Chapitre XI
Vacances de Pâques ! Qui dira ce que ces trois mots contiennent de joie ?
L’hiver est passé. Les petites primevères blanches ou roses étalent leurs grosses touffes dans la mousse ; les pervenches courent à travers le lierre, sous les bois. Il y a de gros bourgeons dodus au bout des branches de lilas, et les carillons de la fête de Pâques se répondent, légers, joyeux, aériens, d’un clocher à l’autre.
Depuis hier, la petite maison familiale est de nouveau remplie d’hôtes tapageurs, dont les rires fusent par les fenêtres ouvertes. Papa lui-même a huit jours de repos… Vraiment c’est « vacances, vacances de Pâques, vacances du printemps joli ».
Elles ont été précédées de mystérieuses conférences entre maman et M. le curé, et l’on a vu réapparaître, sur la place de l’église, la roulotte et ses habitants.
Puis, un jour, maman a réuni André et Nono et leur a tenu ce langage :
— Mes enfants, je ne vous apprends pas que Monseigneur va venir dans trois semaines, ici même, donner la Confirmation. M. le Curé a toujours pensé, mon petit André, que tu la recevrais et il t’a déjà préparé en conséquence ; mais il a décidé, puisque les circonstances font que la cérémonie a lieu dans notre vieille église, que Nono sera baptisé le lundi de Pâques et qu’ensuite il sera confirmé avec toi. Il s’agit de nous mettre courageusement à l’ouvrage pour disposer vos âmes à la venue du Saint-Esprit, et je compte sur toi, André, pour aider ton petit ami.
C’est pourquoi, ce soir, les deux petits gars sont assis, le dos appuyé à de gros troncs d’arbres, répétant inlassablement questions et réponses de leur leçon spéciale sur la Confirmation. Pierrot, très intéressé, a demandé à se joindre à eux. Il est en veine de grand courage, car la première Messe d’Yvon approche, et alors !…
Tout à coup, Nono fait un geste découragé et laisse tomber son livre dans l’herbe :
— Je ne saurai jamais tout, dit-il le cœur gros. Je sens bien que je n’aurais pas tant de peine à retenir les mots si je les comprenais mieux. Essaie donc d’expliquer, toi, André, ce que M. le curé a dit.
Mais André, qui se croyait pourtant bien sûr de son affaire, s’embrouille complètement, et les trois petits se regardent avec inquiétude. Ils sont de si bonne volonté !
— Tiens, dit Pierrot, que nous sommes bêtes ! Il suffit d’aller chercher maman.
— Instantanément les visages se rassérènent. Pierrot court à la recherche du « sauveur » et revient bientôt, triomphant, tenant sa mère par la main.
— Alors, mes pauvres petits, ça ne va pas ?
André répond :
— Non, madame, pas du tout. Quand on veut répéter ce qu’a expliqué M. le curé, on dit tout à l’envers, comme si on ne savait plus rien. On se souvient bien pourtant que la Confirmation nous donnera le Saint-Esprit, la troisième Personne de la Sainte Trinité, donc le Bon Dieu lui-même, et aussi que ce sacrement nous fortifiera, fera de nous des soldats du Christ ; mais la cérémonie, tout ce que dira l’évêque, je croyais l’avoir compris, et puis, quand il faut le dire… impossible !
— Reprenons ensemble, bien tranquillement, voulez-vous ? Et d’abord il est entendu, comme tu viens de le dire, que c’est l’évêque qui donne le sacrement de Confirmation, ensuite que, ce sacrement marquant notre âme d’un caractère ineffaçable, on ne peut le recevoir qu’une fois. Inutile de rappeler que nous devons être en état de grâce pour participer à ce grand acte. Ceci dit, voyons un peu comment va se dérouler la cérémonie.
André sent, comme par enchantement, la mémoire qui lui revient.
— Oh ! madame, d’abord M. le curé ira au-devant de Monseigneur, jusqu’à la porte de l’église, pour le recevoir ; on chantera un cantique en latin qui veut dire : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » On a répété ça cent fois à l’harmonium, cette semaine. Et puis, Monseigneur se mettra à genoux, sur un beau prie-Dieu de velours rouge, dans le milieu du chœur, et il entonnera le Veni Creator, qu’on chantera tous. On le sait très, très bien.
Nono est ahuri de la science subite de son camarade, et maman sourit devant une pareille volubilité. Elle demande finement :
— Est-ce que ceci fait partie des rites nécessaires à la Confirmation ?
Cette fois, André reste bouche bée, et maman reprend :
— Non, ces rites ne commencent qu’après le chant du Veni Creator, qui est une préparation à la cérémonie qui va suivre.
— Oh ! madame, supplie Nono, Veni Creator, c’est quoi ?
