— Imalda ! Imalda !
La mère de l’enfant, qui l’appelait, se dirigea sans hésiter vers le fond du jardin. Quand on ne voyait pas la fillette, on pouvait être sûr qu’elle était là, dans ce coin tranquille où l’on n’entendait que le souffle du vent sur la cime des cyprès et le gazouillement de la fontaine. Contre le mur se dressait un petit oratoire, fait tout simplement d’un toit en auvent, abritant une fresque : cette peinture représentait une Sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux, comme en avait tant peint le meilleur artiste de la ville, celui qu’on appelait « Vital des Madones », une Sainte Vierge d’une merveilleuse douceur. Imalda aimait cette belle image. De longues heures, bien qu’elle eût seulement neuf ans, elle demeurait agenouillée sur les dalles de l’allée, priant, méditant, récitant les Psaumes qu’elle savait par cœur comme un moine ou une religieuse. Et ses parents s’en étonnaient.
Son père, le comte Lambertini, un des plus riches seigneurs de la ville, plus accoutumé, comme beaucoup d’hommes de son temps, à faire des affaires et à se battre qu’à prier humblement le Seigneur, trouvait exagérée cette piété. « Va-t-elle donc se faire nonne ? » criait-il quand il apprenait que sa fille était encore à genoux devant la Madone du jardin. Mais sa femme, émerveillée de trouver dans son enfant cette âme si pure et si chrétienne, lui répondait qu’elle ne pouvait certainement souhaiter mieux que de voir sa petite continuer à grandir dans l’amour du Christ.
— Qu’avons-nous à lui reprocher ? Jamais une désobéissance, jamais un mensonge, jamais un mouvement de mauvaise humeur. Nous avons peut-être donné le jour à une petite Sainte. Laissons-la répondre à la voix qui l’appelle…
Et l’amabilité, la gentillesse de cette enfant étaient si exemplaires que, dans toute la famille, on lui avait changé son nom de Madeleine en celui d’Imalda, qui voulait dire : « aussi douce que le miel ».
* * *
Cela se passait dans la ville de Bologne, au début du XIVe siècle, vers l’année 1330. A cette époque, l’Italie toute entière était dans une très douloureuse situation. Depuis déjà longtemps, les guerres civiles succédaient aux guerres étrangères, les unes et les autres faisant beaucoup de mal au pays. Le Pape et l’Empereur ne s’entendaient pas ; leurs partisans se livraient des combats terribles, où des villages flambaient, des villes étaient assiégées, prises et pillées. Très peu de temps avant, Bologne avait été ainsi champ de bataille et avait énormément souffert. Ce n’était pas encore assez ! Dans la cité même les clans s’opposaient aux clans. On luttait famille contre famille, et chaque maison seigneuriale se transformait en véritable forteresse, capable de supporter des sièges : certaines avaient même dressé de très hautes tours, — l’une n’avait pas moins de cent mètres, — semblables à des donjons, pour y installer leurs guetteurs et leurs soldats ; deux de ces tours se voient encore. Douloureuse situation, et dont une petite fille sensible se rendait parfaitement compte.
D’ailleurs, tant de choses étaient tristes en cette époque ! Ne disait-on pas que le Pape avait été obligé de fuir Rome où sa personne sacrée n’était plus en sûreté, et qu’il s’était réfugié, bien loin de là, au royaume de France, dans une ville nommée Avignon où il construisait un grand palais : preuve qu’il voulait y demeurer bien longtemps. Dans l’Église entière, cette absence du Saint Père hors de la Ville Éternelle était considérée comme un mauvais présage : depuis treize siècles, depuis que saint Pierre est mort martyr dans le cirque de Néron, au Vatican, est-ce que les Papes n’ont pas toujours résidé non loin de son tombeau ? Qu’allait-il arriver maintenant que le Siège romain était vide ?…
C’était pour tout cela que la petite Imalda priait tant. Elle demandait au Seigneur de ramener la paix parmi les hommes, de les rendre moins violents, moins attachés à l’argent, moins brutaux et de protéger sa Sainte Église contre tous ses ennemis… Heureusement qu’en Italie, il y avait encore de vrais chrétiens ! Au siècle précédent, n’avait-on pas connu deux saints exceptionnels, dont tout le monde parlait encore ? Saint François, celui qu’on surnommait « le petit pauvre d’Assise », qui, après avoir été, dans son adolescence, un garçon ardent et prompt aux combats, comme tant d’autres, avait d’un seul coup jeté ses armes, renoncé à toute la fortune de son père, et s’était consacré à Dieu, pour vivre dans la sainte pauvreté. Il n’était guère lieu d’Italie où l’on ne racontât les merveilles de sa vie, et comment il avait apprivoisé un loup furieux, et comment il parlait aux oiseaux du ciel, où l’on ne chantât aussi les cantiques si simples et si sublimes qu’il avait composés.
