Chapitre XXI
C’est demain l’Ordination, après-demain la première Messe d’Yvon et la première Communion de petit Pierre. Le grand cousin est en retraite depuis huit jours, et le benjamin est en retraite aussi. Parfaitement, trois grandes journées de recueillement, entre maman et M. le Curé.
Ce soir, petit Pierre vient de rentrer. Il monte trouver sa mère qui, par bonheur, est toute seule dans sa chambre.
Comme lorsqu’il était « petit », Pierrot grimpe sur ses genoux, et maman devine sans peine que c’est l’heure des confidences.
— Qu’as-tu à me raconter, mon chéri ?
— Je voudrais que ce soit vous, ma maman à moi, qui me disiez les choses que je ne sais pas encore bien.
— Lesquelles ?
— On n’a jamais fini de m’expliquer toute la Messe, parce que les grands sont retournés sans moi à la cure… et puis Yvon a disparu,… et moi, comprenez-vous, je serais content de me préparer à communier comme fera Yvon. Je recevrai Jésus pour la première fois, et lui, pour la première fois, il Le tiendra dans ses mains, avant de Le prendre dans son cœur.
Il lui dira sûrement des mots très jolis, et je voudrais dire les mêmes.
— Rien de plus simple, mon chéri. Prends ton paroissien. Nous allons y trouver ce que tu cherches.
— Mon paroissien ?
— Mais oui. Tu n’as certainement pas songé à ceci : Yvon n’aura d’autre préparation à sa communion que celle qui est contenue dans les prières mêmes de la Messe, car la Communion fait partie du Saint Sacrifice.
Te souviens-tu, à la Cène, quand, le soir du Jeudi Saint, Jésus institua l’Eucharistie ?
— Je sais, maman, et même très bien. M. le Curé a expliqué que le prêtre fait comme Jésus, tout pareil à Lui, pour consacrer le pain et le vin.
— Oui, mais Jésus a dit, ce jour-là non seulement : « Ceci est mon Corps », « Ceci est mon sang », mais encore : « Prenez et mangez-en tous », « Prenez et buvez-en tous. »
Donc, pour accomplir tout ce que Jésus veut, il ne suffit pas de l’adorer présent dans l’Hostie et le Calice, il faut encore communier et le recevoir dans notre cœur.
— Alors, pour que ce soit tout à fait bien, il faut communier toujours quand on va à la Messe ?
— Certainement, quand on mène une vie chrétienne et qu’on est dans les dispositions requises. Tu es encore bien petit, et pourtant je serais si contente si je pouvais te faire comprendre ceci comme à un grand :
La Messe forme un tout. Jésus, Notre-Seigneur, le prêtre et les fidèles, y sont merveilleusement unis, et alors tâche de saisir : Dieu le Père accueille favorablement le sacrifice de son Fils Bien-Aimé, que lui offrent ensemble le prêtre et les fidèles, et auquel ils se sont associés en « s’offrant avec Lui », « par Lui ». Alors Dieu, à cause de Jésus, pardonne les péchés de ceux qui se sont ainsi unis à Jésus. Il veut les combler de grâces. La Communion, c’est le plus grand des dons, c’est aussi l’union la plus complète, la plus absolue, avec Jésus, et c’est le gage de notre union éternelle avec Lui au Ciel.
— Je crois que j’ai compris, maman : La Messe, c’est Jésus offert, nous dans Jésus, et ensuite Jésus dans nous.
— Tout à fait. Et, pour se préparer immédiatement à cette communion, prêtres et fidèles récitent le Pater.
— Mais je le dis dans ma prière et aussi dans mon chapelet. C’est pas une préparation.
— Comme tu te trompes !
Récite avec moi : Notre Père qui êtes au Cieux. Crois-tu qu’il y ait quelqu’un qui puisse mieux disposer notre cœur que Notre Père du Ciel ?
Et puis, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite… c’est souhaiter au Bon Dieu ce qui lui fait le plus de plaisir : sa gloire, la sanctification des âmes, pour qu’elles le servent bien et l’aiment plus encore. Est-ce que le Bon Dieu ne sera pas touché que nous désirions cela, et alors il se penchera sur nous pour nous accorder ce que nous demandons ensuite. Notre pain quotidien, est-ce que ce n’est pas Jésus, le Pain du Ciel ?
