De Constantinople à Rome

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Petite Histoire de l'Église illustrée .

Temps de lec­ture : 11 minutes

∼∼ V ∼∼

Le temps demeure splen­dide. Ces huit jours en mer sont un enchan­te­ment. Pen­dant la tra­ver­sée des Dar­da­nelles, Jean ne quitte pas les scouts et leur aumô­nier. Moins peut-être pour entendre évo­quer les sou­ve­nirs du pas­sé que ceux de la der­nière guerre, en regar­dant se dérou­ler la côte aride et nue, où débar­quèrent tant de Fran­çais héroïques, échap­pés aux sous-marins allemands.

Puis c’est la mer de Mar­ma­ra et enfin les côtes d’Eu­rope et d’A­sie se rap­prochent, au point de se tou­cher presque, à peine divi­sées par le Bosphore.

Colette réclame une carte, elle ne peut pas se croire si loin et veut voir exac­te­ment où l’on est.

Le capi­taine, ses ordres don­nés, explique aima­ble­ment que l’on arri­ve­ra dans quelques ins­tants à Constan­ti­nople, dont déjà les mina­rets se dressent éblouis­sants dans la lumière.

Les enfants n’ou­blie­ront jamais la visite de cette ville immense, mer­veilleuse, qui leur appa­raît comme quelque chose de fée­rique. Colette a entre­pris d’é­crire ce qu’on lui a expli­qué en face de tant de monu­ments dont elle se sent inca­pable de rete­nir les noms, et le soir, elle « met au propre » sur un petit car­net le résul­tat de son savant travail.

Histoire de l'Eglise pour les scouts
Déjà les mina­rets se dressent éblouis­sants dans la lumière.

Elle empor­te­ra le petit car­net à Rome pour Annie et Ber­nard, qu’on aura la joie de retrou­ver dans la ville des papes, et puis ensuite, en France, pour son cher vieux mon­sieur le Curé…

Pen­dant ce temps, le navire a repris la mer en sens inverse. Jean reste un peu sur le pont avec son père. A mesure que l’ombre vient, la ville et les côtes reflètent leurs mil­liers de lumières dans l’eau pai­sible. C’est un spec­tacle de rêve. Petit à petit tout s’é­loigne, s’es­tompe et dis­pa­raît dans l’at­mo­sphère pro­fonde lumi­neuse et fraîche de cette nuit d’été.

Jean res­te­rait bien là jus­qu’au matin, mais il faut des­cendre et sage­ment se repo­ser. La jour­née sui­vante pas­sée au large semble un peu longue ; le sur­len­de­main, de très bonne heure, papa réveille les enfants :

— Levez-vous, mes petits, nous tou­chons le Pirée, c’est-à-dire le port d’.

En effet le navire vient de ralen­tir son allure. Pen­dant près d’une demi-heure il glisse len­te­ment sur la mer d’un bleu intense, laquelle repose, comme endor­mie, au pied d’un grand amphi­théâtre blanc, que domine l’O­lympe. C’est admi­rable d’har­mo­nieuse beauté.

A regret, l’on des­cend, pour prendre le petit train élec­trique qui attend pai­si­ble­ment les voyageurs.

La troupe des Rou­tiers ajuste la bre­telle à l’é­paule et s’é­branle. Jean a encore obte­nu de la suivre.

Mais Colette n’a aucun désir d’en faire autant. Elle a pas­sé son bras sous celui de sa mère qu’elle sait fatiguée.

— Si nous nous asseyions là, maman, sur ce banc à l’ombre ? La vue est si jolie, nous serions bien tran­quilles avec Pier­rot, pen­dant que Ber­na­dette irait à la décou­verte avec papa.

— Mais je ne veux pas te pri­ver de les suivre.

— Non, j’aime mieux res­ter avec vous, et puis nous cau­se­rons, nous deux.

Et Colette, câline, quête un bai­ser. Petit Pierre aus­si­tôt en fait autant, si bien que maman s’ins­talle sou­riante entre ses deux benjamins.

— Sais-tu, Colette, qu’en­vi­ron vingt ans après la mort de Jésus, vint ici. Tiens, regarde ce rocher escar­pé ; mal­heu­reu­se­ment on ne peut dis­tin­guer de loin un esca­lier creu­sé dans le roc. Si nous y allions, nous y ver­rions des sièges taillés dans le roc aus­si. C’est là que sié­geait le fameux tri­bu­nal grec, l’A­réo­page devant lequel parut saint Paul. A ces juges res­pec­tables, l’a­pôtre dit : « Athé­niens, je vous trouve plus reli­gieux que les autres peuples. En par­cou­rant votre ville,… j’ai ren­con­tré même un autel avec cette ins­crip­tion : A un Dieu incon­nu. — Ce que vous ado­rez sans le connaître, je viens vous l’annoncer. »

Et saint Paul leur explique la doc­trine chrétienne.

