La lampe du couvent de Santa-Maria dei Miracoli

Auteur : Glantini, M. | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Charité de Noël - Dans un couvent italienUn soir, dans les der­nières années du pon­ti­fi­cat de Pie IX, un vieux s’ap­pro­chait fur­ti­ve­ment de la porte d’un des nom­breux cou­vents de femmes qui s’é­le­vaient alors dans le dédale d’obs­cures ruelles s’en­che­vê­trant entre le Cam­po dei Fio­ri, où fut brû­lé Gior­da­no Bru­no, et la vaste place Navo­na, aimée du soleil.

C’é­tait la veille de , et dans les innom­brables églises et cha­pelles de on met­tait la der­nière main aux pré­pa­ra­tifs qui pré­cèdent la solen­ni­té de la messe de minuit.

Le vieillard cogna à plu­sieurs reprises avec le poing contre la porte de fer et recu­la aus­si­tôt comme effrayé de sa har­diesse… Il vou­lait déjà même se reti­rer, lorsque la lourde porte rou­la pesam­ment sur ses gonds et il péné­tra dans un étroit cou­loir avec une porte en face, her­mé­ti­que­ment fer­mée, qui condui­sait au par­loir, et une autre de côté, munie d’un vasis­tas, ouvrant sur la cour du .

Déjà le regard cour­rou­cé de la tou­rière lui­sait der­rière le treillis du vasis­tas. Ayant aper­çu le vieillard, la ten­dit en avant ses deux mains d’un geste qui repous­sait et cria :

– Encore vous ?… Allez-vous en, allez-vous en !.. Vous osez venir nous trou­bler pen­dant la sainte nuit de Noël ?… Reti­rez-vous de bonne grâce, Nathan…

– J’ai à par­ler à la Mère Supé­rieure… Il faut que je la voie, dit le juif avec insis­tance… Je suis venu exprès pour cela ce soir… c’est ce soir que je dois la voir… J’ai atten­du cette nuit comme la manne du ciel… Elle ne peut pas me ren­voyer ce soir. Bonne sœur Lodo­vi­ca, ayez pitié d’un pauvre vieillard…

Il tom­ba à genoux et sanglota…

Histoire pour les enfants à NoëlMais la tou­rière fer­ma le vasis­tas et der­rière la porte cria :

– Par­tez, par­tez !… Ce soir à plus forte rai­son la Mère Agnès refu­se­ra de vous rece­voir… Vous enten­dez ?… Vous voyez qu’elle est occu­pée… elle répète le chant avec les sœurs… elle se pré­pare pour la messe.

En effet, un chœur har­mo­nieux mon­tait de la cha­pelle. Nathan écou­ta avi­de­ment… Tout à coup ses yeux brillèrent de joie.

Réso­lu­ment il frap­pa au vasistas :

– Sœur tou­rière… je ne par­ti­rai pas d’i­ci sans avoir vu la Mère Supé­rieure… C’est Don Pao­lo qui m’a envoyé… Dites à la Mère Supé­rieure que je lui apporte un mes­sage de Don Paolo.

Don Pao­lo n’é­tait ni un moine, ni un prêtre, mais un très riche Romain qui avait héri­té de ses parents, des négo­ciants enri­chis, une très grande for­tune. Dès son enfance il se voua aux bonnes œuvres et les pauvres gens de Rome l’a­do­raient. On le pre­nait pour un saint, on lui obéis­sait plus volon­tiers qu’à un car­di­nal. Les hauts pré­lats ne l’ai­maient guère, mais ils n’o­saient rien entre­prendre contre lui.

Don Pao­lo aimait les hommes et il n’y avait pas dans le Ghet­to de per­sonne plus popu­laire et plus aimée que lui. Lorsque des adver­saires lui repro­chaient son ami­tié pour les enne­mis du Christ, il répon­dait que Jésus avait effa­cé du lan­gage humain le mot enne­mi.