Pardonnez-nous, comme nous pardonnons. C’est le moment d’oublier toutes nos petites idées méchantes, toutes nos petites rancunes, et alors le Bon Dieu, de son côté, ne se souviendra plus de nos fautes et de nos misères ; Qu’il ne nous laisse pas succomber à la tentation, c’est-à-dire qu’il nous aide à être fort pour que nous ne trébuchions pas.
— Et puis après ?
— Tu regarderas bien Yvon.
Tu verras. Il fera avec la patène une grand signe de Croix, puis il la glissera sous la Sainte Hostie, qu’il adorera en faisant une grande génuflexion. Au fond de ton cœur, tu adoreras aussi.
Yvon alors divisera la Sainte Hostie par le milieu, en souvenir de Notre-Seigneur, qui rompit le pain pour le distribuer à ses Apôtres ; en souvenir aussi de la mort de Notre-Seigneur. Il en détachera une parcelle. Tu sais que Jésus demeure dans chaque partie de l’Hostie, même après qu’elle a été rompue ?
— Bien sûr.
— Cette parcelle sera déposée dans le calice et mélangée au Précieux Sang, et, cette fois, ce sera le symbole de la Résurrection de Jésus.
Pendant qu’il accomplit ces gestes, Yvon dira : « Que la paix du Seigneur soit avec vous. » L’enfant de chœur répondra et nous avec lui : « Et avec votre esprit. »
La paix ! Crois-tu qu’un cœur paisible, que rien ne trouble, qui ressemble à une belle eau limpide et claire, ne plaira pas à Jésus, quand il y descendra ?
Petit Pierre soupire. Tout cela est si simple qu’il peut à peine y croire.
— Alors y faut pas dire des grandes, grandes prières ?
— Mais non, mon chéri. Ce n’est pas leur longueur qui fait leur beauté.
Tu entendras Yvon répéter trois fois : Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous…, donnez-nous la paix.
C’est bien court, et pourtant que veux-tu de plus beau ?
L’Agneau de Dieu, c’est Jésus, à qui nous demandons d’avoir pitié de nos misères, de purifier notre cœur, de nous donner la paix.
Et puis les oraisons se succèdent ; il y en a deux qui résument tout : car elles nous demandent de faire un acte de Foi, puisqu’elles commencent par « Seigneur Jésus Fils de Dieu vivant » ; … un acte d’espérance et de confiance, puisque nous disons : « délivrez-moi par votre Corps et votre Sang de toutes mes iniquités et de tous mes maux, faites que je m’attache toujours à vos commandements et ne permettez pas que rien puisse jamais me séparer de vous ; » un acte d’humilité, car nous répétons trois fois avec Yvon, en nous frappant la poitrine la belle prière du Centurion : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous veniez en moi, mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie, » ce qui signifie : Je suis bien misérable, mais vous êtes tout-puissant. Rendez mon âme belle et pure, et puis venez.
— Et c’est maintenant qu’Il viendra ?
— Oui, mon petit homme.
Yvon d’abord fera de sa main droite avec la Sainte Hostie le signe de la Croix, puis il la consommera, après avoir dit : Que le Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ garde mon âme pour la vie éternelle. » Il demeurera un instant plongé dans son adoration et sa reconnaissance. Alors, avec grand soin, il passera la patène sur le corporal, pour recueillir les parcelles de la Sainte Hostie qui peuvent s’y trouver. Il les fera respectueusement glisser dans le calice et répétera : « Que le Sang de Jésus-Christ garde mon âme pour la vie éternelle. » Encore un nouveau signe de Croix avec le calice, puis il boira le Précieux Sang.
Et nous nous avancerons vers la sainte Table. Tu seras à genoux entre ton papa et moi. Ensemble nous réciterons une nouvelle fois notre Confiteor, pour demander encore pardon au Bon Dieu de toutes nos fautes, et nous verrons Yvon se tourner vers nous, après avoir ouvert le tabernacle et sorti le Saint Ciboire.
— Oh ! maman, il tiendra pour la première fois la Sainte Hostie avant de nous la donner. Dites, il sera encore plus content que nous ?
— Sûrement, mon chéri. Et songe à tante Jeanne, la maman d’Yvon… Ce que peut sentir une maman ce jour-là !
— Oui, mais il n’y aura pas de papa.
— Pas de papa ! A quoi penses-tu ? Mais il sera là, bien sûr, bénissant Dieu avec les saints du Ciel ; seulement nous ne le verrons pas.
— C’est vrai. Alors Yvon, qui sait ça mieux que nous, sera heureux tout de même.