— Une très belle prière au Saint-Esprit, qu’on chante le jour de la Pentecôte et dans les circonstances importantes. C’est comme un appel au divin Esprit. On lui demande son secours, comme au meilleur des consolateurs, comme à la Source vive de l’Amour de Dieu.
Une source, tu sais bien ce que c’est, Nono : quand on a soif et que la source est bien pure, on y puise l’eau avec joie. Et quand notre âme a soif d’aimer le Bon Dieu, la source de l’Amour, c’est le Saint-Esprit.
Après le chant du Veni Creator, Monseigneur vous posera ou vous fera poser quelques questions, pour voir si vous êtes bien préparés, puis il vous adressera un petit sermon.
C’est alors que les rites de la Confirmation commencent par « l’imposition des mains ». L’évêque dit d’abord : « Que l’Esprit-Saint descende sur vous et que la vertu du Très-Haut vous garde de tout péché. » Puis, après de courts versets, qui reviennent sans cesse dans les offices, Monseigneur étendra les mains au-dessus de vos têtes. Vous vous inclinerez respectueusement, étant à genoux, car, en cet instant solennel, l’évêque appellera sur vos âmes la venue du Saint-Esprit et de ses dons.
Il dira : « Dieu tout-puissant et éternel, qui avez daigné régénérer par l’eau et le Saint-Esprit vos serviteurs ici présents, et qui leur avez accordé la rémission de leurs péchés, envoyez-leur du haut du Ciel l’Auteur des sept dons, votre Esprit-Saint Consolateur. » Et l’évêque nommera deux à deux les dons divins : Esprit de Sagesse et d’Intelligence, — Esprit de Conseil et de Force, — Esprit de Science et de Piété. À chacun de ces appels, le clergé répond : Amen. (Ainsi soit-il.)
Monseigneur terminera l’invocation par cette prière : « Remplissez-les de l’Esprit de votre Crainte, et marquez-les du signe de la Croix du Christ, pour la vie éternelle. Par le même Jésus-Christ, votre fils, Notre-Seigneur. »
Nono et Pierrot ont les yeux rivés sur ceux de maman. Ce doit être bien beau ce qu’elle dit là, mais ça les dépasse complètement. Les dons du Saint-Esprit, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Maman devine leur embarras :
— Si je te donne quelque chose, Pierrot, je te fais un don, un cadeau. Seulement, moi, je ne peux te donner que ce que j’ai : les choses de la terre ; ça n’a pas grande valeur. Tandis que Dieu, le Saint-Esprit, nous donne ses trésors à Lui, des trésors surnaturels, qui nous enrichissent pour l’éternité. Le trésor de la Sagesse, pour porter nos cœurs à aimer Dieu et à tout faire pour son amour ; de l’Intelligence, pour nous aider à bien comprendre les vérités qu’Il nous a révélées ; de Conseil, pour nous permettre de choisir avec prudence ce que nous devons faire ; de Force, pour nous donner le courage de servir Dieu sans fléchir, même devant la mort ; de Science, pour nous faire discerner ce qui est vrai et ce qui est faux ; de Piété, pour nous inspirer des sentiments d’enfants de Dieu, surtout dans la prière ; de Crainte, pour que nous n’ayons plus peur de rien, que du péché qui déplait à Dieu et de l’enfer qui sépare de Lui. Voilà les cadeaux du Saint-Esprit.
— Il nous les donnera vraiment ? demande Nono, qui a peur que ce soit trop beau pour être vrai.
— Absolument, mon petit. Dès ton baptême, tu recevras la visite du Saint-Esprit ; mais, à la Confirmation, il t’apportera ses dons d’une manière plus complète encore. Cependant, écoute bien, la cérémonie de la Confirmation ne se termine pas là.
André interrompt :
— Oh ! non, non, madame, je sais. Nous aurons, comme au baptême, un parrain et une marraine. On nous fera mettre à genoux devant Monseigneur, le parrain posera sa main sur l’épaule des garçons, à tour de rôle, et la marraine sur l’épaule des filles, comme pour nous servir de témoins ; et puis, l’évêque nous appellera d’un nom nouveau, que nous aurons choisi, et il nous fera une onction sur le front, en forme de croix, avec le saint Chrême.
— Pas si vite, grogne Pierrot, tu parles maintenant comme un moulin à vent ; d’abord, attends qu’on sache pourquoi on aura un nouveau nom. Est-ce que tu crois, par hasard, que je m’en doute ?
Maman s’amuse au milieu de ses petits hommes. Elle précise :
— Hé bien ! voilà ! La Confirmation faisant de vous des chrétiens parfaits, fortifiés, « confirmés » dans la Foi, c’est comme une vie nouvelle que vous commencez, et c’est pourquoi l’on vous donne un nom nouveau.
