Chapitre XIII
Joies et épreuves se suivent vite dans la vie.
Les collégiens étaient à peine rentrés, la pensée encore toute occupée du mariage de Jeannette, qu’une nouvelle très inquiétante leur parvenait.
A quelques semaines de son ordination, au séminaire de Rome, Yvon était gravement malade. Tout faisait craindre une fièvre typhoïde extrêmement violente.
Colette est consternée.
— Si Yvon allait mourir avant d’être prêtre ? dit-elle à M. le curé, qu’on est allé trouver bien vite, avec maman, pour lui demander des prières.
— Allons, allons ! ne mettons pas tout au pire ! Une fièvre typhoïde, ça se soigne, voyons ! La grosse peine de cet enfant, c’est de voir retarder son ordination. Mais aussi, l’heure venue, il sera d’autant plus heureux qu’il l’aura payée plus cher,… le Bon Dieu a ses vues, voyez-vous ! Faisons-lui confiance, et tout ira bien. Je dirai ma messe demain pour notre pauvre malade. Et puis, je vais mettre les enfants de l’école en prière. Vous verrez que nous serons exaucés. Tenez-moi bien au courant, surtout !
En rentrant à la maison, Colette confie à sa mère :
— M. le curé est un vrai saint. Je crois qu’il va obtenir du Bon Dieu tout ce qu’il voudra.
Colette ne croyait pas si bien dire, car, après de véritables angoisses, Yvon ayant été mourant, on apprit enfin par tante Jeanne, qui l’avait immédiatement rejoint à Rome, que la convalescence commençait. Le docteur ordonnait de transporter le malade à la campagne, dès qu’il pourrait supporter le voyage, et, bien entendu, c’est dans l’hospitalière maison familiale qu’on l’attend.
On devine le branle-bas. Pierrot déniche au grenier une antique chaise-longue ; Colette crève de vieux oreillers pour les transformer en coussins. La plume vole un peu partout, et Marianick pousse des soupirs à gonfler une voile de bateau ; mais, après tout, c’est pour Yvon !
Pauvre Yvon ! Quand il débarque, diaphane et maigre comme un échalas, ses cousins ont bien de la peine à cacher leur surprise. Et puis, on le sent si triste. Cette ordination remise, et à quand ?
Mais Yvon comptait sans son bon curé.
Un beau matin, le vieux prêtre paraît à la grille du jardin. Il a marché si vite qu’il doit s’éponger le front avec l’immense mouchoir à carreaux qui fait le bonheur des enfants. Ses yeux gris, demeurés si clairs malgré les années, pétillent derrière les lunettes et cherchent du regard la fameuse chaise-longue sur laquelle Yvon demeure étendu dehors, toujours excessivement faible, silencieux et déprimé, car il lui semble qu’il ne se remet pas assez vite.
L’ayant découvert, le bon curé se hâte, un sourire heureux épanouissant sa physionomie.
Yvon le salue d’un geste las.
— C’est comme ça que tu m’accueilles ? Tu ressembles à un saule pleureur couché par la tempête.
— Je ne reprends aucune force, monsieur le Curé, et puis, croyez-vous que je sois bien gai ?
— Fichtre non ! tu n’es pas gai. Ça se voit à cent mètres de distance, et c’est justement ça que je te reproche. Comment prêcheras-tu aux autres le courage et l’abandon, quand tu seras prêtre, si c’est tout ce que tu en possèdes ? On ne donne que ce qu’on a, je ne te l’apprends pas, pourtant.
— Quand je serai prêtre… Mais c’est cette ordination manquée qui me tourmente, … vous le savez aussi bien que moi, monsieur le Curé.
— Homme de peu de foi ! Si tu n’avais pas été si gravement malade, je te semoncerais d’importance. Écoute-moi donc un peu et prends une autre tête. J’étais hier à l’évêché. Il n’y a pas qu’à toi qu’il arrive de gros soucis. Monseigneur a deux séminaristes dans ton cas, l’un dans une clinique, l’autre avec un grave accident à la jambe. Ils manqueront tous les deux l’ordination de la Saint-Pierre, et alors…
— Et alors, quoi ? demande Yvon subitement redressé.
