La dernière charrette de foin venait d’être mise en lieu sûr.
Et puis ce fut l’orage, violent, brutal. Les éclairs succédaient aux éclairs. Déjà, l’énorme sapin de la cour du château avait été déraciné. Plus loin, la petite ferme du père Janicout flambait comme fétu de paille. Soudain, on entendit un fracas épouvantable, répercuté d’écho en écho : la foudre venait d’atteindre le clocher, le clocher de tuiles vernissées autour duquel se serraient les maisons. Une épaisse fumée, toute noire, montait dans le ciel encore plus noir, le tout traversé de lueurs rouges : les flammes. Le feu avait pris de partout à la fois.
Ils étaient deux qui avaient vu la foudre s’abattre sur l’église : Monsieur le Curé dans son presbytère, et Jean le jaciste dans sa maisonnette de la rue Haute. Deux qui avaient bondi ensemble dans la rue, l’un tout courbé sous le poids des ans et d’une existence mise au service des autres, l’autre, jeune, le visage tourné vers l’avenir. Deux, avec une seule pensée au fond du cœur : là-bas, dans « leur » église, le tabernacle… et le ciboire aux hosties consacrées.
Ils se sont retrouvés sur la place, avec la même angoisse dans le cœur, la même farouche volonté dans le regard. Autour d’eux, avec bruit, les secours s’organisent.
« Monsieur le Curé, je sais… mais je vous en prie, n’allez pas plus loin. Je suis jeune et n’ai pas peur. Je Le rapporterai. »
Et, sans attendre la réponse, Jean s’élance. Un cri parmi la foule : le grand portail d’entrée s’écroule, dans un jaillissement d’étincelles. Par où donc Jean va-t-il pénétrer dans l’église ? Il reste la petite porte basse. Elle est fermée, mais d’un grand coup d’épaule, et han ! il l’enfonce. La fournaise ! Une horrible fumée âcre qui étouffe, piquant atrocement et les yeux et la gorge. Un ronflement entrecoupé de crépitements. De grands éclairs rouges. L’incendie dans toute son horreur. Déjà Jean regarde plus loin. Dans cet enfer qui l’entoure, ses deux yeux très clairs se portent là-bas, vers le Christ de pierre qui domine la fournaise, le Christ aux deux bras étendus. Il semble protéger, dans la partie du chœur encore intacte, l’autel et le tabernacle. Le petit jaciste rampe sur le sol : c’est le seul moyen de ne pas être trop brûlé.