— Est-ce qu’ils l’ont cru, maman ?

— Bien peu d’entre eux, mal­heu­reu­se­ment. Pour­tant, c’est alors que saint Paul conver­tit Denis l’A­réo­pa­gite, une femme nom­mée Dama­ris et quelques autres. D’A­thènes, il pas­sa à , et là il fit de nom­breuses conversions.

Colette plisse les sour­cils, signe non équi­voque de réflexion.

— Tiens, mais alors, quand on lit dans son parois­sien : «  de saint Paul aux Corin­thiens, » est-ce que cela veut dire que saint Paul écri­vait des lettres aux gens de Corinthe ?

— Par­fai­te­ment. Quand , saint Paul et saint Jean quit­taient des villes ou des pays qu’ils venaient de conver­tir, pour sou­te­nir les nou­veaux chré­tiens, pour les gron­der au besoin, quand ils n’é­taient pas fidèles, ils leur écri­vaient. Ces lettres ou épîtres consti­tuent avec les Évan­giles, les Actes des Apôtres et l’A­po­ca­lypse, le Nou­veau Testament.

Histoire de l'Eglise primitive
« Ce que vous ado­rez sans le connaître, je viens vous l’annoncer. »

Colette est très inté­res­sée, mais Petit Pierre ne com­prend pas grand’­chose à tout cela. En revanche, il a très faim ; maman avise une pâtis­se­rie toute proche, d’où l’on guette le retour des explorateurs.

Puis, il faut s’embarquer de nou­veau. On longe les côtes de Grèce au milieu d’une lumière admi­rable. Tan­tôt c’est la dou­ceur des teintes mati­nales, tan­tôt l’ar­deur d’un soleil de feu ; quand vient le soir, la mer a des reflets étranges, mélan­gés de bleu, de vert ou de vio­let, jus­qu’à ce qu’elle devienne toute mauve, puis grise, à mesure que s’ef­face le soleil couchant.

Mais voi­ci qu’en nuit, dans la mer Ionienne, le temps se gâte brus­que­ment. Le vent a sau­té ; bien­tôt ce sont de vrais mugis­se­ments de tem­pête. Tout le monde se réveille, l’on entend les allées et venues des mate­lots et des offi­ciers. Une angoisse enva­hit les pas­sa­gers. Papa, inquiet, monte sur le pont. Au même ins­tant, une sirène lance lugu­bre­ment son appel.

Colette fré­mis­sante se blot­tit près de sa mère. On s’ha­bille en hâte, on se réunit dans une même cabine, priant, convain­cus qu’on va som­brer. Mais papa redescend.

— Ne vous inquié­tez pas. Il n’y a aucun dan­ger pour notre paque­bot, mais c’est, à quelque dis­tance de nous, un navire en détresse. Nous allons essayer de lui venir en aide. Res­tez tous bien tran­quille­ment ici, et réci­tez le cha­pe­let pour les pauvres diables qu’il faut ten­ter de res­ca­per. Je cours don­ner un coup de main là haut.

Pen­dant près de deux heures, qui semblent indé­fi­nies, le com­man­dant, admi­rable de pré­ci­sion, de fer­me­té et d’éner­gie, décuple la valeur de ses hommes et dirige le sau­ve­tage. Sous les hur­le­ments du vent et à tra­vers des vagues furieuses, les barques sont manœu­vrées avec un cou­rage aus­si calme que magni­fique. Enfin, au petit jour, tous les nau­fra­gés sont à bord, et le vent s’a­paise. A mesure que la lumière monte à l’ho­ri­zon, on dis­tingue mieux le pauvre voi­lier qui gît, lamen­table, désem­pa­ré, ayant don­né sur un rocher.

Le navire reprend main­te­nant sa route, mais, comme on le pense bien, cette alerte fait le sujet de toutes les conversations.

Cha­cun reste ému de ce qu’il a vu. Après le déjeu­ner, alors que l’on dis­cute sur ce qu’il advien­dra du voi­lier, Jean dit :

— Si c’est par un temps comme celui de cette nuit que saint Paul est venu à Rome, ça ne devait pas être drôle ! Il est vrai qu’il était cou­tu­mier des nau­frages, puis­qu’il parle de trois.

— Et saint Pierre ? réclame Colette. Est-ce qu’il n’a pas fait aus­si de ter­ribles traversées ?

— Mais oui, saint Pierre a affron­té bien des fois la mer, quoi­qu’il ne le raconte pas. Il est venu à Rome, tout comme nous y allons, en bateau. Avec cette dif­fé­rence que sa barque devait être d’une effrayante pau­vre­té, ris­quant à tout moment de sombrer.