— Monseigneur vous ordonnera tous les trois le 8 septembre. Et sais-tu où ? Dans mon église ! Là, es-tu content ? Tu ne vas pas tourner de l’œil comme une petite fille, je pense ! Ma parole, je ne te reconnais plus avec la pauvre figure qui passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Allons, calme ta joie et appelle un peu la famille pour lui annoncer ça !
* * *
Les semaines qui suivent n’ont pas d’histoire… Elles sont heureuses, voilà tout, et le 15 juillet ramène tous les collégiens autour d’Yvon, que le bonheur transforme à vue d’œil. Il veut que ce bonheur soit partagé et il a trouvé sur place un peu de travail pour les parents du petit Nono, afin que l’enfant soit adopté, pendant les vacances, par la bande joyeuse « Colette et Cie » et s’épanouisse à son contact.
Cependant la convalescence n’est pas terminée, et Yvon doit encore, bien souvent, demeurer dehors allongé. Colette lui tient compagnie en lui posant des questions qui n’en finissent pas.
— C’est Monseigneur qui te donnera le sacrement de l’Ordre ; à Rome, c’eût été, je pense un cardinal. Au fond, quelle est la différence ?
— Tous sont prêtres de l’Église de Dieu, mais il y a, dans l’Église, une hiérarchie qui va du simple vicaire au Pape. Est-ce qu’on ne t’a pas déjà expliqué tout cela à Rome ?
— Peut-être bien, mais, pour être franche, je ne m’en souviens plus.
— Alors, écoute, je vais une bonne fois essayer de te faire un résumé de cette hiérarchie ecclésiastique. Ce sera un peu long, mais tu dois savoir cela, Colette. Et d’abord, tu sais fort bien qu’avant d’être prêtre, un séminariste reçoit ce qu’on appelle les ordres mineurs, puis ensuite le sous-diaconat et le diaconat, qui, avec la prêtrise forment les ordres majeurs.
— Oui, chaque fois que ces ordres t’ont été donnés, maman nous a expliqué à quoi ils correspondaient. Te dire que j’ai tout retenu !…
— Répète-moi ce que tu sais ; je complèterai. Quels sont les ordres mineurs ?
— Il y en a plusieurs : Portier, Lecteur, je crois ?
— Et d’autres encore. Tout d’abord, le séminariste reçoit la Tonsure. C’est une simple cérémonie qui lui rappelle qu’il est désormais séparé du monde. Il doit porter la soutane, symbole de son mépris des choses mondaines. Aux offices, il revêt le surplis qui rappelle la vie pure et réservée qu’il mènera désormais.
— Puis viennent les ordres mineurs proprement dits. L’évêque fait successivement du jeune séminaire un Portier, qui a le droit d’ouvrir, de fermer, de garder l’église et la sacristie ; un Lecteur, qui a la permission de lire publiquement l’Écriture sainte à l’église, de chanter les leçons de l’office, d’enseigner le catéchisme, etc. ; un Exorciste, qui a le pouvoir de chasser les démons ; un Acolyte, qui est chargé de servir le diacre et le sous-diacre dans leurs fonctions, comme d’allumer les cierges, de préparer l’encensoir, les burettes, etc.
Ces quatre ordres mineurs sont conférés par l’évêque, bien entendu.
— Pour les ordres majeurs, reprend Colette, je suis peut-être moins ignorante. Il me semble qu’il faut plusieurs mois de préparation entre chaque, et puis pour recevoir le premier qui est, n’est-ce pas, le Sous-diaconat, il faut s’engager tout à fait au service de l’Église.
— Exactement. Le sous-diacre renonce pour toujours au mariage. De plus, il doit désormais réciter chaque jour l’office divin.
— Ensuite, c’est le Diaconat ?
— Oui. Le Diaconat est le dernier des ordres sacrés avant la prêtrise. Il confère le pouvoir de prêcher, de toucher et de porter la sainte Eucharistie. Le diacre peut donner la sainte Communion, et baptiser solennellement avec la permission de l’évêque ou du curé, pour un motif grave.
