Catégorie : <span>Les commandements à observer, les vertus à pratiquer</span>

Auteur : Ducrant, François | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Jusque-là, Jacques a été un petit gars très heureux.

Et puis, brus­que­ment, la mala­die, cette sinistre visi­teuse, est venue mettre sa vilaine main sur lui. En vain le doc­teur a ordon­né les trai­te­ments les plus énergiques.

En vain aus­si, la maman de Jacques, si cou­ra­geuse pour cacher son angoisse et sa peine, lui a pro­di­gué les soins si déli­cats que seule une maman peut inven­ter. Rien n’y a fait : le petit gars n’a pu retrou­ver com­plè­te­ment la santé.

Catéchisme : apprendre à faire des SacrificesAlors, il fal­lu prendre une déci­sion, com­bien dou­lou­reuse pour tous : envoyer Jacques dans un éta­blis­se­ment au bord de la mer où l’air du large, en même temps qu’un trai­te­ment appro­prié, lui redon­ne­rait sa vigueur passée.

Après une nuit bien pénible, tant il avait de cha­grin de quit­ter les siens, et où cent fois au moins, il a deman­dé à l’in­fir­mière qui l’ac­com­pa­gnait : « Dites, Madame, on n’est pas bien­tôt arri­vés ? » Jacques a enfin rejoint cette grande mai­son située à l’ex­tré­mi­té de la côte et que de hauts tama­ris pro­tègent de la bru­ta­li­té des vents d’ouest.

* * *

Les pre­miers jours ont été par­ti­cu­liè­re­ment durs pour Jacques, habi­tué à voir ses moindres dési­rs d’en­fant malade satis­faits ; et tout spé­cia­le­ment le soir, dans son petit lit, en pen­sant à la mai­son et sur­tout à la chère maman qui n’al­lait pas venir embras­ser son petit, il lui est arri­vé déver­ser de grosses larmes.

Mais les infir­mières sont si gen­tilles et l’emploi du temps si bien orga­ni­sé que, peu à peu, il s’est accli­ma­té. Main­te­nant, il connaît les habi­tudes de la mai­son, il en connaît le méde­cin, les sur­veillantes, et bien que d’un natu­rel assez timide, il a déjà fait connais­sance avec quelques petits camarades.

Ce qui l’en­nuie bien encore un peu, ce sont ces inter­mi­nables heures de cure, pen­dant les­quelles il faut res­ter sage­ment allon­gé. Si encore les gale­ries don­naient sur le large, on pour­rait au moins s’a­mu­ser à contem­pler les barques par­tant à la pêche aux sar­dines, ou bien encore le jeu des vagues qui se bous­culent entre elles et que Jacques ne se lasse pas d’ad­mi­rer quand il des­cend sur la plage.

Mais pour que les malades ne soient pas incom­mo­dés par les pluies, les gale­ries sont jus­te­ment orien­tées vers le port. Alors, pour pas­ser le temps, Jacques se plonge dans le livre qu’il a appor­té de chez lui : « Tem­pête sur le Pôle ».

Pour la dixième fois au moins, il relit ce pas­sage qu’il aime par­ti­cu­liè­re­ment : l’ex­plo­ra­teur, per­du sur la ban­quise, voit enfin arri­ver l’a­vion sau­veur qui lui apporte des vivres.

Une voix qui n’est pas celle du pilote mais bien celle de l’in­fir­mière, Mme Rose, qui sur­veille habi­tuel­le­ment la gale­rie, le tire brus­que­ment de sa lec­ture palpitante :

« On m’ap­pelle au télé­phone, mes petits. Je m’en vais, mais je compte sur vous pour conti­nuer votre cure comme si je ne vous avais pas quit­tés. Pour cela, voyez, je ne veux pas dési­gner de sur­veillant par­mi vous. »

Auteur : Dominique | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Toc, toc…

Gaë­tan, Yves et Louis se regardent ; qui donc peut venir à cette heure ? Ce n’est pas leur mère encore : elle ne doit ren­trer que demain matin ; ce n’est pas leur père non plus, ame­nant à la ferme quelques Chouans pour un bout de nuit ou une tasse de cidre : il se gar­de­rait de faire tant de bruit.