Ses contra­dic­teurs insis­taient, conti­nuaient à inju­rier les meur­triers du fils de Marie. Don Pao­lo, de sa voix tou­jours égale et calme, répondait :

– Mais qui le pre­mier a aimé le Christ et a cru en lui ? Qui a lavé ses saintes plaies ? Qui est allé por­ter sa sainte parole dans tout l’u­ni­vers ? Vous, peut-être ? Ou peut-être vos ancêtres les Romains san­gui­naires qui détrui­saient par le feu et par le fer tout être vivant ?… Tous nos apôtres étaient des juifs !

L’as­su­rance avec laquelle Nathan avait décla­ré qu’il venait de la part de Don Pao­lo pro­dui­sit l’ef­fet atten­du. La tou­rière ouvrit avec fra­cas la porte du par­loir et dit :

– Je vais vous annon­cer à la Mère Supé­rieure, mais c’est en vain que vous venez la tourmenter.

Le petit par­loir de l’a­ris­to­cra­tique couvent était d’une aus­té­ri­té sou­riante et rap­pe­lait plu­tôt le salon d’une mai­son noble et un peu dévote. Le long des murs, des meubles capi­ton­nés, au milieu une grande car­pette, entre les fenêtres, des cru­ci­fix d’or et des por­traits de Pie IX et des car­di­naux dans de riches cadres dorés.

Le salon était éclai­ré par un grand lustre et la lampe qui brû­lait d’une flamme claire devant l’i­mage de la sainte Vierge, une œuvre d’art, acquise par l’ordre de Pie IX, qui en avait fait don au couvent de Sainte-Marie des Miracles.

Icone de Marie des miracles - récit pour la veillée de Noël

Le vieux Nathan connais­sait très bien cette salle, car plus d’une fois il y avait implo­ré l’ab­besse et ver­sé des larmes désespérées.

Il regar­da fixe­ment la porte laté­rale par où la supé­rieure devait entrer et, recro­que­villé, atten­dit patiem­ment, en remuant les lèvres comme s’il se par­lait à lui-même.

La Mère Supé­rieure ne se fit pas attendre long­temps. Elle entra émue, impo­sante sous les dra­pe­ries bleues et blanches de son ordre aris­to­cra­tique. Sa coiffe se rele­vait en dia­dème sur son front, et un grand voile de mous­se­line, retom­bant sur son visage, flot­tait der­rière elle en plis vaporeux.

Nathan, qui se flat­tait de lire dans ses yeux l’ar­rêt de son sort, se replia encore plus sur lui-même.

– De quel mes­sage Don Pao­lo vous a‑t-il char­gé ? deman­da la reli­gieuse d’une voix sèche, sur le seuil de la porte.

– Il ne m’a char­gé d’au­cun mes­sage… Son bon cœur lui a seule­ment sug­gé­ré de m’en­ga­ger à venir vous par­ler ce soir même, ce soir, de pré­fé­rence. Je viens de le voir… Bonne Mère Supé­rieure, ren­dez-moi Stella…

– Com­bien de fois fau­dra-t-il vous répé­ter que vous êtes un insen­sé ? Votre petite-fille ne s’ap­pelle plus Stel­la… Stel­la est morte en Dieu et la sœur Marie prie pour vous. D’ailleurs, elle ne veut plus entendre par­ler de vous…

– Ne me dites pas cela… ne me dites pas cela ! inter­rom­pit le vieillard… Je ne vous crois pas, reprit-il fer­me­ment d’un ton convaincu.

Il se redres­sa de toute sa taille et leva la main, l’in­dex tendu :

– Écou­tez !… Toutes vos reli­gieuses chantent. Je dis­tingue très bien la voix de cha­cune sépa­ré­ment ; oui… toutes les 26 voix… mais la voix de ma Stel­la manque à ce chœur… C’est qu’elle pleure. Elle aus­si meurt du désir de me voir. Elle aus­si espère en cette nuit.

– Sei­gneur Jésus dans le ciel ! s’é­cria l’ab­besse, mais cette nuit moins que toutes les autres…

Avant que la reli­gieuse eût ache­vé sa phrase, la lampe, qui jusque-là avait rayon­né d’une vive clar­té devant l’i­mage, s’é­tei­gnit soudainement.