— Et puis, une onction, dit Nono, c’est quoi ?
— Un signe visible que vous verrez, que vous sentirez. L’évêque fera, sur votre front, le signe de la Croix avec le saint Chrême. Le saint Chrême, André le sait par cœur, est un mélange d’huile d’olive et de baume consacré par l’évêque le Jeudi saint.
— Maman, réclame Pierrot, redites-nous encore pour qu’on sache mieux. Pourquoi est-ce qu’on a choisi de l’huile pour le saint Chrême ?
— Parce que l’huile a toutes les propriétés symboliques, c’est-à-dire qui représentent la grâce que l’Église a attachée à sa consécration.
Comprends bien : l’huile pénètre, adoucit, fortifie les corps. L’onction du saint Chrême agit de même dans l’âme. Le Saint-Esprit qui survient dans cette âme la pénètre, l’envahit.
La grâce de la Confirmation rend aussi notre âme plus douce, plus souple, plus docile à la volonté de Dieu, plus forte, plus courageuse et plus fière dans la pratique de notre Foi.
Enfin, l’huile, en brûlant, produit la lumière ; de même, encore, la grâce apportée par la Confirmation nous éclaire, nous guide, illumine notre vie.
Dans le saint Chrême, à l’huile se joint le baume, sorte d’onguent parfumé, qui indique que nous devons porter en nous une bonté, une douceur, un charme chrétiens, qui soient comme le parfum de notre Foi.
Je vous répète, en y insistant, mes petits, que l’onction du saint Chrême se fait en forme de croix. Tu sais pourquoi, Pierrot ?
Très fier, petit Pierre se redresse pour répondre, car depuis qu’il s’applique, il a appris tant de choses !
— Parce que la Croix, c’est le signe du chrétien ; et quand on sera confirmé, on aura le courage pour défendre la Croix, même si, pour ça, il faut mourir.
— Parfait, mon chéri ! Mais, sans aller jusqu’au martyre, la vie vous fournira l’occasion de supporter pour le Bon Dieu bien des souffrances, bien des humiliations ; c’est ce que l’évêque indiquera à la fin en vous donnant sur la joue un léger soufflet.
Vous souvenez-vous que, pour être armés chevaliers, les croisés du moyen âge recevaient sur l’épaule un coup de plat de sabre ? C’était aussi un symbole, un appel à tout souffrir pour de belles causes. Or il n’en est pas de plus belle que la cause de Dieu.
Et l’évêque en faisant l’onction prononcera les paroles constituant la forme du sacrement : Il vous dira : « (Un tel), je vous marque du signe de la Croix, et je vous confirme par le Chrême du salut. Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
— Ça sera fini alors ? demande petit Pierre.
— Pas tout à fait. Un prêtre essuiera chacun de vos fronts, là où a été déposé le saint Chrême. Monseigneur, lui-même, s’essuiera le pouce avec de la mie de pain et se lavera les mains. Il récitera encore des versets et une oraison, donnera une bénédiction, puis, comme au baptême, on demandera aux nouveaux confirmés d’affirmer leur Foi publiquement, et vous réciterez tout haut, de toute votre âme, le Credo, le Pater et l’Ave.
— Alors, dit Nono, qui n’a cessé de réfléchir et dont on suit constamment l’effort, alors, puisque la Confirmation ne se reçoit qu’une fois, le Saint-Esprit qu’elle nous donne, on le garde toujours ?
— Toujours, dans notre âme, tant qu’une faute grave ne l’en chasse pas ; mais, même si, par malheur, le péché mortel éloignait de nous le Saint-Esprit, le caractère de notre Confirmation, comme le caractère de notre Baptême, resterait marqué dans notre âme. Ils restent jusqu’en enfer, où ces signes font le désespoir des damnés.
— Pourquoi leur désespoir ? demande Pierrot tout effrayé.
— Parce que ces marques ineffaçables demeurent la preuve des grâces immenses, divines, faites au chrétien, et donc, de la responsabilité terrible qu’il a encourue en péchant. Des caractères gravés dans la cire, le marbre, le granit, peuvent à la longue s’effacer, tandis que celui que le Saint-Esprit a gravé dans notre âme y demeurera éternellement, pour notre bonheur ou pour notre malheur. Le damné ne pourra jamais se dire « J’ai péché parce que j’étais sans force, sans secours. » Il sera obligé d’avouer : « J’ai péché malgré les grâces, la force, le secours apportés par mon Baptême et ma Confirmation. »
— Il n’y a qu’à ne pas pécher, déclare petit Pierre victorieusement. On ne va pas en enfer si on ne veut pas.
— À la bonne heure, mon chéri. Et celui qui fortifiera notre volonté, pour nous aider à éviter le péché, sera justement le Saint-Esprit.
Soyez le premier à commenter