Mais ils n’ont guère le temps de se consul­ter : de vio­lents coups de crosse ébranlent la porte, et une bor­dée d’im­pré­ca­tions fait fré­mir leur cœur chrétien.

« Oui ou non, ouvri­rez-vous, chiens ? »

Plus de doute, ce sont les Bleus ! Les trois gamins sentent leur cœur se ser­rer d’une indi­cible angoisse, car la visite des Bleus est trop sou­vent néfaste à des fils de Chouans.

Cepen­dant, brave et déci­dé, Gaë­tan s’est levé :

Courage des enfants vendéens - Les bleus : soldats de la révolution« Voi­là, voi­là, citoyens. »

Puis — gavroche un peu — il esquisse une gri­mace à l’a­dresse des sol­dats avant de tirer le ver­rou… et cela rend du cœur aux deux autres !

« Il s’a­git de nous four­nir une place pour la nuit !… Et en vitesse, hein ! », clame celui qui semble être le chef.

« Volon­tiers, citoyens… Ce n’est pas tous les jours que la ferme a l’hon­neur d’a­bri­ter des sol­dats de la Répu­blique ! Sui­vez-moi, je vais vous conduire à la grange. »

Dix minutes après, Gaë­tan rejoint ses frères à la cuisine :

« S’ils ne veulent que ça, ça va encore… Ils ont l’air four­bus : il y en a déjà qui ronflent sur la paille.

— Hum… Qu’est-ce qu’ils viennent encore rôder par ici ?

— D’a­près ce que j’ai com­pris, ils sont à la recherche de quelque fugi­tif de marque… et il y aurait des patrouilles comme ça dans toute la région. »

Yves fait la grimace.

« Tant pis pour le mal­heu­reux qu’ils traquent !

— Pour­vu que père ne tombe pas entre leurs mains…

— Et M. le Rec­teur, donc !

— Il fau­dra les aver­tir dès demain matin… »

Dix coups viennent de son­ner à la vieille hor­loge, dans la boi­se­rie de chêne fine­ment sculp­tée. Sou­dain, Louis tressaille.

« N’a­vez-vous rien entendu ? »

| Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

T’as envie de pommes, Nanette ?

— Pour ça oui, Colas ; mais à pré­sent, des pommes, il n’y en a plus.

— Moi, je sais bien où il y en a… et de fameuses ! C’est dans le gre­nier du père Heur­teau, le voi­sin ; l’autre jour, Ernest, le com­mis, m’en a jeté une de la fenêtre, celle qui donne der­rière la mai­son. Et figure-toi que ce matin une échelle est dres­sée contre le mur, juste au-des­sous de la fenêtre du gre­nier ! Nanette, tu vas venir avec moi. Tu feras le guet pen­dant que j’i­rai cher­cher des pommes pour nous deux. Et si l’on vient, tu crie­ras : Miaou. »

Tu ne voleras pas - 7e commandement - Grenier aux pommesUn peu inquiète, mais fière d’ai­der son frère, Nanette suit Colas.

Les voi­ci tous les deux au pied de l’é­chelle. Le gar­çon a vite fait l’es­ca­lade et il dis­pa­raît dans le trou noir de la fenêtre. Nanette trouve le temps long : sûre­ment, Colas doit goû­ter les pommes. Mais sou­dain un bruit de voix se fait entendre ; des pas se rap­prochent… On vient. « Miaou » crie Nanette, et vite elle court se cacher dans la cabane aux outils.

