Catégorie : <span>2 *** LES AUTEURS ***</span>

Auteur : Jasinski, Max | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Le roi de France, Louis le neu­vième, qui fut plus tard cano­ni­sé, fai­sait un jour une pro­me­nade à che­val avec le sire de Join­ville et quelques sei­gneurs. Il arri­va au vil­lage de Cha­ren­ton par un pont à péage. Il paya scru­pu­leu­se­ment pour lui, pour sa suite et pour les che­vaux, bien qu’on lui eût offert le pas­sage gra­tuit. De l’autre côté du pont, il tom­ba sur des pay­sans réunis en cercle autour d’un jeune homme. Celui-ci, agile comme un singe, les pieds en l’air et la tête en bas,courait sur les mains avec vélo­ci­té. Les spec­ta­teurs qui applau­dis­saient se tinrent cois, par res­pect, à la venue du cor­tège. L’homme se repla­ça sur ses pieds et s’approcha sur un signe de Louis. Il reti­ra son bon­net, râpé et troué, d’où pen­dait, à moi­tié bri­sée, une plume de coq, et, immo­bile, atten­dit qu’on l’interrogeât. Il était de piètre mine, maigre, accou­tré d’habits rapié­cés dont les teintes, jadis vives, étaient déco­lo­rées ; mais son atti­tude était gra­cieuse et ses mou­ve­ments aisés. Ses joues étaient creuses, mais son regard était clair et sa lèvre spirituelle.

— Qui es-tu ? dit le roi.

— Un homme, répon­dit l’autre.

— D’où viens-tu ?

— De là-bas.

Troubadour musicien

— Où vas-tu ?

— À côté de mon ombre.

— De quel pays es-tu ?

— De notre ville.

— Où est ta ville ?

— Sur une rivière.

— Qu’est-ce que cette rivière ?

— De l’eau.

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Ce jour-là il n’y avait pas d’é­cole, pour cette bonne rai­son que c’é­tait le jeu­di et, qui plus est, le Jeudi-Saint.

Il fai­sait un joli temps et ne croyez pas que ce soit pour allon­ger mon his­toire que je me mets à vous par­ler de la pluie et du beau temps. Pas du tout. Il y a des cas où l’on peut dire : le temps n’est pour rien dans l’af­faire, mais, ici, le temps y est pour beau­coup. Car, et vous le com­pre­nez, si le temps avait été mau­vais il y a bien des chances que je n’au­rais pas pro­me­né mes rhu­ma­tismes par les che­mins, au risque de ren­trer trem­pé, gue­né, comme on dit chez nous, sans un fil de sec sur le dos. Si le temps n’a­vait pas été joli, René Gaillou non plus ne serait pas sor­ti, ses parents ne l’au­raient pas lais­sé, pour pro­me­ner ses cochons…

Allons bon, voi­là le gros mot lâché ! Il m’en coû­tait de l’é­crire. Il est écrit, tant pis ; le papier sup­porte tout ; oh ! et puis, nous ne sommes plus au temps, com­bien loin­tain, de ma très tendre enfance, où l’on nous ensei­gnait — c’est le Frère, le cher Frère Oné­si­mus qui nous appre­nait ces déli­ca­tesses lit­té­raires — que l’on ne dit pas : un , mais l’a­ni­mal qui se nour­rit de glands, ou encore l’ha­billé de soie. De nos jours, voyez-vous, cette engeance s’est tel­le­ment répan­due par le monde que son nom a fini par s’im­po­ser aux hon­nêtes gens que nous sommes vous et moi, par la grâce de Dieu.

Cochons noir basque Kintoa

Donc, par un temps joli, René Gaillou était allé pro­me­ner ses cochons. Et puis quand vous sau­rez de quelles bêtes mon René Gaillou était, de par ses parents, consti­tué gar­dien et pas­teur, vous n’au­rez plus envie de rire, mais vous vous sen­ti­rez sai­si par les sen­ti­ments de la plus vive admi­ra­tion. Je vous avoue que jamais je n’ai mis les pieds dans un Comice agri­cole — c’est une lacune dans mon édu­ca­tion, — mais en serais-je un habi­tué que jamais je n’au­rais rien vu de plus beau, dans l’es­pèce, que les cinq cochons que menait paître René Gaillou.

