Chapitre X
Colette ne se doutait guère qu’un surcroît de besogne bien inattendue allait chasser très loin le fameux « cafard ».
Rentrant d’une course à travers bois, à la recherche des premières violettes, elle s’arrête à la porte du petit salon, toute surprise d’y voir son bon vieux pasteur avec André, disparaissant tous les deux sous la charge d’énormes paquets plus ou moins bien ficelés.
— Bonjour, monsieur le Curé ; qu’est-ce que c’est que tout ça ?
— Bonjour, ma petite fille. Tout ça, c’est de l’ouvrage pour vous.
— Pour nous ! Faites voir bien vite.
Et Colette, qui n’a jamais su attendre, se précipite sur le plus gros colis.
— Doucement ! doucement ! C’est la chape pour Monseigneur !
— Pour Monseigneur ! Vous allez lui donner une chape ?…
— Qu’en ferait-il, mon Dieu ? Pauvre Monseigneur ! Je ne le vois pas recevant semblable cadeau. C’est déjà bien assez humiliant de penser qu’il le portera quelques instants.
— Mais où ?… mais quand ? monsieur le Curé ?
— Mais ici, dans mon église. Ce n’est pas une petite affaire, je t’assure. Le curé de Saint-Sauveur est malade, transporté dans une clinique, et la Confirmation qui devait avoir lieu chez lui sera donnée dans mon église. Il va falloir remettre en état tous les ornements dont se servira Monseigneur : chape, surplis, rochet, étole, écharpe, que sais-je ? Brigitte a complètement perdu la tête ; et je ne suis pas loin d’en faire autant.
— Oh ! elle est solide, votre tête, monsieur le Curé, riposte Colette, avec de la malice plein les yeux, et moi je trouve cette affaire très, très amusante. Il faut rassurer Brigitte. Vous verrez si nous allons vous arranger tout cela, maman et moi !
Le soir même, les deux ouvrières se mettent à la besogne. Colette essaye en vain d’étaler la fameuse chape sur la table.
— Cette chape est écrasante, maman, elle déborde de partout. Pourquoi est-elle si large ?
— Parce que c’est un « manteau de dignité »… Le prêtre la revêt, comme les grands dignitaires d’un pays mettent un manteau de cour pour aller chez le roi. Elle s’attache sur la poitrine par des agrafes et se double par derrière de cette sorte de pèlerine qu’on appelle chaperon. Le chaperon a une frange d’or ou de soie et rappelle le capuchon qui s’ajoutait autrefois au manteau.
— Il me semble que la chape ne sert pas très souvent.
— A l’aspersion de la Grand’messe, aux processions solennelles, aux vêpres, aux saluts du Saint Sacrement. C’est pour le salut que Monseigneur mettra celle-ci.
— Pas pour donner la confirmation ?
— Non ; habituellement Monseigneur porte seulement le rochet et l’étole.
— Le rochet, qu’est-ce que c’est que cela ?
— Tiens, en voilà un.
— Mais c’est un surplis.
— Pas tout à fait. Le surplis a des manches très larges, il est fait en fin linon de fil uni, que l’on repasse en le plissant avec soin. Les prêtres et tous les clercs, c’est-à-dire même les séminaristes, le portent pendant les offices ou lorsqu’ils remplissent la plupart des fonctions de leurs ministères. Le rochet, au contraire, est souvent orné de broderies ; il a les manches étroites : il est réservé aux chanoines, aux évêques et autres dignitaires de l’Église.
A cet instant, la porte s’ouvre : Pierrot apparaît, traînant dernière lui un vieux rideau de soie.
— Pierrot, d’où viens-tu ? Qui t’a donné ce rideau ?
— Personne ; je l’ai pris.
— Comment, pris ? Tu ne l’as pas décroché tout seul ?
— Si.
— C’est impossible.
Et maman, devenu sévère, ajoute d’un ton ferme :
— Explique-toi.
— Marianick lavait les carreaux dans la chambre de réserve ; elle a laissé l’échelle et j’ai enlevé le rideau.
— Mais pour quoi faire, enfin ?
— Parce que personne ne m’a rien demandé, à moi, pour Monseigneur. Vous couriez partout avec Colette chercher des doublures. Celle-ci est belle, elle est en soie ; alors je l’ai décrochée, et la voilà.
Maman, explique à petit Pierre qu’on ne fait rien de bien, quand on a sept ans et qu’on agit sans permission, et tout bas lui rappelle qu’il a de sérieux efforts à faire sur ce point.
Mais on ne se convertit pas en un jour ! Déconfit, Pierrot se blottit dans un coin et boude un peu.