Le père Heur­teau appa­raît accom­pa­gné de Rivouet, le cou­vreur. Ils parlent du toit de l’é­table qui est à répa­rer. Lors­qu’ils se sont éloi­gnés, Nanette, sor­tant de sa cachette, s’a­per­çoit avec hor­reur qu’ils ont empor­té l’é­chelle. Pour com­bien de temps ? Dieu seul le sait. Debout dans l’embrasure de la fenêtre, Colas mesure la dis­tance qui le sépare du sol… Il a beau être fort en gym­nas­tique, c’est vrai­ment trop haut pour se lan­cer. « Attends, dit-il à Nanette, qui se lamente en bas, je vais voir si je ne peux pas sor­tir par un autre endroit. »

Colas fait le tour du gre­nier. Il est vaste et contient bien des choses : des cha­pe­lets d’oi­gnons et d’é­cha­lotes sus­pen­dus aux poutres, des prunes séchées, des sacs de grains et, dans un coin obs­cur, la pro­vi­sion de hari­cots secs. Tiens, mais on dirait qu’ils sont trem­pés les sacs de hari­cots ; une grande tache d’hu­mi­di­té s’ar­ron­dit alen­tour. Colas lève la tête et aper­çoit du jour qui filtre par les tuiles dis­jointes. Bien sûr, la pluie passe par là. Il ne s’a­git pas de cela, mais de s’en aller. Il y a bien une porte qui donne vers la ferme, mais elle est fer­mée à l’ex­té­rieur. Le seul moyen d’é­va­sion, c’est la fenêtre. Colas y revient.

Auteur : Falaise, Claude | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Mes­siés, Mes­dames, com­mence Luid­gui, avec son savou­reux accent qui fait le bon­heur des autres…

— Eh ! y a pas de dames », inter­rompt Alex, le Parisien.

Il n’y a pas de dames, en effet. Le bivouac, en plein bled maro­cain, n’est pas fait pour les dames… mais Luid­gui s’en moque bien. À la foire de Neuilly, les clowns qui, devant la foule amu­sée, font la retape pour le spec­tacle, tou­jours super­sen­sa­tion­nel, les clowns disent tou­jours : Mes­dames, Mes­sieurs… à moins qu’ils ne disent Mes­sieurs-dames, ce qui revient au même.

Moquerie supportée vaillament ; maîtrise de soi

Et Luid­gui qui a reçu avant tout autre don, et bien avant sa voca­tion de légion­naire, des dis­po­si­tions éton­nantes pour l’é­tat de clown, Luid­gui pré­tend, ce soir comme les autres, pro­cu­rer aux cama­rades une bonne par­tie gra­tuite de fou-rire.

« Mes­siés, Mes­dames, recom­mence-t-il imper­tur­bable, nous vous offrons ce soir « oune nou­mé­ro abso­lou­ment extra-vagant ». Cla­ra, la « pouce » savante (lisez la puce) a pro­vo­qué en « douel » pour « oune » match de boxe… devi­nez qui, Mes­siés-dames, dévi­nez si vous pou­vez… Zé vous lé donne en cent… zé vous lé donne en mille… zé vous lé donne en dix mille. »

Un silence char­gé de curio­si­té s’est éta­bli par­mi les légionnaires.

La vie rude de la a fait de ces hommes si divers de grands enfants. L’ab­sence de toute dis­trac­tion les a ren­dus badauds. Et ce soir, ils prennent un plai­sir de gosses à écou­ter les boni­ments de Luid­gui. Le jeune étran­ger a réus­si à les intri­guer, il les tient en haleine, sus­pen­dus à ses lèvres, On sent bien qu’il va sor­tir quelque chose d’é­norme, d’i­nat­ten­du, une de ces trou­vailles cocasses dont il a le génie.

« Ah ! Mes­siés-dames, zé vois bien que vous « brou­lez » de savoir contre qui Cla­ra pré­tend rem­por­ter cé soir « oune » grande vic­toire spor­tive… Eh bien, Mes­dames, Mes­siés, « celoui » contre qui Cla­ra, la « pouce », sé mesou­re­ra n’est autre que notre gran­dé cham­pion de boxe poids lourd… Phanor ! »

Une cas­cade de rires a jailli de toutes parts dans le cercle for­mé par les hommes éten­dus sur le sable.

« Hur­rah !

— Vive Clara !

Auteur : Legeais, A. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Moha­med Ben Ab-del­ka­der, le cara­va­nier, est venu par piste aux longues étapes de Tim­mi­moun à Ain-Tleïa, oasis à la source jaune. Il était mon­té sur sa cha­melle blanche et, à sa selle, étaient atta­chées les longes de son bour­ri­cot et de son cha­meau noir, tous deux lour­de­ment char­gés de couf­fins de belles dattes jaunes, sa seule fortune.