L’on m’a tou­jours dit qu’une nar­ra­tion bien conduite devait se pré­sen­ter dans un cadre. Et il est de toute néces­si­té, cela se conçoit aisé­ment, que vous sachiez dans quel pays évo­luent notre pas­teur et son trou­peau. Le plus joli paye du monde ! Tenez, détour­nez-vous. Vous voyez là-haut, mon­tant dans le ciel bleu comme un doigt gan­té de blanc, le Mon­tai­gu ; et à gauche, voyez-vous le dôme majes­tueux de la Dent du Midi ? Voyez-vous ? Et toute cette fée­rie des neiges iri­sées qui se pro­filent à l’ho­ri­zon et se confondent là-bas avec la brume des nuages ! Bais­sez un peu les yeux ; aper­ce­vez-vous les ruines de l’al­tier châ­teau de Mau­vai­sin ? Elles sont bleues ce matin, elles seront grises à midi, ce soir elles se colo­re­ront de rose. Rien de plus coquet que les mon­tagnes, elles changent de parure cent fois le jour. Et Tour­nay, dans ce coin, qui groupe ses mai­sons autour de son clo­cher poin­tu ! Lais­sez vos regards suivre le cours de l’Ar­ros et se repo­ser sur les col­lines dont les chênes gardent les teintes neutres de l’hi­ver, sur ces prai­ries qui rever­dissent et d’où s’é­lèvent les larges écrans des peu­pliers qu’a tou­chés déjà le prin­temps, sur ces labours aux tons de rose fané. Par­mi tout cela, des vil­lages avec une église blanche au clo­cher bleu d’ardoise.

C’est en contem­plant toutes ces mer­veilles, que je m’en allais, flâ­nant, sur la route de Peil­haube. En main j’a­vais un livre qui ne me ser­vait guère et sous le bras le com­pa­gnon des hommes pru­dents, je veux dire le parapluie.

Et c’est alors que je ren­con­trai René Gaillou d’une part, et d’une autre, son trou­peau. Lui, venait par der­rière, une badine à la main. Eux allaient par devant, le groin ten­du vers le ruis­seau, trot­ti­nant de belle allure, pié­ti­nant en gou­jats de véri­tables tapis de vio­lettes pous­sées aux pieds des pru­nel­liers fleu­ris. Ils étaient cinq. Tous de même taille, tous habillés de même, de belles bêtes de vingt mois au moins.

Auteur : Pourrat, Henri .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Il y avait une fois Marie et saint Joseph qui tous deux empor­tant l’En­fant avaient dû prendre les che­mins. C’é­tait pour fuir la colère d’Hé­rode, — vive le roi ! — fuir ses sou­dards, lan­cés sur leurs che­vaux, la bri­gade, capi­taine en tête, qui à coups d’é­pée et de dague a mas­sa­cré les inno­cents. La lame au poing, écla­bous­sés de sang, ils courent, cherchent, mènent le train par toute la cam­pagne, — vive le roi, alleluia !

La bonne Dame, au soir, n’en pou­vait plus. Mais au trot, au galop, galop d’en­fer, fai­sant feu sur toutes les pierres, de tous ses fers, — vive le roi ! — a repa­ru cette cava­le­rie. Il a fal­lu repar­tir et cou­rir. La bonne Dame, son bel Enfant entre les bras, — vive le roi, alle­luia ! — cou­rait, cou­rait ; mais c’é­tait dans la plaine, et on la voyait de partout.

Elle cou­rait, cou­rait, cou­rait, tant qu’elle pou­vait, ser­rant contre elle son Jésus, qu’­Hé­rode avait ordon­né d’é­gor­ger. Puis tout à coup, le souffle lui a man­qué. Elle est tom­bée sur la terre, comme morte. Seule­ment, par le vou­loir de Dieu, elle est tom­bée sur une petite sauge.

La sauge qui cache la Vierge et l'Enfant Jésus

« Sauge, sauge, a dit Notre-Dame, sauve Jésus ! »

Ah ! la sauge l’a enten­due. Elle s’est dépê­chée de croître : elle est deve­nue gros buis­son. Les sou­dards, arri­vant là-des­sus, — vive le roi ! — du haut de leurs che­vaux pas­saient les yeux par­tout. Ils accou­raient de-çà, de-là ; ils quê­taient, balan­çant leurs trognes.

Et la menthe, cette rap­por­teuse, leur souf­flait tant qu’elle pouvait

« Sous la brous­saille ! Sous la broussaille ! »

Mais dans le tin­ta­marre de leur cava­le­rie, fers tapant, gour­mettes tin­tant, ils n’ont rien enten­du, par chance ! — vive le roi, alleluia !

Ils sont repar­tis tout capots.