Et l’autre saint, dont la gloire devenait immense, était saint Dominique, l’éloquent Espagnol installé en Italie, dont on rapportait qu’au jour de sa naissance une étoile avait brillé sur son front. Par sa parole, par son action, il avait mené des luttes acharnées contre les hérétiques dont les doctrines étaient contraires à la vraie foi. Il avait été le fondateur de ces « Frères Prêcheurs », de ces « Dominicains » vêtus d’une robe blanche et d’un grand manteau noir, dont les sermons faisaient courir les foules aux églises. Or c’était justement à Bologne que le grand saint avait son tombeau, un tombeau de marbre où l’on voyait les scènes principales de sa vie, sculptées par un très grand artiste, Nicolo Pisano. Bien souvent Imalda était allée prier dans la basilique Saint-Dominique, auprès du monument funéraire. Bien souvent elle avait demandé au Saint de l’accepter dans l’immense famille de ceux qui voulaient suivre son exemple, parmi les religieuses blanches qu’elle avait vues, dans leur couvent, si heureuses de prier Dieu toute la journée, et la nuit même, de le prier pour les pauvres hommes afin qu’ils deviennent un peu meilleurs.
***
— Imalda ! Imalda !
La chère voix de la fillette ne répondit pas. Un peu inquiète, la mère courut le long des allées, vers le fond du jardin, pensant que, selon son habitude, l’enfant se trouvait à genoux devant la Madone et que, sans doute, elle était si absorbée par sa prière qu’elle n’entendait même pas les cris d’appel. Mais, surprise, elle constata que la place était vide… La petite forme ne s’apercevait pas comme d’ordinaire, entre les trois fuseaux élancés des cyprès : simplement, sur le petit rebord de l’oratoire, sous la fresque de la Sainte Vierge, une rosé rouge était posée, fraîchement coupée. A quoi la mère comprit qu’Imalda était venue là mais n’était point restée.
Où pouvait-elle bien être ? Jamais elle ne sortait dans la ville sans être accompagnée d’une servante, et surtout jamais sans en avoir demandé la permission. Le gardien de la porte ne l’avait pas vu passer. Et le père qui n’était pas là, en train — une fois de plus — de se battre, avec ses hommes, dans la plaine du côté de Padoue ou de Venise !
Mais, peu après, deux religieuses vinrent heurter le marteau du lourd vantail blindé de fer forgé. Elles portaient la robe blanche et le manteau noir des filles de saint Dominique. Ce matin même, dirent-elles, tandis qu’elles sortaient de la chapelle, elles avaient entendu frapper à petits coups à la porte du couvent. Imalda était sur le seuil, si menue, si fragile… Mais quand on lui avait demandé pourquoi elle se trouvait là, elle avait répondu d’une voix si ferme et décidée que Madame la Prieure n’avait pas osé la renvoyer. Pour que cette petite fille fût venue, toute seule, demander à entrer au couvent, ne fallait-il pas que le Seigneur lui-même l’eût guidée ? La mère hésitait ; qu’allait dire son mari, en rentrant de ses batailles ? Bien sûr, sa colère serait grande : sa fille unique, religieuse ! Mais elle savait, elle, que l’âme de sa petite sainte, depuis longtemps déjà, appartenait au Christ, et elle accepta.
* * *
Ce fut ainsi qu’Imalda, à peine âgée de neuf ans, devint religieuse dominicaine. Bien vite elle fut la joie et l’exemple du couvent. La Prieure aurait voulu qu’elle restât à dormir la nuit au lieu de se lever pour chanter les offices, mais quand la communauté s’en allait, par les couloirs obscurs, puis le long du cloître, en silencieuse file, vers la chapelle, on voyait une petite silhouette, si minuscule, qui se glissait avec les autres,et, quand le chant des psaumes commençait, on distinguait sa voix cristalline s’élevant au-dessus de toutes. Elle qui avait connu dans la maison de ses parents l’éclat des richesses, et tout le luxe et tout le confort pos¬sibles, elle vivait désormais dans une cellule nue, où il n’y avait qu’un méchant lit de planches à paillasse, une table et une chaise, et, sur le mur, un crucifix fait de deux bâtons croisés. Magnifique exemple, et dont toute la communauté était dans l’émerveillement.
