Fête des Mères
« Vite, vite » chante le vent, en se faufilant entre les branches.
« Dépêchez-vous ! » se chuchotent les roses des buissons.
« C’est bientôt ! bientôt ! bientôt ! » carillonnent les clochettes des muguets.
« Dans quinze jours ! » grogne Médor qui se couche en rond devant sa niche.
« Mais quoi ?… Quoi ?… Quoi donc ?… Quoi donc ?… Pourquoi faut-il se dépêcher et qu’arrive-t-il dans quinze jours ? » questionne Pipiou, le moineau étourdi, en sautillant des rosiers aux muguets, et des muguets à la niche de Médor.
« Ne t’agite donc pas comme cela ! intervient le vieux pommier. Viens te percher sur une de mes branches. Tiens-toi tranquille ; écoute, étourneau : comment ne sais-tu pas que dans quinze jours c’est la fête de Madame Ladouceur, dame et maîtresse de la villa Clairjoye, si bien nommée, et maman de Pauline, Denis, Jean-Guy, Florent et de la toute petite Christelle ?
- Ah ! c’est la fête, chic alors ! Il y aura des gâteaux et on me donnera les miettes.
- Il n’y a pas seulement à songer aux pâtisseries, rétorque sévèrement le pommier ; mais à fêter dignement Madame Ladouceur.
- Pourquoi donc faut-il se dépêcher ?
- Pour les cadeaux, pardi ! Pauline, Denis, Jean-Guy, Florent et même Christelle veulent chacun offrir un présent à leur maman.
- Quel présent ?
- Curieux ! Eh bien ! va voir ; tous travaillent dans le jardin. »
Le moineau s’envole, intéressé. Il va rendre visite à la toute petite Christelle qui, assise sous la tonnelle, tire un petit bout de langue rose en recopiant le compliment qu’elle récitera. Puis, tout en sautillant, il suit Jean-Guy dans ses allées et venues le long de la haie.
Le garçon se promène à grands pas, en faisant des gestes impétueux et en lançant vers le ciel de printemps des phrases bizarres… Chut ! doucement… Pipiou s’éloigne, ne troublons pas Jean-Guy ! il compose un poème.
Voletant de-ci de-là, l’oiseau est attiré par un fruit splendide, un fruit comme jamais dans sa courte vie de moineau il n’en a vu de semblable.
Aussi gourmand qu’étourdi, Pipiou fonce à tire-d’aile vers l’objet de sa convoitise qui repose doré, appétissant, sur un tapis vert.
Horreur !! Une énorme ombre noire et gesticulante vient soudain boucher l’horizon du moineau,
Effrayé, Pipiou ne doit qu’à la rapidité de ses réflexes d’exécuter le virage sur l’aile qui lui permet d’échapper à la collision. Le cœur encore battant, il vient se réfugier sur le toit du vieil appentis. Les yeux tout ronds du moineau s’étirent de stupeur : ce qu’il prenait pour un fruit posé sur la mousse est une plaque de carton que Denis, le premier fils Ladouceur, brandissant un drôle de petit balai, zèbre de coups rageurs.
C’est amusant à voir faire, et très instructif !…
Denis tient sur le bras une grande assiette brune, couverte de petits tas de couleurs ; de l’autre main, avec son petit balai, le garçon prend un peu de cette couleur et la pose sur le carton ; avec cela, il fait des fruits, des feuilles, des fleurs.
« Vraiment curieux ! songe Pipiou. Dommage seulement que ce jeune homme ne puisse travailler en silence : il ne cesse de siffler, et de siffler faux. »
Rien n’est plus horrible pour un moineau que d’entendre siffler faux ; Pipiou n’y peut tenir longtemps. Il s’envole. Du reste, il lui faut encore chercher dans les taillis Pauline et Florent.
Pipiou se met à la recherche de Florent. Entre nous, le troisième fils Ladouceur est le préféré de Pipiou.
Imaginez-vous que ce petit Florent n’a jamais effrayé les oiseaux. Mieux encore, l’hiver dernier il a soigné un pigeon blessé, et, après l’avoir guéri, lui a rendu la liberté.
Pipiou, confiant, s’approche en sautillant du buisson où s’est caché Florent.
Déception : le garçon tient en main un petit carré de bois qu’il lime attentivement.
Le moineau est déçu ; il espérait mieux ; et vite, il s’envole vers Pauline.
Voici Pauline… Sur ses genoux repose une minuscule boîte blanche et, à l’intérieur, lorsqu’elle l’ouvre, Pipiou aperçoit une belle chose d’or avec des étincelles bleues. De quoi rendre muette d’admiration et de convoitise la pie Noirinette qui, pourtant, a bien souvent peine à se taire.
Pauline regarde la chose avec des yeux brillants ; elle la tourne et la retourne, ne se lassant pas d’admirer ; mais c’est toujours pareil, Pipiou se lasse vite, et le voici bientôt faisant des loopings entre les branches du pommier.
La porte de la villa s’ouvre, Madame Ladouceur paraît sur le seuil.
« Ohé, les enfants ! Qui vient m’aider à accrocher le linge ? »
Silence…
Rien ne bouge au jardin fleuri ; on pourrait croire qu’il est désert. Comme à un signal, garçons et filles se sont arrêtés. Jean-Guy reste sur place, Denis ne siffle plus, Christelle rentre sa langue, Pauline referme l’écrin, tandis que Florent reste la lime en l’air.