Moha­med le Tar­gui appar­tient à la grande tri­bu des Aouel­li­min­den. Âgé de trente ans à peine, il aurait pu se joindre à la cara­vane annuelle qui par­tait quelques jours après. Mais il a pré­fé­ré voya­ger seul dans les grandes dunes d’A­drar et de Béni-Abbès. Moha­med est pro­fon­dé­ment croyant ; jamais il n’a enten­du par­ler de Jésus de Naza­reth, mais chaque soir, à la halte, il des­cend de sa cha­melle et se pros­terne sur le sable, ado­rant Dieu le Tout-Puissant.

Touareg et le missionnaireLa nuit venue, il abreuve ses ani­maux ; de sa grande « tas­souf­fra » en cuir, il retire aus­si l’orge et l’a­voine qu’il leur donne en leur par­lant dou­ce­ment, car Moha­med aime ses bêtes, ses seuls com­pa­gnons dans ce immense. Lui-même se nour­rit fru­ga­le­ment d’une poi­gnée de dattes sèches, arro­sée d’une tasse brû­lante de thé à la menthe sucré, la bois­son natio­nale des nomades. Puis il se roule dans son bur­nous brun et s’en­dort sous le ciel constel­lé d’é­toiles près du ventre chaud de ses animaux.

Après de longues jour­nées dans les sables mou­vants, il a dépas­sé Taghit, Kenad­sa la ville sainte, et Colomb-Béchar la neuve. Enfin, pour­sui­vant sa route au pas lent de ses bêtes, il a atteint la longue ham­ma­da rocheuse de Dje­nien Bou Rezgt, celle qui indique que désor­mais le domaine du désert est bien ter­mi­né, celle aus­si où les ani­maux des nomades doivent subir la dou­lou­reuse épreuve des arêtes du che­min, aiguës et coupantes.

Enfin, trois jours après, au cou­chant, voi­ci qu’il aper­çoit devant lui les cou­poles blanches et le mina­ret du ksar d’Ain-Tleïa. Le mina­ret res­plen­dit sous les der­niers rayons du cou­chant. Le muez­zin, ain­si que le nomment les fidèles, appelle à la prière : Moha­med se pros­terne. Près du mina­ret s’é­lève un autre monu­ment, sur­mon­té d’une croix. Le Tar­gui connaît aus­si ce lieu de prière : c’est celui d’un mara­bout-rou­mi (un blanc) venu là il y a quelques années. Le père de Moha­med a connu un sem­blable mara­bout-rou­mi qui, durant sa vie, a sans cesse séjour­né entre Béni-Abbès et Taman­ras­set, où il repose au cœur du pays Tar­gui ; il lui a racon­té la sain­te­té de vie de cet homme et de ses sem­blables. Aus­si, Moha­med res­pecte-t-il beau­coup ces hommes, qui n’ont pas la même reli­gion que lui, mais qui prient tout le temps le Dieu Infi­ni, et vivent si pieusement.

La nuit tom­bée, Moha­med campe seul, un peu à l’é­cart de la ville, aux abords du vil­lage nègre. Il a ramas­sé quelque bois mort pour son feu, et décharge déjà ses bêtes, quand une brû­lure vio­lente à son talon lui arrache un cri de dou­leur ; il se retourne : un gros scor­pion noir, déran­gé par le Tar­gui dans son som­meil, vient de le piquer. Un coup de pierre écrase la bête mal­fai­sante, mais la dou­leur force Moha­med à s’as­seoir, tant elle est forte. Il connaît les scor­pions noirs ce sont les plus dan­ge­reux et les plus veni­meux. Aus­si, avec son cou­teau bien aigui­sé n’hé­site-t-il pas à essayer d’in­ci­ser sa bles­sure pour la faire sai­gner et la dés­in­fec­ter. Mais ce remède pri­mi­tif est sans effet : sa plaie ouverte le fait encore plus souf­frir et son pied enfle déjà rapidement.