ressuscité, c’est la grande espérance ! » dit celle de l’arrière-arrière-grand-père, celle qu’a voulue tout le village.
« Qu’on est heureux ! Qu’on est heureux ! » dit Marie-Liesse, à perdre haleine.
Et tous les gens, la mine en fête, entrent à la grand-messe et se font des sourires.
Bing ! Bang ! Ding ! Dong !
Entendez-vous la voix des cloches ?
Amédée.
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