Cependant, à certains moments, les religieuses observaient une sorte de tristesse sur les traits de leur petite compagne. C’était au sortir de la messe, lorsque toutes venaient à la Sainte Communion et qu’Imalda, à cause de son jeune âge, n’avait pas pu y participer. Les enfants de notre temps ne peuvent pas bien comprendre cela, car ils ont la chance, tout petits, de recevoir la Sainte Hostie. Au temps où vivait Imalda, il fallait avoir quatorze ans pour y être admis. Et c’était de cela que la jeune religieuse se désolait.
Communier ! Nul mieux qu’elle ne comprenait ce que cela signifie de joie, de bonheur surnaturel ! Nul mieux qu’elle ne devinait les trésors que l’âme acquiert à l’instant même où le petit disque de pain est posé dans la bouche et que le cœur tressaille à la seule idée de porter en soi la chair du Seigneur Bien souvent, durant ses longues prières, Imalda avait rêvé de ce moment où Jésus lui-même lui serait accordé, où elle posséderait, au plus profond d’elle, le Sauveur du Monde, Dieu, celui qui a tant aimé les hommes qu’il a voulu se donner à eux. Viendrait-il, ce moment ? Ah, comme elle en avait hâte ! Et la tristesse qui se peignait parfois sur son doux visage n’avait pas d’autre cause : quand elle voyait les autres revenir de la Sainte Table, les yeux baissés, dans un magnifique recueillement, Imalda ne pouvait pas retenir ses larmes.
Mais Jésus, qui sait lire dans le secret des âmes, avait décidé que, pour elle, la date obligatoire de la quatorzième année serait avancée miraculeusement…
* * *
Le jour de l’Ascension, le 12 mai 1333, comme tous les ans, se célébrait au couvent de Sainte-Marie-Madeleine, chez les religieuses de Saint-Dominique, la belle cérémonie de la première communion. Venues de tous les quartiers de la ville, maintes fillettes de quatorze ans, habillées un peu comme des mariées, arrivaient, dès le matin, portant toutes de grandes brassées de lys qu’elles allaient, en entrant, déposer devant l’autel de la Sainte Vierge. Et la messe commença.
Dans sa stalle du chœur des novices, en robe de bure blanche, Imalda regardait. Elle regardait toutes ces jeunes filles qui s’apprêtaient à recevoir le corps du Christ ; comprenaient-elles ce qu’elles étaient sur le point de faire ? avaient-elles assez la certitude que l’événement qui allait s’accomplir pour elles était d’une importance capitale ? Elle les regardait… Peut-être certaines ne pensaient-elles qu’à leur belle robe, au voile de dentelle qui couvrait leurs chevelures bien coiffées. Et elle, elle, ah comme elle eût désiré se trouver parmi ces formes blanches ! ah de quel cœur elle eût accueilli Celui que le Prêtre allait donner à chacune !
Le moment de la communion vint. Deux par deux les jeunes filles s’approchèrent de l’autel, lentement, pendant que le chœur des religieuses lançait vers la voûte le plus beau, le plus joyeux des Psaumes. Mais la voix pure d’Imalda n’était point, pour une fois, mêlée à celle des autres. Sa tristesse avait été la plus forte. Ecroulée à genoux sur les dalles de la chapelle, la tête dans ses mains, elle pleurait.
Alors… ce fut un spectacle si stupéfiant que, d’un seul coup, le chœur des religieuses s’arrêta de chanter. Un silence profond s’abattit sur l’église ; l’assistance toute entière sembla se retenir presque de respirer. Du Saint Ciboire dans lequel le Prêtre puisait, l’une après l’autre, les hosties consacrées pour les poser entre les lèvres des communiantes, une d’elles venait de se détacher. Elle s’était littéralement envolée, comme si une main invisible la tenait, la main d’un ange peut-être, l’emportant haut dans les airs. Un court instant on vit l’hostie flotter au-dessus de l’autel, puis glisser vers le chœur des religieuses, franchir la grille qui le séparait du reste de l’église… Toute l’assistance la suivait des yeux, blanche petite tache de lumière, qu’un rayon mystérieux semblait accompagner.