— Avec toutes ses histoires, maman, Pierrot nous fait perdre notre temps, dit Colette agacée ; nous n’avons pas regardé l’écharpe, et elle a l’air en bien mauvais état.
— Non, elle a seulement besoin de quelques points de couleur dans la broderie. Ce sera vite fait. Dis-moi, en passant : tu sais à quoi sert cette écharpe, de son vrai nom, voile huméral ?
— Le prêtre la met pour donner la bénédiction du Saint Sacrement.
— Plus exactement, il s’enveloppe les mains dedans, par respect, pour prendre l’ostensoir, que ce soit pour bénir les fidèles ou pour porter le Bon Dieu en procession. Il prend encore le voile huméral pour recouvrir le Saint Sacrement, quand il le porte à un malade ou encore d’un autel à un autre. Tu vois que cette écharpe mérite tous nos soins, puisqu’elle approche si près du Bon Dieu.
— Voyons maintenant l’étole. Mais elle est encore très belle ! Il n’y a presque rien à lui faire. Te souviens-tu que les étoles sont de deux sortes ?
— Pas du tout, maman.
— Il y a l’étole que le prêtre croise sur sa poitrine pour dire la Messe, et qui est assortie aux ornements du jour ; nous en reparlerons ; et puis l’étole pastorale qu’on laisse pendre sans la croiser. Elle sert pour administrer les sacrements, et dans certaines fonctions sacrées. C’est celle-ci. L’étole, comme presque tous les objets liturgiques, est un symbole des pouvoirs accordés à celui qui la porte ; elle a pour but de nous rappeler l’immortalité que Jésus Notre-Seigneur nous a conquise, en nous rachetant de la faute d’Adam.
Puisque nous travaillons pour Monseigneur, rappelle-toi qu’il porte les insignes spéciaux de sa dignité épiscopale. Peux-tu me les citer ?
Colette réfléchit :
— Peut-être pas tous. Je suis sûre de la croix d’or, qu’il a sur la poitrine.
— C’est la Croix pectorale, la marque particulière du caractère épiscopal. Elle contient souvent des reliques enchâssées.
— Ça, par exemple, je n’en savais rien. Il y a aussi l’anneau.
— Signe de l’autorité de l’évêque et de son union avec cette partie de l’Église qui s’appelle son diocèse, et qui lui a été confiée.
— Et puis la mitre, et puis la crosse.
— La mitre est un ornement d’honneur, un signe de puissance, et la crosse, tu le comprends toute seule, symbolise la houlette du pasteur. L’évêque est le pasteur de toutes les âmes de son diocèse qu’il doit conduire à Dieu. Reste encore le bougeoir à long manche que l’on tient allumé près de l’évêque, quand il lit, en signe d’honneur… Tu devines bien, Colette, que ces insignes, comme le vêtement, les bas, les gants violets de l’évêque, lui sont donnés pour révéler, aux yeux des fidèles, la grandeur de son caractère épiscopal. Mais, ces signes extérieurs, si utiles à notre pauvre nature humaine, qui a un tel désir de voir, ne changent rien à la valeur intérieure et au caractère du prêtre qui en est revêtu.
Au Mexique à l’époque des persécutions, la tête de l’admirable archevêque de Guadalajara, monseigneur Orozco, a été mise à prix. Tu penses qu’il ne s’est pas fait voir en soutane violette ?
— Sa tête mise à prix ? Maman, mais ça veut dire qu’on paierait celui qui le tuerait ? C’est horrible !
— Oui, c’est horrible. Mais je t’assure qu’il n’a pas tremblé. Il habitait une petite hutte, à moitié sous terre. Une première pièce étroite lui servait de bureau et de chapelle. Le Saint Sacrement était caché là, dans l’enfoncement d’une muraille. A côté, une autre pièce plus petite encore. C’est la chambre à coucher. Un Américain catholique était arrivé à pénétrer jusque-là et il y avait rencontré l’archevêque, sous l’apparence d’un homme si pauvrement vêtu que, pour se faire reconnaître, il a dû, en souriant, glisser à son doigt son anneau. Devant ce signe révélateur, le visiteur est tombé à genoux aux pieds de cet évêque si grand dans sa pauvreté. Et c’est de cette cabane que monseigneur Orozco allait, venait et partait visiter son diocèse, pour soutenir la Foi et l’énergie de tous, comme jadis les apôtres aux premiers temps de l’Église.
* * *
On entend petit Pierre qui marmotte, dans son coin, sentencieusement, se parlant à lui-même :
— « C’est » tout de même les courageux qui font les plus belles choses !
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