« Menthe, menthe, a dit la bonne Dame, tu es menthe et tu men­ti­ras : tu fleu­ri­ras, pas ne graineras. »

À la sauge, elle a dit :

« Sauge, sauge, que Dieu te sauve ! Tu fleu­ri­ras et tu graineras. »

Aus­si, de la sauge il faut s’ai­der quand on se sent en lan­gueur et quand on se sent en san­té, il ne faut pas l’ou­blier, la sauge ! La sauge, c’est la main de Dieu.

Mais les sou­dards du roi Hérode ont conti­nué de battre la plaine. Ils ont revu la Dame au loin : ils ont pous­sé un grande cla­meur. Bride abat­tue, dans des lueurs de fer, des tour­billons de poudre, ont accou­ru à tra­vers champs.

La bonne Dame avec son bel Enfant a cru se cacher sous un tremble.

Le tremble s’est mis à trem­bler, à tour­ner, à écar­ter sa feuille, les décou­vrant à toute vue.

Par chance, le noi­se­tier était là, qui est si brave. Il a élar­gi sont feuillage il a fait touffe de son mieux.

Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

Temps de lec­ture : 5 minutes

MÈRE-GRAND. — Mais la plus belle de toutes les fêtes, c’é­tait Calen­do, c’é­tait . J’é­tais la der­nière enfant et j’al­lu­mais la , lou cacho­fio, plus heu­reuse qu’une reine. C’é­tait, cette bûche, quelque vieille souche d’o­li­vier ou de poi­rier. Les gar­çons allaient la cher­cher au ver­ger, mes frères et les gars de labour, car on arrê­tait tôt le tra­vail ce soir-là. On la ren­trait à la mai­son, en silence, la por­tant reli­gieu­se­ment, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, le plus jeune de l’autre. Trois fois on lui fai­sait faire le tour de 1a grande salle, puis on la dépo­sait sur la dalle du foyer. 

Alors, le père s’a­ge­nouillait près du cachò­fiô, il y répan­dait un verre de vin cuit, avec une solen­ni­té reli­gieuse, comme un prêtre à l’au­tel. Comme il me parais­sait grand, mon père, soir-là ! De sa belle voix grave — il me semble l’en­tendre encore — il chantait : 

Allégresse ! Allégresse ! 
Mes beaux enfants, que Dieu vous comble d'allégresse !
Avec Noël tout bien vient.
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine
Et sinon plus nombreux, puissions-nous n'être pas moins.

De quel cœur tous nous reprenions : 

Allégresse ! Allégresse !

Alors, éle­vant son verre, le père invo­quait le feu : 

O feu, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps !
Emplis mes étables et mes bergeries de petits, 
Et ma maison de beaux enfants…

On dres­sait la bûche sur les grands lan­diers relui­sants et avec la flamme d’une chan­delle, moi, la der­nière-née, d’une main mal assu­rée, j’al­lu­mais les brin­dilles. La flamme s’é­lan­çait, joyeuse et claire, timide d’a­bord, léchant à peine la grosse souche obscure. 

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Contes du sonneur de cloches .

Temps de lec­ture : 9 minutesMaman leur avait dit, ce matin-là, avant de sortir :

— Soyez bien sages tous les trois. Mathieu, tu veille­ras sur tes sœurs.

Et Mathieu, tout fier de son impor­tance, avait répondu :

— Oui, maman !

Et il s’a­mu­sait avec les petites filles, Véro­nique qui était sa jumelle (ils avaient dix ans) et Cathe­rine qui n’a­vait pas encore six ans. La maman était allée livrer son tra­vail, une fine bro­de­rie sur laquelle, depuis plu­sieurs semaines, elle usait ses yeux qui avaient tant pleuré.

— Pour­vu que ma cliente me paye, avait sou­pi­ré la pauvre veuve. C’est ce soir et je vou­drais bien faire un gen­til réveillon à mes enfants.

Enfants pauvres regardant les vitrines de Noël

Les enfants aus­si pen­saient à Noël. Mathieu, tout en ali­gnant sur le plan­cher les mor­ceaux de bois qui étaient cen­sé­ment un train, revoyait les beaux éta­lages qu’il avait admi­rés toute cette semaine, dans les rues, en allant à l’é­cole : les dindes mar­brées de truffes, les fruits de toutes les cou­leurs, les col­lines de mar­rons gla­cés, les mon­tagnes de fon­dants et de chocolat.

Véro­nique, elle, s’é­tait plus volon­tiers arrê­tée devant les jou­joux ; les pou­pées, toutes plus jolies les unes que les autres, les ménages, les petites bou­tiques d’é­pi­ce­rie avec leurs tiroirs éti­que­tés et leurs minus­cules balances pour jouer à la mar­chande. La petite fille en rêvait…