La Mère Agnès cou­rut effa­rée vers l’i­cône et res­ta sai­sie en voyant que non seule­ment la flamme s’é­tait éteinte, mais que la sainte Vierge avait fer­mé ses yeux clairs et pleurait.

– Voi­là votre œuvre, homme impie ! cria la supé­rieure. Par­tez, sinon j’ap­pelle le jar­di­nier, et je vous fais conduire au Saint-Office.

Cette menace trou­bla le vieillard : on ne plai­san­tait pas avec le Saint-Office…

Le juif sor­tit pré­ci­pi­tam­ment du couvent et se mit à la recherche de Don Paolo.

Pen­dant ce temps l’ab­besse et les sœurs qui étaient accou­rues à son appel exa­mi­naient atten­ti­ve­ment la lampe. À leur grand éton­ne­ment elles se convain­quirent qu’elle était pleine d’huile pure et par­fu­mée, bien qu’elle refu­sât de brûler.

Miracle de Noël - La charité au couventElles la lavèrent plu­sieurs fois et renou­ve­lèrent l’huile, mais la mèche ne vou­lait pas s’en­flam­mer et le visage de la sainte Vierge s’as­som­bris­sait de plus en plus.

Pour­tant l’heure de la messe appro­chait. Dans la cha­pelle, située près du par­loir, les 26 reli­gieuses et par­mi elles Stel­la, encore novice, étaient age­nouillées devant l’au­tel… Le car­di­nal pro­tec­teur du couvent de San­ta-Maria dei Mira­co­li res­tait tou­jours avec l’ab­besse dans le par­loir, tous deux pré­oc­cu­pées de la lampe qui s’é­tait éteinte sans raison.

Le car­di­nal ques­tion­na lon­gue­ment sur les évé­ne­ments de cette soi­rée, pour savoir ce qui s’é­tait pas­sé au couvent, et approu­va com­plè­te­ment la conduite de l’ab­besse envers Nathan.

– Vous avez très bien agi, Mère Supé­rieure, dit-il. Je ne com­prends pas que le Saint-Office ne se soit pas encore occu­pé de cet impie… Il est vrai que Don Pao­lo le protège.

Le car­di­nal n’a­vait pas encore ter­mi­né ces mots, que Don Pao­lo entra dans la chambre, tenant par la main Nathan, cour­bé et craintif.

Ô miracle ! dès que les deux hommes furent entrés dans le par­loir, la lampe devant l’i­mage s’al­lu­ma, la face de la sainte Vierge s’é­clai­ra de nou­veau de joie et reprit sa sérénité.

L’al­lé­gresse fut si grande dans tout le couvent, que les reli­gieuses déser­tèrent la cha­pelle pour venir assis­ter au miracle.

Stel­la accou­rut avec les autres, et dès qu’elle aper­çut Nathan, elle s’é­lan­ça vers lui en criant :

– Grand-père, cher grand-père !

Mais l’ab­besse la tan­ça sévè­re­ment et lui inti­ma l’ordre de retour­ner à la chapelle.

Stel­la, pâle, trem­blant de tous ses membres fluets de fillette de quinze ans, s’at­ta­cha plus étroi­te­ment à Nathan, et se ser­ra tan­tôt contre lui, tan­tôt contre Don Pao­lo. La Mère abbesse s’ap­pro­cha rapi­de­ment de la novice, la prit par la main et la rame­na à la chapelle.

À la stu­peur des reli­gieuses et du car­di­nal, la lampe s’é­tei­gnit de nou­veau, et de nou­veau l’i­mage de la mère de Jésus devint sombre.

Seul Don Pao­lo ne mani­fes­ta aucun éton­ne­ment. On eût même dit qu’il savait que ce miracle devait se pro­duire en cette nuit de Noël.