Une fois encore, Madame Ladouceur répète son appel, puis, soupirant un peu, rentre à l’intérieur de la maison. Mais elle n’a pas le temps de fermer la porte : une petite silhouette escalade en trois bonds les marches du perron et se faufile dans l’entrebâillement.
Dans le jardin, Jean-Guy reprend sa promenade et Denis recommence à siffler (toujours aussi faux)… Pauline rouvre la boîte blanche, et Christelle ressort sa langue ; mais derrière les ocubas un petit carré de bois blanc gît sur le sol, juste à la place où se trouvait Florent.
Ce sont les muguets qui ont sonne le réveil, tintant énergiquement de toutes leurs clochettes. Aussitôt, les roses ont étiré leurs somptueuses robes. Médor, lui, ne dormait que d’un œil et, tout de suite, il a grogné.
« Ouah ! nous y voilà ! »
Des le premier clin d’œil du soleil, les volets ont claqué sur les murs. Du haut en bas de la maison, ce ne sont que dégringolades, escalades, cris, rires.
A midi, toutes les fenêtres étaient ouvertes. Les échos joyeux du repas réunissant toute la famille se sont envolés dans le vent. Le vieux pommier, en étirant une de ses branches, pouvait apercevoir la scène, et Pipiou, perché tout en haut, la commentait au jardin et à ses habitants.
Ce fut très bien, paraît-il ; Médor, en croquant les os du poulet, l’a affirmé, et même, ajouta Pipiou, au dessert Madame Ladouceur aurait versé dans chaque verre un peu de ce fameux vin qui fait de la mousse !…
Maintenant, voici l’instant, l’instant solennel de la remise des cadeaux. Jean-Guy, Pauline et compagnie se sont éclipsés quelques minutes ; ils reviennent à présent, fiers, porteur chacun d’un paquet joliment enrubanné. Jean-Guy se campe la main sur le cœur : il déclame le fameux poème… Il est question de dévouement inlassable, d’inépuisable bonté, de veilles, de soucis et de reconnaissance profonde. C’est très beau ; Pipiou le sensible en a les yeux tout picotants.
Pauline, triomphalement, agrafe au chemisier de Madame Ladouceur la broche aux brillants bleus.
Denis présente sa « nature morte », et franchement elle est réussie ! On reconnaît une pomme, une poire, trois oranges. La coupe qui les reçoit est plus vague, mais il ne faut pas être trop difficile.
Passablement embarrassé, Florent présente un modeste dessous de plat en bois blanc. Sous les regards désapprobateurs des autres, il s’excuse de n’avoir pas eu le temps de le vernir et de le décorer.
Pipiou en a le souffle coupé… et la grande rose, un peu pimbêche, murmure à sa voisine d’un ton pointu que vraiment le petit aurait pu se donner un peu plus de mal.
D’un aboiement énergique, Médor fait taire la bavarde. Christelle récite son compliment.
Intimidée, la petite s’interrompt à deux reprises, mais Maman sourit ; alors, Christelle achève bravement et se jette dans les bras prêts à l’accueillir.
Madame Ladouceur distribue remerciements et baisers à la ronde ; puis elle reprend, un à un, chaque présent : la nature morte, le parchemin du poème, la broche presque en or ; mais elle s’attarde longuement sur l’humble dessous de plat mal limé ; puis, en souriant, Maman dit doucement :
« Voilà mon plus beau cadeau…
- Oh ! » s’exclament quatre voix indignées.
« Ça, alors, ma chère ! c’est plutôt inattendu », susurre la grande rose rouge ; et tous les muguets carillonnent de surprise.
« Ouah ! grogne Médor, taisez-vous donc, sottes que vous êtes ; si Madame Ladouceur dit cela, elle a sûrement ses raisons !
- Écoutez, écoutez, s’époumone Pipiou qui frétille sur sa branche, Madame Ladouceur parle encore.
- Oui, mes chéris, mon plus beau cadeau. Certes, j’apprécie ce que vous avez fait pour moi, mais vous avez tous choisi le cadeau qu’il vous plaisait de faire. Seul, Florent s’est souvenu que j’avais cassé mon dessous de plat. De plus : Jean-Guy, ton poème parlait de dévouement et de fatigue, mais tandis que tu le composais personne n’a songé à me scier du bois. Et du jour où Denis a pris son pinceau il n’a plus remonté le charbon de la cave. Toi, Pauline, tu…
- Oui, Maman, j’ai compris ! coupe impétueusement la grande fille, pendant que nous étions occupés à te préparer des cadeaux qui nous flattaient, personne ne t’aidait ; moi-même je m’éclipsais à l’heure de la vaisselle, tandis que Florent a fait tout ce qu’il a pu pour t’éviter de la peine : voilà pourquoi il n’a pas eu le temps de terminer son travail.
- Florent, c’est un chic type », approuve énergiquement Denis.
« Tio-ou ! » conclut Pipiou en culbutant de joie ; et il s’élance à travers le ciel brillant de soleil pour chanter à tous les louanges d’un petit gars au cœur aimant.
Claude Picard
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