Un diacre peut encore assister immédiatement le prêtre dans les messes solennelles, lui présenter la patène avec l’hostie, verser le vin dans le calice et lui présenter le calice, chanter l’Évangile, etc. Quand je pense que j’ai déjà reçu tous ces pouvoirs ! Que de grâces, Colette ! Et ce sera le sacerdoce dans quelques semaines !… Y songes-tu ?
Yvon se tait, saisi malgré lui par la vision de cette ordination prochaine.
Le silence risque de se prolonger. Colette n’y tient pas.
— Mais, mon pauvre Yvon, et la hiérarchie jusqu’au Pape ? qu’en fais-tu ?
Rappelé à la réalité, le professeur sourit à son infatigable élève.
— Tu as raison. J’ai le temps de rêver et de remercier Dieu quand je suis seul. Reprenons nos explications.
Lorsque le prêtre est appelé à l’Épiscopat, il reçoit, à la grandiose cérémonie de son sacre, la « plénitude du Sacerdoce ».
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Qu’il est non seulement prêtre, mais que seul il peut ordonner d’autres prêtres et conférer tous les sacrements.
De plus, il a, dans l’Église, sous l’autorité du Pape, un pouvoir de juridiction, quant au diocèse qui lui est confié. Dans ce diocèse, c’est lui qui accorde ou refuse l’exercice de leurs pouvoirs à tous les autres prêtres ; enfin il participe au droit d’enseigner, en communion avec le Pape, de sorte que les évêques unis au Pape forment l’Église enseignante.
— Et l’archevêque ?
— Les archevêques sont des évêques qui occupent le siège métropolitain d’une province.
— Écoute, Yvon, qu’est-ce que c’est que cette histoire de métropolitain ? Si tu crois que j’y comprends quelque chose…
— Allons donc ! A douze ans ! Je suppose pourtant que tu n’ignores pas que beaucoup d’États sont divisés en provinces. Alors, qu’y a‑t-il d’extraordinaire qu’il en soit de même pour l’Église ? Seulement les provinces ecclésiastiques sont composées d’un certain nombre de diocèses. L’archevêque, sans exercer sur les évêques de ces diocèses un pouvoir direct, conserve une prééminence d’honneur et peut les convoquer en réunions, qu’on appelle conciles, pour traiter des questions qui intéressent la province.
— Je t’assure que c’est affreusement compliqué, et je ne te souhaite pas de devenir archevêque. Qu’est-ce que c’est qu’une juridiction ?
Yvon rit de tout son cœur.
— Mais je viens de te le dire, Colette. La juridiction épiscopale c’est l’ensemble des pouvoirs que possède l’évêque pour gouverner son diocèse.
Colette est persévérante ; après tout, si cette étude est compliquée, comme elle dit, elle est aussi très intéressante.
Courageusement elle réclame :
— Et les cardinaux ?
— Leur nom vient d’un mot latin cardo qui signifie gond.
— Gond, en voilà un drôle de mot ! Qu’est-ce qu’un gond vient faire dans l’histoire des cardinaux ?
— Tu n’as certainement jamais réfléchi à ceci : les gonds soutiennent la porte, et celle-ci tourne sus ses gonds. Applique cela à l’Église et dis-toi : ses cardinaux forment une institution à part, qui a pour but d’aider le Souverain Pontife dans le gouvernement général de l’Église. Ce sont eux qui, réunis en Conclave, élisent le Pape, dont ils deviennent les ministres et les conseillers. Ainsi, le secrétaire d’État du Saint-Siège, les Préfets qui dirigent les différentes « Congrégations » romaines sont des cardinaux.
— Comment, les congrégations romaines. Il y a donc des ordres religieux spécialement romains ?
— A quoi penses-tu ? Tu ne sais pas, toi, qui as passé des semaines à Rome, qu’on appelle « congrégations romaines » des commissions chargées d’étudier les graves questions du gouvernement de l’Église ? C’est pour remplir ce rôle si important que de nombreux cardinaux résident près du Saint-Père.
D’autres sont choisis par lui dans les différents pays catholiques. Ces nominations sont un honneur pour ces pays et une assurance que leurs intérêts sont mieux connus du Saint-Siège.
Tous les cardinaux ne sont pas nécessairement évêques. Actuellement, le Pape appelle de temps en temps au cardinalat d’humbles religieux, à cause des services que leurs talents peuvent rendre. Il n’y a pas de consécration spéciale pour un cardinal.