Un calme sou­rire aux lèvres, il s’a­van­ça au milieu du par­loir et dit :

– Émi­nence ! Mère Supé­rieure ! chères Sœurs, et toi Nathan, remer­cions avant tout Dieu dans les cieux pour la pré­cieuse indi­ca­tion que, dans sa bon­té, il nous a don­née ce soir… Que signi­fie la lampe devant l’i­mage de la sainte Vierge ? Com­pre­nez-vous le sens de cette lumière divine ? Écou­tez !… je vais vous l’expliquer :

« Lorsque l’En­fant divin naquit à Beth­léem, l’hi­ver était rigou­reux, dans la rue les hommes trem­blaient de froid et la neige pro­fonde s’a­mon­ce­lait et tom­bait sans trêve du ciel. Et tous les hommes et les bêtes s’i­ma­gi­nèrent que l’En­fant divin avait froid, car il était tout nu, la sainte Vierge n’ayant pas même un linge pour le couvrir.

« Mais le bon bœuf et l’âne com­pa­tis­sant qui se trou­vaient dans l’é­table, l’un après l’autre, s’ap­pro­chèrent de l’en­fant et le réchauf­fèrent de leur haleine chaude ; et l’en­fant Jésus sou­riait et cares­sait de sa main divine le bon bœuf et l’âne compatissant.

« II y avait dans l’é­table une tour­te­relle. Elle aus­si vou­lut se rendre utile à l’En­fant divin ; elle arra­cha de son bec déli­cat de des­sous son aile le duvet le plus fin et en cou­vrit le Sauveur.

« L’a­gneau qui se trou­vait aus­si dans l’é­table cou­pa de ses dents acé­rées les plus moel­leux flo­cons de laine de sa toi­son, et les por­ta au nouveau-né.

« Sous le foin ram­pait encore un petit ver­mis­seau… Le pauvre insecte se tâta long­temps d’un côté et de l’autre, cher­chant sur son corps de quoi réchauf­fer le petit Jésus… Il n’a ni le souffle chaud du bœuf, ni le duvet de la tour­te­relle, ni la laine de l’a­gneau… il ne sait tis­ser ni la laine ni les toiles comme l’a­rai­gnée… mais sa bon­té est si grande, qu’il ne peut s’empêcher de faire du bien à celui qui est venu sur la terre pour rendre heu­reux toutes les créa­tures. Alors le ver­mis­seau sai­sit dans sa petite bouche une fleur séchée et embau­mée qui est res­tée dans le foin, et ras­sem­blant toutes ses forces, rampe vers la crèche, grimpe des­sus jus­qu’à Jésus et dépose la fleur dans sa main gauche. Et l’En­fant divin, de sa main droite, caresse le ver­mis­seau et dit :

« – Où est la bon­té, là aus­si sera la lumière.

« Et le ver­mis­seau devint la luciole aux ailes d’or. Et tant que le monde vivra il éclai­re­ra, comme une lampe vivante, la nuit, pour rap­pe­ler aux hommes la parole divine. »

Nativité du Sauveur - Récit à raconter pour le caté

Pen­dant que Don Pao­lo par­lait, la lampe devant l’i­mage se ral­lu­ma, et jamais les reli­gieuses ne l’a­vaient vue rayon­ner d’une clar­té aus­si douce et pénétrante.

Le sens du miracle devint clair pour tous. Il n’y avait pas de bon­té dans le couvent de San­ta-Maria dei Mira­co­li, et la lumière divine s’é­tait éteinte.

Les reli­gieuses lais­sèrent par­tir Stel­la avec Nathan, et ce fut pen­dant cette nuit de Noël une grande joie dans le Ghetto.

Nathan se lia encore plus étroi­te­ment avec son pro­tec­teur Don Pao­lo et, sur la pro­po­si­tion du vieux juif, la colo­nie israé­lite de Rome déci­da de don­ner chaque année à Noël cent livres de l’huile la plus trans­pa­rente pour entre­te­nir la lampe de la Madone de San­ta-Maria dei Miracoli.

De nos jours les lampes devant les images dans les cou­vents et les rues de Rome sont rem­pla­cées par des ampoules élec­triques, mais encore aujourd’­hui à Noël les Israé­lites de la ville éter­nelle envoient aux cou­vents de l’argent et des pro­vi­sions pour les dis­tri­buer aux pauvres romains, si nom­breux et dont la misère est si profonde.

M. Glan­ti­ni.
Paru en 1908 dans Biblio­thèque uni­ver­selle et Revue suisse.

Coloriage pour le catéchisme Noel

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