La clairière aux biches

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Dans la salle basse, le vieux fer­mier sou­pire, sa femme pleure, ses enfants n’osent souf­fler mot.

« S’il faut pas­ser comme ça…

— Chut… Si les « bleus » t’entendaient… »

histoire sainte pour le catéchisme : Paysan VendéeL’ombre de la guillo­tine rap­pelle la pru­dence néces­saire les espions de la Conven­tion sont par­tout, le moindre regret accor­dé au Roi ou à la reli­gion peut mener à la pri­son et à la mort… Les prêtres sont dépor­tés, les églises closes ou pro­fa­nées, les cloches envoyées à la fon­de­rie. Pour la pre­mière fois, on va pas­ser Pâques sans carillon, sans messe, sans Hos­tie… et celui qui serait pris à s’en­di­man­cher ou à obser­ver le repos serait accu­sé d’in­ci­visme, condam­né pour fana­tisme… Sur tous les foyers de la chré­tienne plane la même désolation…

Mais un petit gars, fier et grave, trotte par les che­mins détrem­pés, heurte les portes, mur­mure quelques mots et pour­suit sa course ; ain­si va, de bouche à oreille, le mys­té­rieux message :

« Cette nuit, à la Clairière-aux-Biches… »

Et, la nuit venue, des ombres silen­cieuses se glissent sans lan­terne vers le mys­té­rieux ren­dez-vous, au plus épais de la forêt…

* * *

« In nomine Patris, et Filii, et Spi­ri­tus Sancti… »

Un fris­son secoue l’as­sem­blée : ah ! que c’est sou­dain pré­cieux et émou­vant, une messe !… Le prêtre sort de quelque cachette où il se terre pour échap­per aux recherches. Sur un hêtre abat­tu, il a posé la pierre sacrée, un cru­ci­fix, un calice, des hos­ties sur sa patène, et deux verres en guise de burettes ; deux cierges cli­gnotent dans la nuit, si petits qu’on ne les aper­çoit plus à vingt pas ; et c’est ce qui convient, car des « sans-culottes » rôdent peut-être aux alen­tours… Sur cha­cun des che­mins abou­tis­sant à la clai­rière, un homme guette, l’o­reille ten­due, le regard scru­tant les ténèbres : de sa vigi­lance dépend la vie des deux cents pay­sans ras­sem­blés ici…

Avant la messe, le prêtre les a tous confes­sés, et les cœurs puri­fiés chantent avec lui le « Glo­ria » que les lèvres ne laissent point pas­ser. Un chant les tra­hi­rait, oui, pour sûr : Gloire à Dieu, mal­gré la Conven­tion, les « sans-culottes » et la guillo­tine par­tout dres­sée pour qui croit en Lui ! La foi gran­dit de tout le péril cou­ru pour elle.

Histoire pour les enfants - Pâques durant la Terreur - guerre de Vendée

Mais voi­ci que l’a­co­lyte est allé consul­ter les guet­teurs et rap­porte la réponse : tout semble calme. Alors, le prêtre fait un signe et tous se serrent autour de lui pour entendre sa parole « Frères bien-aimés, le moment est venu de nous deman­der si vrai­ment, pour ceux qui Le servent, Dieu est pré­fé­rable à la vie et aux flat­te­ries des clubs et comi­tés. Votre pré­sence me prouve que vous avez choi­si ; vous Lui restez »

La voix étouf­fée dit des choses simples, venues direc­te­ment du ciel dans le cœur du prêtre sanc­ti­fié par la souf­france ; et ces paroles touchent pro­fon­dé­ment les âmes pré­pa­rées par la foi et le danger.

* * *

« Orate, fratres… »

Oh ! Comme ils prient, ceux-là qui seront peut-être en pri­son demain, pour avoir seule­ment tenu, cette nuit, à faire leurs Pâques !… Là-bas, les guet­teurs fouillent le silence et l’obs­cu­ri­té. Une branche craque… un bruis­se­ment effleure le taillis… doivent-ils don­ner l’alarme ?

Le Sacri­fice s’a­chève. Les fidèles, à genoux sur la terre humide, serrent leurs rudes mains sur un cœur renou­ve­lé par la pré­sence de Jésus, force des mar­tyrs… Sera-ce leur der­nière com­mu­nion ? Nul ne le peut dire, le dan­ger est par­tout… Mais main­te­nant qu’ils portent Dieu en eux, ils sont prêts…

« Ite, mis­sa est… Frères, ne par­tez pas encore ; signa­lez-moi vos malades, pour que j’aille les voir.

— Oh ! Père, c’est trop risqué…

— Florent ; les malades ont besoin du par­don et de la force de Dieu. Tant pis si je suis pris en les leur por­tant : j’irai.

— Alors… y a le domes­tique des Mauges qui ne va pas…

— Puis ma grand’­mère, au Pertuis…

— Père, not’­fille vient d’a­voir un petit gars : fau­drait l’baptiser…

— Et nous, mur­mure gau­che­ment un grand gar­çon ame­nant sa pro­mise par la main, on vou­drait s’ma­ri­cr avant les foins »

A la der­nière lueur du cierge, le prêtre note, note…

« J’i­rai, mes amis ; bien­tôt, oui, je vous le pro­mets, et je revien­drai vous dire la messe. Com­ment va le père, ma bonne Mar­tine ?… Et chez vous, Lefranc ?…

— Mais vous, not’­bon Père, dites-nous un peu… »

Récit pour la fête de Pâques - sentier de Cadoudal - Locoal-MendonOn vou­drait par­ler encore : pas­teur et fidèles ont tant de choses à se confier !… Mais un guet­teur, la mine grave, vient tou­cher de deux doigts le bras du prêtre.

« La nuit pâlit… On entend toutes sortes de bruits dans les four­rés ; fau­drait point vous attar­der, Père… »

Une femme emporte le calice et les ornements :

« Soyez tran­quille, Mon­sieur le Curé, on les cache­ra chez nous ; et si jamais on est pris, on n’di­ra rien d’vous !

— Mer­ci, mer­ci, mes bons amis. Adieu !… Et pas de mau­vaise ren­contre, surtout !

* * *

Cinq minutes plus tard, la Clai­rière-aux-Biches est déserte. Mais dans les sentes fores­tières, des groupes s’en retournent, silen­cieux et recueillis

« Écoute… » mur­mure tout bas la Mère Yvonne…

Quelque chose a bou­gé dans les buis­sons, et ce peut être la mort… Mais la petite Jean­nette a pris le bras de sa mère et réplique avec un pai­sible sourire :

« Qu’est-ce que ça fait, main­te­nant qu’on a fait nos Pâques ?… »

En véri­té, oui, mou­rir, qu’est-ce que ça fait, quand on est dans l’a­mi­tié de Dieu…

Rose Dardennes.

Sous la terreur - Coeur Vendéen

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