Mohamed Ben Ab-delkader, le caravanier, est venu par piste aux longues étapes de Timmimoun à Ain-Tleïa, oasis à la source jaune. Il était monté sur sa chamelle blanche et, à sa selle, étaient attachées les longes de son bourricot et de son chameau noir, tous deux lourdement chargés de couffins de belles dattes jaunes, sa seule fortune.
Mohamed le Targui appartient à la grande tribu des Aouelliminden. Âgé de trente ans à peine, il aurait pu se joindre à la caravane annuelle qui partait quelques jours après. Mais il a préféré voyager seul dans les grandes dunes d’Adrar et de Béni-Abbès. Mohamed est profondément croyant ; jamais il n’a entendu parler de Jésus de Nazareth, mais chaque soir, à la halte, il descend de sa chamelle et se prosterne sur le sable, adorant Dieu le Tout-Puissant.
La nuit venue, il abreuve ses animaux ; de sa grande « tassouffra » en cuir, il retire aussi l’orge et l’avoine qu’il leur donne en leur parlant doucement, car Mohamed aime ses bêtes, ses seuls compagnons dans ce désert immense. Lui-même se nourrit frugalement d’une poignée de dattes sèches, arrosée d’une tasse brûlante de thé à la menthe sucré, la boisson nationale des nomades. Puis il se roule dans son burnous brun et s’endort sous le ciel constellé d’étoiles près du ventre chaud de ses animaux.
Après de longues journées dans les sables mouvants, il a dépassé Taghit, Kenadsa la ville sainte, et Colomb-Béchar la neuve. Enfin, poursuivant sa route au pas lent de ses bêtes, il a atteint la longue hammada rocheuse de Djenien Bou Rezgt, celle qui indique que désormais le domaine du désert est bien terminé, celle aussi où les animaux des nomades doivent subir la douloureuse épreuve des arêtes du chemin, aiguës et coupantes.
Enfin, trois jours après, au couchant, voici qu’il aperçoit devant lui les coupoles blanches et le minaret du ksar d’Ain-Tleïa. Le minaret resplendit sous les derniers rayons du couchant. Le muezzin, ainsi que le nomment les fidèles, appelle à la prière : Mohamed se prosterne. Près du minaret s’élève un autre monument, surmonté d’une croix. Le Targui connaît aussi ce lieu de prière : c’est celui d’un marabout-roumi (un blanc) venu là il y a quelques années. Le père de Mohamed a connu un semblable marabout-roumi qui, durant sa vie, a sans cesse séjourné entre Béni-Abbès et Tamanrasset, où il repose au cœur du pays Targui ; il lui a raconté la sainteté de vie de cet homme et de ses semblables. Aussi, Mohamed respecte-t-il beaucoup ces hommes, qui n’ont pas la même religion que lui, mais qui prient tout le temps le Dieu Infini, et vivent si pieusement.
La nuit tombée, Mohamed campe seul, un peu à l’écart de la ville, aux abords du village nègre. Il a ramassé quelque bois mort pour son feu, et décharge déjà ses bêtes, quand une brûlure violente à son talon lui arrache un cri de douleur ; il se retourne : un gros scorpion noir, dérangé par le Targui dans son sommeil, vient de le piquer. Un coup de pierre écrase la bête malfaisante, mais la douleur force Mohamed à s’asseoir, tant elle est forte. Il connaît les scorpions noirs ce sont les plus dangereux et les plus venimeux. Aussi, avec son couteau bien aiguisé n’hésite-t-il pas à essayer d’inciser sa blessure pour la faire saigner et la désinfecter. Mais ce remède primitif est sans effet : sa plaie ouverte le fait encore plus souffrir et son pied enfle déjà rapidement.