— Bah ! ajoute Jean, la barque de Pierre, ça ne sombre pas !

— De fait, l’a­pôtre a gagné Rome. Il y entre pauvre, incon­nu ; il est sans doute accom­pa­gné de Marc son dis­ciple, et se dirige vers le quar­tier misé­rable où logent les Juifs. Qui eût dit aux princes et aux empe­reurs d’a­lors que l’ar­ri­vée de cet humble voya­geur était un évé­ne­ment infi­ni­ment plus grand que les triomphes de tous les conquérants !

— Dites, papa, saint Jacques tué par Hérode, les Apôtres dis­per­sés, il ne reste plus per­sonne à  ?

— Vous sou­ve­nez-vous que Jésus avait pleu­ré en regar­dant la ville et le Temple. Il pré­voyait le châ­ti­ment qui allait détruire la ville sainte. Bien­tôt les Romains en feront le siège. Mal­gré une résis­tance déses­pé­rée des Juifs, il n’en res­te­ra pas « pierre sur pierre ». Une famine épou­van­table va déci­mer les habi­tants ; beau­coup seront cru­ci­fiés par leurs vain­queurs. 500 000 Juifs péri­ront alors, 100 000 seront ven­dus comme esclaves, on en don­ne­ra jus­qu’à trente pour un denier.

— Ah ! dit Colette son­geuse, eux, ils avaient ven­du Jésus pour trente deniers !…

— Reve­nons aux saints voya­geurs des pre­miers temps de l’É­glise, mes enfants. Une pieuse croyance fait sup­po­ser que Lazare et ses sœurs Marthe et Mag­de­leine ont abor­dé en Pro­vence, chez nous, en France. Nous pas­se­rons par là en ren­trant, peut-être, car nous tou­chons nous-mêmes à la fin de ce long voyage. Voyez, nous entrons dans le détroit de Messine.

On se pré­ci­pite sur la carte. Comme ce sera vite fait main­te­nant, Mes­sine, Strom­bo­li, Naples. Encore une jour­née… et puis on débar­que­ra définitivement.

En pas­sant devant Syra­cuse, les yeux encore brû­lés par le soleil d’O­rient, nos amis sont sai­sis par la légè­re­té de l’at­mo­sphère. La baie est déli­cieuse. A l’ho­ri­zon, des monts gris-bleus ; à leurs pieds, des lignes de bois qui rap­pellent la fraî­cheur. Par­tout, accro­chés au-des­sus d’une sorte de bou­le­vard, de vieilles églises blanches. C’est l’I­ta­lie, en atten­dant la France. Plus tard, la petite île de Capri se dresse, iso­lée, toute bleue dans le ciel bleu. Puis voi­ci Naples. On regarde un peu comme dans un rêve le Vésuve, qui se des­sine là-haut. Les doua­niers et les gen­darmes se pro­mènent sur le quai, en gants blancs, por­tant de beaux bicornes galon­nés. Mais toute la pen­sée des voya­geurs est concen­trée sur l’es­poir tout proche de retrou­ver à Rome la famille aimée, tante Jeanne et les cou­sins, venus pour voir Yvon.

Avec quelle joie on saute dans le train. Debout, dans le cou­loir, Colette et Jean en tré­pignent presque. Enfin, Rome appa­raît,… la gare,… le quai… Sont-ils là ? Oui ! Tout juste… les voilà !

Mais qui est ce grand abbé si mince, à côté de tante Jeanne ?

Yvon ! c’est Yvon ! Colette en perd la res­pi­ra­tion. Ce sémi­na­riste de 22 ans lui ins­pire presque autant de res­pect que son bon vieux curé de France. Et Annie qui a presque l’air d’une demoiselle !

Et Ber­nard ? Oh ! celui-là on le recon­naî­trait au bout du monde. Les yeux far­ceurs ont conser­vé leur franc regard, l’al­lure est comme tou­jours d’un entrain endia­blé ; tan­dis que cha­cun se congra­tule, ce grand gar­çon a fait signe à une voi­ture, y entasse les petits bagages, arrache à Maria­nick son gros sac, l’embrasse sur les deux joues (Maria­nick, pas le sac) et se trouve assis à côté de Colette, quand la voi­ture démarre.

Muette d’ad­mi­ra­tion, Colette contemple son cou­sin ; enfin elle arti­cule sentencieusement.

— Hé bien, tu sais, Ber­nard, dans tout le voyage je n’ai trou­vé per­sonne d’aus­si débrouillard que toi, non, pas même le chef rou­tier des grands scouts !


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