La crèche de Nina

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Conte de Noël pour les enfants - paysage d'hiver - Joos de MomperElles s’en vont, Ninon, Ninette, Nina, jupette rouge et bon­net pareil, six petits sabots cla­quant sur la terre gelée.

« Vite, vite, les sœu­rettes, car le jour baisse, dit Ninette, la plus sage.

– Vite, vite, répond Ninon, la plus ardente, car un grand tra­vail nous attend.

– Vite, vite, mur­mure Nina, la plus douce, car Mère a dit qu’on ne s’at­tarde pas. »

Et les six petits sabots mar­tèlent en chœur : « Vite, vite, vite, vite, les petites sœurs. »

Mais que c’est donc lourd, tout ce qu’elles portent, les sœu­rettes !… Et encom­brant, donc !… Elles en ont plein les poches, et plein le giron, dans les mains, dans les bras et jusque sous le men­ton… Il y a du gui, de la mousse, du houx, du lierre, de la paille, du foin et du sapin… À peine voit-on, dans toute cette ver­dure, trois fri­mousses rondes et rouges comme des pommes d’a­pi, éclai­rées de blanches que­nottes et de petits yeux de souris…

« Elle sera belle, notre

– Et grande, donc… avec un toit de paille cra­quante… et des nids de mousse dans le rocher ; un grand sapin der­rière, une touffe de houx sur le côté, du lierre qui grimpe jus­qu’au toit…

– Et puis un râte­lier de car­ton pour l’âne de saint Joseph et le gros bœuf rouge et blanc…

– Ce sera beau

– Ce sera grand !…

– Jésus sera bien !… »

Sur les lèvres mouillées, trois sou­rires s’ac­cen­tuent ; et les petits yeux noirs arrêtent un ins­tant leur danse scin­tillante pour fixer leur rêve…

« Hâtons-nous, voyons, petites sœurs !… »

Or, les petits sabots, las de tout ce che­min – clac… clac… clac… – les petits sabots traînent un peu : les sœu­rettes sont fati­guées… Elles se sont don­né tant de mal pour trou­ver toutes ces choses l’une après l’autre… Mais quel triomphe et quelle joie de les rap­por­ter ce soir… Clac, clac, clac, les petits sabots en reprennent de l’ar­deur, et les menottes avides serrent un peu plus ces tré­sors sur les cœurs.

* * *

« S’il vous plaît, mes petites filles, le che­min de la cha­pelle Saint-Loup ? »

Une femme est devant elles, un peu cour­bée sous la grande cape noire qu’elle tient bien close.

« La cha­pelle Saint-Loup ?… Par là !… » lance Ninon dis­trai­te­ment, avec un geste de la tête pour mon­trer le grand chêne et tout ce coin-là…

Enfant accompagnant une femme lourdement chargéeElle est déjà pas­sée. Elle n’a même pas regar­dé la femme : elle ne songe qu’à la crèche qu’elle veut faire « plus belle que celle des autres ». Com­ment donc enten­drait-elle l’humble requête de la dame : « Ne sau­riez-vous, enfants, me conduire jusque là ? »

Ninette aus­si est pas­sée ; mais elle entend encore et se retourne à demi :

« C’est impos­sible, ma pauvre dame : il nous faut ren­trer avant la nuit ; et puis nous sommes char­gées… et lasses donc… Nous avons cou­ru bien loin pour cher­cher de quoi faire notre crèche, voyez-vous… et ce soir, il nous faut l’ar­ran­ger, car cette nuit, c’est , vous savez.

– Je sais… mur­mure l’in­con­nue, je sais… Mais je suis si lasse, moi aus­si… et je ne connais pas le chemin. »

Ninette veut bien être polie, mais elle songe à sa crèche et s’im­pa­tiente : cette femme, après tout, elle est embêtante…

« Si j’a­vais le temps, je ne deman­de­rais pas mieux, Madame ; mais ce soir, je vous le dis, c’est impossible. »

Là-des­sus, tour­nant les talons, sans même la regar­der, Ninette l’a­ban­donne et court pour rat­tra­per Ninon : il faut bien qu’elles fassent leur crèche, voyons…

Nina, elle, a levé ses beaux yeux pour cher­cher ceux de la dame ; et elle a vu qu’ils étaient clos…

« Oh, pauvre dame, vous n’y voyez plus ! mur­mure-t-elle avec com­pas­sion, je vais vous conduire. »

Le visage de l’in­con­nue se détend.

« Mer­ci ! » dit-elle doucement.

Et elle allonge la main pour cher­cher à tâtons celle de l’en­fant. Alors, Nina-la-plus-douce aban­donne sur le che­min tous les tré­sors qu’elle ser­rait farou­che­ment sur son cœur et conduit l’a­veugle à pas pré­cau­tion­neux, veillant à lui signa­ler ornières et cailloux.

« Tes sœurs vont faire la crèche sans toi !… N’as-tu nul regret, mignonne ? »

Une ombre éteint le regard de Nina : elle s’é­tait pro­mis tant de bon­heur à faire cette crèche !… Elle voyait déjà où on met­trait la mousse et le houx, et ce petit creux de rocher où glis­se­rait un brin de lierre… Elle voyait si bien !… Elle se pro­met­tait tant de plai­sir !… Et puis, voi­là !… cette femme était passée…

Mais avant de répondre elle secoue sa petite tête pour la déli­vrer de cette amertume :

« Chut !… dit-elle en sou­riant, je ne me le suis pas encore deman­dé, car Maman dit qu’il faut d’a­bord faire son devoir, et cher­cher seule­ment après si cela vous accommode… »

Un radieux sou­rire éclaire le visage de l’a­veugle. Cepen­dant, elle se tait et Nina peut lui dire en confidence :

pervenches« Je garde pré­cieu­se­ment deux per­venches trou­vées à l’a­bri d’une haie : j’ap­por­te­rai tout de même quelque chose à la crèche… »

Mais elle n’a­chève point ; elle ne dit pas que ces deux fleurs, écloses mal­gré l’hi­ver, sont pré­cieuses à ses yeux d’en­fant comme une terre nou­velle aux yeux de qui la découvre. Elle n’a point le temps de dire ces choses-là, car elle a vu, sou­dain, l’in­con­nue ployer sous le poids mys­té­rieux du far­deau qu’elle tient caché sous sa mante…

« Don­nez, Madame ; confiez-moi votre charge… »

La Dame s’est arrêtée :

« Sau­rais-tu le por­ter, mignonne ?

Marie présentant Jésus– Ah ! je suis petite, mais mes bras sont solides. Et puis, ajoute-t-elle avec un léger sou­pir, s’il le faut, je lais­se­rai bien aus­si mes deux per­venches afin d’a­voir mes deux mains libres pour vous aider… »

Déjà la déli­cieuse petite fille tend ses deux mains vides, et l’in­con­nue, dou­ce­ment, écarte son vête­ment… Ses yeux s’ouvrent… son regard ten­dre­ment posé sur l’en­fant dif­fuse une lumière caressante…

« Noël !… Noël !… » chantent en sour­dine les anges, mys­té­rieu­se­ment venus des quatre coins de l’horizon.

Et, des mains de la Vierge, Nina reçoit l’ dans ses bras…

… Le doux Petit Jésus qui sou­rit et tient dans ses doigts les deux per­venches de Nina.

Rose Dar­dennes.

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