— Mais ils portent des insignes spéciaux ?
— Bien entendu. Tu les connais ?
— Attends ! reprend Colette qui réfléchit.
Reprenons par le commencement ; avec maman, j’ai revu tout ce qui concerne les insignes de l’évêque. Quels sont ceux d’un archevêque ?
— Il a, comme l’évêque, la calotte et la barrette violette ; quand il participe à un office religieux, on porte devant lui la Croix, de manière que l’image de Notre-Seigneur soit tournée de son côté. Il revêt aussi le pallium, qui est une bande de laine blanche entourant le sommet des épaules, d’où pendent en avant et en arrière deux autres bandes semblables.
Le pallium est une marque de distinction, une sorte de décoration, que le Pape accorde parfois même aux évêques qu’il veut particulièrement honorer.
— Alors, maintenant, les cardinaux ?
— Ils portent la calotte, la barrette, le chapeau et les bas rouges. En leur remettant solennellement le chapeau, le Saint-Père leur rappelle que la couleur rouge, dont ils seront revêtus, signifie qu’ils doivent porter le dévouement au Saint-Siège apostolique « jusqu’à l’effusion du sang », s’il le faut.
Dans les cérémonies, ils revêtent un grand manteau de soie rouge avec une mosette d’hermine blanche. C’est très beau. Évêques, archevêques, cardinaux sont les princes de l’Église, ne l’oublions pas.
— Oui, dit Colette songeuse. Le fait est que je devrais savoir tout cela très bien,… car en avons-nous vu des évêques et des cardinaux à Saint-Pierre de Rome, aux grandes fêtes !
C’est vrai que c’était beau, mais on apercevait de loin, et les costumes, avec leurs détails,… tu sais,… pour moi, c’est resté plus que vague !
Se redressant avec une certaine importance, Colette ajoute :
— Par exemple, pour ce qui est du Pape, tu n’as rien, absolument rien à m’apprendre : je l’ai vu et de tout près, tout aussi bien que toi.
Il est vêtu de blanc ; sa calotte et ses bas sont blancs comme sa robe. Et la mosette est rouge, bordée d’hermine ; l’étole et les souliers sont rouges. Crois-tu que je n’ai pas regardé le Saint-Père avec tous mes yeux, et aussi avec tout mon cœur ?
Yvon sourit :
— Tu ne vas tout de même pas me faire croire que tu as eu le temps d’examiner son anneau, qui représente saint Pierre sur une barque jetant ses filets à la mer ?
— Non, cela je ne l’ai pas vu. Mais je me souviens des cérémonies à Saint-Pierre, quand le Pape arrive porté sur son espèce de trône qu’on appelle…
Ici Colette hésite.
— Sedia Gestatoria.
— C’est ça ! Le Saint-Père porte alors sur la tête une tiare. Que ce doit être fatigant !
— Oui, elle est terriblement lourde. Puisque tu as si bien regardé, as-tu remarqué que la tiare a trois couronnes superposées ? Pourquoi ?
— Je n’en sais rien du tout.
— Pour rappeler le triple pouvoir du Pape. Il est Évêque, Souverain Pontife et Roi. Il a aussi une triple puissance : il doit gouverner l’Église de la terre, qu’on appelle l’Église militante ; en accordant des indulgences, il soulage les âmes du Purgatoire, qui forment l’Église souffrante ; enfin il accorde les honneurs publics aux saints de l’Église triomphante.
Colette est assise dans l’herbe ; elle écoute sérieusement, et l’on devine que sa pensée dépasse de très loin cette conversation. Elle dit cependant, convaincue :
— C’est beau cette puissance du Pape…
Puis elle se perd de nouveau dans ses réflexions. Yvon les respecte. Tout à coup Colette saute sur ses pieds.
— Allons, bon ! j’oubliais ! Et maman qui a besoin de moi pour préparer ton goûter, Yvon. Mais, vois-tu, je pensais…
Puis, se penchant un peu mystérieusement, Colette ajoute plus bas :
— Je pensais que j’aimerais bien, plus tard, t’aider à apprendre toutes ces choses et bien d’autres encore, aux petits enfants de ta future paroisse.
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