(conte normand)
À l’assemblée de Ratimesnil qui se tenait dans sa vaste cour, le cabaretier Heurtaux, debout dans une carriole fixée entre deux troncs de pommiers, faisait danser la « jeunesse » aux sons de son crincrin. Il battait lui-même de tels entrechats que, maladroitement, il se foula le pied.
Dès lors, il passa le plus clair de son temps à jouer aux dominos avec quelques vieux du pays. Venait se joindre à eux, dans la soirée, le fils Farin César, que le père Heurtaux avait pris en amitié et appelait familièrement « son bezeau ». Ce jeune campagnard n’était pas fâché de pouvoir ainsi « causer un brin » à la belle Léonie, la fille de la maison […].
Cette Léonie, si fiérote et si froide en apparence, aspirait de toute son âme au mariage, mais Farin n’ignorait pas que le père s’y opposerait tant qu’il ne serait pas plus valide. On avait trop besoin d’elle au cabaret.
Heurtaux, sur les conseils réitérés de ses clients, s’en fut consulter un rebouteux du village, qui « travailla » son entorse durant neuf jours, ajoutant chaque matin à ses massages vigoureux, d’incohérentes invocations […].
En fin de compte, en plus de son entorse, le cabaretier eut des rhumatismes aigus qui l’obligèrent à s’aliter.
« Tu veyes ben, lui dit alors sa femme, que tan rebouteux est un feignant ; quand j’te répète qu’il n’peut point t’guéri !
Heurtaux répondait :
— Tais-té, la mé. T’éluges point si vite. Espère un p’tieu. Mé j’m’en rapporte à li ; i n’a sauvé bé d’autres.
— Eh ben, mé, j’aurais pu d’confiance dans les Bons Saints.
Sur la place de l’église, le dimanche, les commères, leur paroissien à fermoir à la main, faisaient cercle autour de la mère Heurtaux :
« Pourqui qu’vos conduisez point vot’homme à la Mare Saint-Firmin, disait l’une ; faites‑y « toucher » l’saint qu’est raide bon pour enlever l’mâ, qu’a du « pouvoir » pour les douleurs !