En voyant l’hostie miraculeuse s’avancer vers elles, les religieuses furent bouleversées. Les unes tendaient les mains dans sa direction ; d’autres se laissaient tomber sur le sol, prosternées, pleines de crainte. Une seule forme, dans les stalles, n’avait pas bougé : la petite Imalda qui, toujours agenouillée, priait et pleurait sans faire nulle attention à ce qui se passait autour d’elle. Mais, comme si elle avait su exactement où elle devait aller, ou toujours portée par la main invisible, l’hostie s’immobilisa. A quelque vingt centimètres au-dessus du front de l’enfant, elle demeura suspendue en l’air, et au moment où elle s’arrêta ainsi, une lumière surnaturelle jaillit d’elle, éclaira toute cette partie du chœur, qui était fort sombre, en même temps qu’une odeur suave se répandait.
Personne n’osait bouger. Personne n’osait surtout toucher la petite sainte qui, plongée dans une extase, ne faisait plus aucun mouvement. Mais le miracle durait. Des minutes passaient : l’hostie était toujours là, entre ciel et terre, visiblement décidée à désigner la petite forme agenouillée. La Prieure enfin fit un signe. Le prêtre qui, à l’autel lui aussi frappé de stupeur, considérait la scène, immobile, prit une patène, — cette sorte de petit plateau d’or ou d’argent sur lequel on pose les hosties, — et il s’approcha. Docile, l’hostie du miracle se laissa saisir et placer sur la patène. A ce moment, Imalda releva la tête. Elle avait les yeux clos, les lèvres entr’ouvertes, comme si elle allait recevoir la Sainte Communion. Le prêtre comprit et obéit à l’ordre silencieux… Il fit communier la trop heureuse enfant.
* * *
Ce fut alors, dans l’église entière, un instant de joie sans pareille, d’exultation. Le chœur des religieuses entonna avec ferveur le plus beau des chants de gratitude, celui du « Magnificat » : « Elle glorifie le Seigneur, mon âme, et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur la plus humble de ses servantes. Ah, comme je suis contente, moi que les hommes nommeront bienheureuse… »
Seule, Imalda ne semblait point participer du tout à cette joie. Elle avait de nouveau baissé la tête et paraissait profondément absorbée dans ses actions de grâces. Nul ne voyait son visage ; elle ne faisait aucun mouvement. Certainement, pensa-t-on, elle est encore perdue dans son extase ; elle vit en ce moment la plus belle heure de sa vie ; elle a le Christ en elle, et par un miracle à nul autre semblable… Mais les minutes passaient, puis les quarts d’heure. Une sourde inquiétude commençait, à peser sur l’assistance. La Prieure alors se leva de sa place, traversa le chœur, s’approcha de la petite sainte prosternée. Elle la toucha. Imalda ne bougea pas. Deux religieuses, croyant peut-être à un malaise, lui relevèrent la tête. Et la tête retomba et l’enfant s’affaissa entre leurs bras.
Imalda, la miraculée de l’Hostie, était morte. Celui à qui elle avait tant voulu appartenir l’avait prise avec lui pour toujours. Et sur les traits de la petite morte se lisait une joie qui n’appartenait plus à la terre, une céleste félicité.
Daniel-Rops.
Un pur bonheur de retrouver dans l’histoire d’Imalda, l’émotion d’un cœur d’enfant.
Remonte alors, d’un lointain passé, le souvenir béni de ma ” »Première Communion » à sept ans…
Seigneur, garde-moi mon cœur d’enfant !
Merci à l’ami qui nous conduit à cette prière.
Merci beaucoup pour ce beau message.
Puis-je en profiter pour confier à votre prière, ma fille de sept ans qui va faire sa première communion le 15 août.
Amicalement
Le raconteur
merci seigneur de me donner de lire en ce jour bénie ce beau message. que dieu dans sa grande miséricode me donne un jour de communier dans une parfaite grâce. sainte Imalda prie pour moi !
Oui, l’Église nous présente les saints pour qu’ils nous servent de modèle dans notre vie quotidienne.
Effectivement la petite Imelda est un si bel exemple de communion !
On peut trouver au Éditions du Parvis en Suisse, une neuvaine à cette petite Sainte (https://www.parvis.ch/fr/images-prieres-priants/bienheureuse-imelda).
Puisse Jésus faire aimer la communion et non la fête de baptême à mon fils Jordy et son cousin Yoann qui se baptisent ce 09 mai 2021.