— Le grand bonheur d’Yvon, ce qui pour lui dépasse tout, c’est la grâce de son sacerdoce, cette grâce de dire la Messe, d’administrer les sacrements, de distribuer la sainte Communion.
Mais, avant de déposer Jésus sur nos lèvres, il dira encore : « Que le Dieu Tout-Puissant vous fasse miséricorde et qu’après vous avoir pardonné vos péchés, il vous conduise à la vie éternelle. » Et nous répondrons : « Ainsi soit-il. » C’est alors que, levant la Sainte Hostie au-dessus du ciboire, Yvon prononcera les paroles que tu connais bien : « Ecce Agnus Dei, Voici l’Agneau de Dieu »… et nous répéterons, comme il le faisait tout à l’heure, en se frappant la poitrine : « Seigneur, je ne suis pas digne »…
— C’est long d’attendre !… On voudrait que Jésus soit déjà venu.
— Encore deux jours, mon chéri. Yvon s’avancera vers tante Jeanne. C’est à elle qu’il donnera Jésus d’abord, car il n’oublie pas que, la première, elle lui a appris à aimer le Bon Dieu. Et ce sera notre tour. Nous entendrons Yvon répéter à chacun de nous : « Que le Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ garde ton âme pour la vie éternelle » et, en retournant à ta place les yeux baissés et les bras croisés, tu rediras à Jésus cette prière : Oh, oui, gardez-moi bien à Vous, toujours, rien qu’à Vous, jusqu’à la vie éternelle.
Tandis que tu répéteras au Bon Dieu que tu l’aimes plus que tout, que tu veux lui faire plaisir toujours, tandis que tu le remercieras de tout cœur… Yvon terminera sa Messe.
Jean et Bernard, qui lui serviront d’enfants de chœur, verseront dans le calice un peu de vin, qu’il consommera.
— Mais il ne communie pas encore ?
— Bien sûr que non. Réfléchis. Ce vin-là n’est pas consacré. Il est versé dans le calice pour le purifier,… éviter qu’il y demeure une goutte du Précieux Sang.
Tu verras Yvon, les doigts posés au-dessus du calice, retourner à gauche de l’autel, pour que ton frère lui verse un peu d’eau et de vin sur les doigts.
— C’est aussi pour les purifier, maman, alors ?…
— Parfaitement. Yvon boira de nouveau le contenu du calice. Il s’essuiera les lèvres et ensuite il essuiera le calice avec le purificatoire.
Ces gestes s’appellent les Ablutions.
En les accomplissant, le prêtre remercie Dieu par ces paroles si connues et si belles, et quelques autres encore presque semblables : « Faites, Seigneur, que nous conservions dans un cœur pur le sacrement que notre bouche a reçu, et que le don qui nous est fait dans le temps nous soit un remède pour l’éternité. »
Après avoir recouvert du voile les vases et les linges sacrés, Yvon dira l’antienne qui porte dans ton paroissien le nom de Communion, et une ou plusieurs oraisons appelées Postcommunion. Elles ont pour but l’action de grâce, la reconnaissance. Yvon se retournera encore.
« Le Seigneur soit avec vous. »
« Et avec votre esprit. »
« Allez… la Messe est dite. »
« Rendons grâces à Dieu. »
Comme ce sera facile, n’est-ce pas, de remercier, de rendre grâces, après de pareils dons de Dieu !
Oh ! oui, dit seulement petit Pierre convaincu.
Une dernière fois, Yvon s’inclinera au milieu de l’autel ; dans une fervente prière, il demandera que le Sacrifice qu’il a offert à la divine Majesté soit favorablement accueilli, et puis il nous bénira au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Il récitera à droite de l’autel le dernier Évangile, qui est presque toujours celui de saint Jean. L’Apôtre parle d’abord magnifiquement des grandeurs du Verbe, c’est-à-dire du Fils de Dieu, et puis rappelle comment Il est descendu en ce monde, qui était dans les ténèbres du péché, et s’est fait homme pour nous sauver. Saint Jean dit encore : « Il a habité parmi nous. » Il y habite toujours ; Il reste dans le sacrement de l’Eucharistie et, quand nous communions, Il habite dans notre cœur. Tu lui demanderas de rester avec toi toujours, n’est-ce pas ?
Et puis… ce sera fini. Yvon aura dit sa première Messe, et tu auras communié pour la première fois.
Petit Pierre passe le bras autour du cou de maman, appuie la tête sur son épaule… et reste là sans rien dire… Il pense… qu’il y a encore deux jours… avant !
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