Le soleil brûle dans le ciel d’Afrique et Jeanne-Marie chante dans la pergola. Elle sait pourtant que le danger rôde, mais une fille de soldat n’a pas peur. Elle monte justement au belvédère pour scruter la forêt où il se terre. Pas un bruit… Pas une fumée… Pas même un mouvement de feuilles alanguies par le soleil… Rien qu’un silence redoutable et une immobilité qui oppresse… La mer infinie des frondaisons tropicales ne livre pas son secret.
Est-il possible — pense la fillette — qu’il y ait des êtres vivants dans cette forêt morte ?
Cependant on n’en saurait douter. Hier encore, la patrouille a remarqué des traces de pas, des arbres abattus, des restes de feu. Les Blolos sont là ! Ils guettent ; d’un instant à l’autre, ils surgiront, criblant le poste de leurs flèches empoisonnées. Dans les blockhaus, les tirailleurs le savent et attendent. Au belvédère, le lieutenant Saint-Foix le sait et veille. Venant à lui, sa fille le sait aussi et sourit.
« Une fois de plus vous serez maître d’eux, Père ! La force française finira bien par les dompter puisque, hélas, l’amitié que nous leur apportions n’a pas touché leur cœur. »
Le front de l’officier demeure soucieux. Il s’inquiète de ce que trame la ruse de ces anthropophages qu’il a mission de soumettre et à l’hostilité desquels il se heurte depuis trois mois.
« Sois prudente, ma Jeannette, avec eux on ne sait jamais. »
Deux jours ont passé sans que rien ne surgisse de la forêt mystérieuse. On commencerait à douter de la présence des Blolos si des traces fraîches n’étaient relevées chaque matin. Le silence oppresse… L’attente use les nerfs… La chaleur accable… et Jeanne-Marie sommeille dans son hamac quand une piqûre soudain la redresse en sursaut. Mais elle a juste le temps d’apercevoir près d’elle une face noire hideuse qui rit, et elle retombe sans un mot, sans un cri, dans une autre pensée, terrassée par une étrange torpeur qui la fait lourde et livrée sans défense à ce noir qui l’emporte à grands pas souples…